«Trois signes indiquent qu'on a vieilli : le premier c'est qu'on perd la mémoire... et les deux autres, j'ai oublié !» Guy Bedos Ses moustaches en guidon qui en ont fait un personnage pittoresque ne sont plus là. Son esprit toujours en alerte est trop pressé pour laisser une minute au temps. Aujourd'hui, Faouzi, qui a enlevé ses bacchantes, a plutôt l'air apaisé. Il a conservé cette allure à la fois assurée et nonchalante ainsi que ce mince filet d'ironie qui perce en permanence au coin de ses lèvres. A 67 ans, Faouzi est un jeune retraité actif, dont les liens avec le foot sont forts, très forts. Inoxydables. Un détail : sa sacoche, qu'il a toujours traînée comme une vieille complice, ne l'a pas quitté ! Boubaha Faouzi a été secrétaire général de la FAF, assurant même la présidence par intérim de l'instance dans des moments difficiles où, terrible paradoxe, le foot a continué malgré tout à vaquer à ses occupations alors que la peur ligotait les corps et les esprits dans ces années de feu qui ont traumatisé le pays et les hommes. «Heureusement d'ailleurs que le foot est resté, murmure Faouzi, car ce foot-là a gagné la partie en dépit de tous les périls bien au-delà du sport.» Au-delà du ballon rond disions-nous, qui mobilise et qui, dans nos sociétés sevrées d'autres combats, tient lieu de culte collectif, exutoire des violences et des frustrations. Aussi, était-il utile d'aller fouiner et disséquer de l'intérieur ce qui faisait la vie du ballon rond en ces périodes troublées. Faouzi a accepté de franchir le seuil de ce voyage en nous livrant sa vie en ballon à travers ses jugements, ses anecdotes et ses espoirs. Mais tel un boxeur, jamais Faouzi ne baisse la garde ni ne se découvre entièrement. «Malgré les peines et les périls, on a pu donner un peu de joie et d'espoir à des populations angoissées qui avaient besoin de cela pour décompresser», annonce-t-il en préambule. Entre le marteau et l'enclume Faouzi s'y est employé en apportant son énergie, sa science et surtout son instinct. Aujourd'hui, il parle à haute voix, comme pour mieux s'en convaincre, d'un football toujours à réinventer car notre interlocuteur fait partie de ceux qui, non pas par nostalgie, n'admettent pas que le sport soit submergé par des considérations bassement mercantiles. Les palpitations du stade font toujours rêver Faouzi, mais il se méfie de cette passion qui dépasse parfois les limites, mais soigneusement entretenue par les pouvoirs publics qui savent qu'il n'y a pas meilleur exutoire, pour les foules déchaînées, à tout ce qui ne pas, bien au delà des résultats du club. Cheville ouvrière à la FAF, ce n'était pas une sinécure, surtout dans les conditions qui étaient les siennes. «Un poste pareil dans un pays passionné de foot, blessé de surcroît, c'est lourd à porter quand on trébuche. C'est fatal, on glisse. Moi j'ai fait du mieux que j'ai pu avec des personnes qui ont travaillé pour l'amour du sport, totalement desintéressés. Aujourd'hui les choses ont complètement changé, souvent dans le mauvais sens», regrette-t-il. Faouzi évoque cet homme exceptionnel qu'était Haraïgue. «A l'époque, il y avait Rachid Haraïgue comme président de la FAF. Un grand monsieur, militant de la première heure, mais qui hélas n'est resté que six mois à la tête de l'instance. Assassiné. Sous son mandat ont été organisées avec succès les Assises nationales du football. Et il a procédé au renouvellement, en fait à l'assainissement, de quatre ligues régionales sur les six (Alger, Oran, Constantine et Béchar), considérées comme de véritables potentats. Ce changement s'est effectué malgré les menaces et sans répercussions néfastes sur le déroulement de la compétition, certains ont même brandi le spectre de la démission collective pour impressionner, pensant perturber le cours des événements. Mais Rachid, qui en avait vu d'autres, m'avait dit : ‘J'en assume totalement les conséquences'. On était en 1994, dans le ‘feu' de l'action.» L'actualité brûlante du football ne le laisse pas indifférent. «C'est un engrenage inéluctable, il y a eu trop d'argent, trop vite, et la gestion n'a pas été efficiente à travers tous les projets inaboutis. Ça a été trop rapide, exponentiel. Forcément, il y a eu de la casse.» Faouzi a bien connu les rouages de la FIFA pour y avoir effectué des stages périodiques aux côtés de son ami Infantino, l'Italien qui pourrait demain présider aux destinées de l'instance. Il est jeune et peut apporter une vision sereine et dépassionnée. «Il a du charme et de la compétence et il a fait ses preuves l'UEFA, pourquoi pas ? Quant à Blatter, il a restructuré la FIFA, quoi qu'on dise. L'Algérie, à travers son ministre Aziz Derouaz, l'a aidé dans son duel avec Johanson pour le poste de président en 1998, en cassant la majorité africaine favorable à son concurrent. J'étais seul à la FAF, avec un seul employé. Le ministre avait mis en congé d'office tous les employés, il avait en quelque sorte fermé la FAF.» «Je me souviens, de cette AG houleuse qui a porté Laïb à la tête de la Fédération mais la FIFA s'y était opposé. Le SG de cette instance est venu à Alger. On a mené une bataille de trois mois avec la FIFA car l'invalidation était dans l'air. On a fait, le conseiller Sid Ali Azzoug et moi, plusieurs aller-retour Alger-Zurich. L'intérim était assuré par le bureau de Saïd Amara, finalement le bon sens a fini par s'imposer et une nouvelle élection a plébiscité Omar Kezzal. On a réussi à faire admettre et adopter par la FIFA l'histoire du tiers bloquant, alors que l'instance mondiale avait toujours bataillé contre les immixions des gouvernements dans la gestion du football.» La solitude du SG Faouzi révèle dans un glissement d'yeux qu'une équipe, aussi réduite soit-elle, malgré les infortunes, peut grâce au bonheur de travailler ensemble, franchir tous les caps. «Je tiens à déclarer que pendant cette période où l'Algérie était soumise à un sordide embargo, il y a eu des hommes qui nous ont soutenus, tels Havelange. Tous ses adversaires ne voulaient pas venir disputer les matches de Coupes africaines, les arbitres rechignaient ainsi que les commissaires de match. Un jour, lors d'une réunion au siège à Zurich, Havelange a pris à témoin tous les présents en ma présence : ‘Messieurs, tout le monde sait ce qui se passe en Algérie. C'est atroce et regrettable. Mais c'est l'un des rares pays où il n'y pas d'incidents dans les stades. C'est le foot qui maintient encore cette lueur d'espoir et vous voulez l'éteindre. Ressaisissez-vous. Aidez l'Algérie'. Ces paroles m'avaient ému, mais ont insufflé en moi un une dynamique. A la FAF je recevais les requêtes des clubs confrontés au diktat des terroristes, mais on a avancé ensemble, bravant l'adversité, en continuant à animer les stades. Je crois que ces attitudes courageuses de s uns et des autres, il ne faut jamais les oublier…» ,«Je me rappelle que durant cette période, il y avait un élan de solidarité qui nous a fait beaucoup de bien. On a gagné sur tapis vert avec l'aide d'un diplomate, M. Salaouandji, qui s'est déplacé en Gabon et nous a ramené les documents nécessaires pour faire les réserves sur le Soudan. Un autre membre du bureau de la FAF de l'époque, M. Zenasni, m'avait prêté 100 euros pour pouvoir payer les réserves. Nous n'avions pas d'argent. Finalement, on a obtenu gain de cause et on s'est qualifiés au détriment du Soudan !» Aujourd'hui, note Faouzi, «avec les moyens qui circulent actuellement, nous aurions fait énormément au profit des structures de base et des ligues de wilaya, qui se débattent dans des problèmes inextricables, apparemment délaissées par la tutelle». Durant son exercice Faouzi, en a vu des vertes et des pas mûres, mais parmi les affaires scabreuses