Le débat parlementaire sur le projet de loi de finances pour 2016 a stressé les algériens cette semaine. Ceux qui leur veulent du bien, - Louisa Hanoune et son groupe parlementaire, une partie du FLN, le FFS – en refusant les augmentations des prix énergétiques ne sont pas rassurants sur l'essentiel. Comment faire face au contre choc pétrolier ? Embêtant. Car l'opinion pressent que quelque chose ne peut plus continuer à l'identique après 18 mois de dépression des prix du pétrole. Mais quoi ? Or l'archaïsme du débat public algérien, 18 ans après l'avènement du pluralisme à l'assemblée nationale de 1997 a développé un robuste instinct de conservation. L'opposition critique les propositions du gouvernement, mais ne propose pas d'alternative économique précise. La modernité politique voudrait que si. Le FFS tente de donner une cohérence à son refus des augmentations des taxes sur l'électricité et les carburants. «Sans une réforme économique globale et une vision, pas de vote pour des mesures parcellaires». Les élus du FFS ne disent pas que des ajustements de prix subventionnés ne sont pas nécessaires. Ils disent que ces ajustements sont orphelins d'une action globale et durable pour éviter le choc des déficits. Laquelle ? En gros, les économistes s'accordent à considérer que l'Algérie devra apprendre à économiser entre 15 et 20 milliards de dollars de dépenses publiques par an pour s'adapter à son niveau de revenus extérieurs. L'opposition au projet de loi de finances pour 2016 ne dit pas comment faire. Dans le cas du PT de Louisa Hannoune, c'est plus désarmant. Il revendique un peu plus de dépenses publiques, à travers les renationalisations (près de 4 milliards de dollars pour OTA-Djezzy), l'application du droit de préemption de l'Etat partout, et la réalisation, sur fonds strictement publics, de tous les équipements futurs. D'un autre tonneau, le PC Français de George Marchais, par exemple, qui luttait contre l'austérité du Plan Barre (1976) avec des contre-propositions précises et chiffrables (impôt sur les fortunes, suppression de cadeaux fiscaux, politique de détente militaire moins budgétivore). L'affaissement intellectuel d'un contenu de gauche à la critique des mesures d'austérité qui arrivent est inscrit dans la trajectoire des années Bouteflika. Lorsque Louisa Hanoune a accepté que l'amélioration – réelle – du niveau de vie des classes moyennes algériennes demeure aussi dangereusement adossée à la redistribution de la rente pétrolière par le budget de l'Etat, elle a implicitement accepté - dans le même compromis politique - que ce niveau de vie soit démantelé à nouveau dès l'inversion du volume de la rente. C'est bien pour cette raison que Louisa Hanoune soutient, sur des propositions souverainistes plutôt droitières, la production du gaz de schiste contre la mobilisation citoyenne des populations du Sud. Le cœur de la politique économique qu'elle propose est là : l'extension au possible de l'âge rentier du sous-sol algérien. Elle a peut-être raison de maintenir ce cap. Une filière technologique «hors fracturation de la roche» apparaîtra - un jour peut-être - chez un équipementier américain ou japonais, qui rendra le gaz de schiste moins nuisible et moins cher. En attendant, il ne se passe intellectuellement rien du côté de l'alternative de gauche à l'austérité. Et c'est un peu désespérant. Pour autant, le débat droite-gauche face à l'austérité n'est pas une invention idéologique. Bien sûr que dans la conduite de l'ajustement qui se profile il existe plus que des nuances. Des arbitrages plus avantageux aux riches ou moins anti-sociaux demeurent pendants. C'est ce qui fait la différence entre le gouvernement de Tsipras en Grèce et ses précédents de droite. Cela ne change malheureusement pas le fond de l'affaire. Les peuples payent plus cher leur adhésion silencieuse aux majorités politiques capables de leur «vendre» un «confort surcoté». Il ne fallait pas accepter électoralement le mensonge de la factice croissance grecque des années Karamanlis dopée par les fonds structurels européens, les déficits publics sans fin, et le maquillage des comptes. Les Algériens ne sont pas plus dupes. Ils ont construit un compromis tacite avec les années Bouteflika. Où leur part de la rente a été améliorée. Notamment grâce à l'alerte des émeutes de janvier 2011. Aujourd'hui, ils savent que le temps est arrivé d'attacher le sort de leur prospérité relative à une autre politique que celle de l'hyper-subvention et de l'arrosage «démocratisé». C'est pour cela que les députés qui disent «la vérité» sur l'impossibilité de poursuivre le gaspillage de l'énergie ainsi subventionnée ont plus de chance d'être écoutés par le grand public. Lui cherche un sens constructif aux augmentations de prix. Le drame de la conjoncture est que ceux qui pourraient le faire légitimement ne sont pas là. Ceux qui plaident pour un début d'ajustement par les prix sont, pour le moment, surtout des députés du RND. Ou des proches de Amar Saadani. Les Algériens n'ont donc pas envie de les croire. C'est dire si l'impasse est complète à la fin des années Bouteflika. Cela n'arrive pas tous les jours. Un acteur du capitalisme global était de passage à Alger pour 28 heures chrono en main. Fréderic Oudéa, directeur général du groupe Société Générale (Monde) a été reçu par le Premier ministre Sellal dès sa descente d'avion mercredi dernier. A Alger pour l'anniversaire des 15 années de la filiale algérienne du groupe, SGA, première banque privée de la place. La baisse des revenus de l'Algérie ? «Une opportunité pour diversifier son économie et changer la manière de la financer». Frédéric Oudéa s'est donc montré raisonnablement optimiste sur la conjoncture algérienne qui dispose «d'une marge financière plus importante que d'autres pays exportateurs de matières premières en ce moment en récession et déjà endettés». A condition d'agir vite. Et de savoir employer les expertises des acteurs mondiaux présents en Algérie. Exemple, dans le montage des partenariats public-privé, la relance du marché obligataire, ou encore l'accompagnement des investisseurs algériens à l'international. L'écoute était d'autant plus attentive chez les vis-à-vis algériens que le temps est sans doute arrivé où les banques privées – forcément étrangères M. le gouverneur - vont participer de plus en plus au financement de l'activité des entreprises et donc de la diversification. SGA en a profité pour annoncer un bond de 35% de ses engagements crédits auprès de sa clientèle algérienne. Les temps ont changé. A l'une des précédentes visites similaires d'un banquier mondialisé à Alger, le patron de la Deutch-Bank avait demandé à son interlocuteur - ministre de la Promotion de l'investissement : «que peut faire mon institution pour faire décoller le marché financier algérien ?». Il s'était entendu répondre : «Mais rien je crois, monsieur, nous croulons sous les liquidités». C'était au temps du pétrole à 120 dollars.