qui peuplent la vie de l'instance fédérale, nous n'en avons choisi qu'une qui avait défrayé la chronique à l'époque. L'affaire de la double signature de Fayçal Badji, que le CSC et le CRB se disputaient. Le joueur, au milieu du gué, avait mis les deux clubs dans une situation embarrassante et la FAF encore davantage. Où va notre football ? «Je me souviens très bien de cet épisode, marqué par une passion exacerbée et un interventionnisme inadéquat. Le CSC était couvert par le général Betchine, dont on sait qu'il est un fervent du club. Un pur, Lefkir, président du CRB, s'amène à la FAF sous la férule du général Lamari pour réclamer la licence de Badji. ‘Tout Belouizdad m'attend', m'avait-il confié. Et comme je lui ai répondu que la commission présidée par Abdelhamid Berchiche n'avait pas encore tranché. Il est tombé en syncope. Alerté, Rachid Kheliouati qui était à l'étage inférieur, siège de la ligue professionnelle qu'il présidait, accourut pour nous aider à surmonter cet imprévu. Finalement la commission a tranché en faveur du CRB qui devait cependant dédommagé le CSC en payant un million de dinars que Boulahbib, président du club constantinois, refusa par orgueil.» Sur le football actuel, Faouzi n'est pas intarissable, préférant garder ses avis pour lui. Mais il convient que «tout le monde y trouve son compte. C'est un monde gangrené par l'argent. Les assemblées générales d'avant réunissaient presque 500 personnes et étaient marquées par des débats passionnés et houleux. Il y avait de fortes personnalités aux voix qui portaient. Actuellement, ce ne sont quelques dizaines pour qui l'AG n'est qu'une simple formalité, je pense que toute la différence est là…» «Cela dit, il faut rendre hommage à Derouaz qui a créé le Groupement du football professionnel, qui a lancé les prémices de ce système. J'ai été destinataire d'une décision ministérielle me nommant chargé du foot professionnel, qui n'a pas été abrogée ! Donc toujours en vigueur. Folklorique. Des textes ont été élaborés il y a plus de 20 ans. Le cheminement tracé n'a pas été suivi, sans compter que le statut de SPA n'est pas respecté. On aurait pu faire des centres de formation à titre gracieux, qui seraient subventionnés par tous les partenaires de l'Algérie, Shell, sociétés pétrolières... sur leur budget de publicité. Il y a eu malheureusement des blocages. De plus, pourquoi faire parrainer les activités du foot par une entreprise nationale, donc avec l'argent du Trésor public, alors que c'est la vocation des opérateurs étrangers qui activent chez nous et qui tirent d'énormes bénéfices ? Pourquoi grever notre budget au moment où l'appel à l'austérité se fait de plus en plus pressant ?» Evoquant la violence dans les stades, Faouzi estime que c'est un fait de société souvent attisé par ses propres acteurs (dirigeants, joueurs supporters). Il a proposé d'accorder plus de facilités aux plus de 60 ans dans les stades pour forcer le respect et assurer la gratuité aux enceintes sportives pour la gent féminine. Mais Faouzi revient toujours à la base : «Il faut arrêter un taux de subventions octroyées aux clubs, aux catégorie jeunes qui disposeraient d'un staff distinct avec un président, un comptable distinct.» Comme on le constate Faouzi jongle avec les idées et les projets, mais se heurte souvent à l'incompréhension des autres. Mais parfois, avoue-t-il, les choses se font comme ça, par le fait du hasard. «J'ai trois filles. Lors de la décennie noire, je ne pouvais pas les laisser sortir de la maison avec tous les risques à chaque coin de rue. A la maison, elles s'ennuyaient. Je leur ai acheté des jeux de construction en Legos, qui apparemment les passionnaient. J'ai crée des vocations sans le savoir. Elles sont devenues bâtisseuses puisque, bien après, toutes les trois exercent en tant qu'architectes. Bâtisseur, Faouzi lui aussi ? Sans doute.