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Entre évolution juridico-constitutionnelle et persistance d'un déni politico-idéologique
Révision constitutionnelle et Tamazight
Publié dans El Watan le 25 - 02 - 2016

Une malencontreuse manipulation technique a déformé la première phrase de la contribution de Me Salah Hannoun publiée dans notre édition du 23/02/2016. Nous la reproduisons in-extenso. Nos excuses à l'auteur et à nos lecteurs.
La problématique identitaire s'est imposée derechef à l'Algérie, dès son indépendance, en 1962. Certains choix, faits d'une façon autoritaire par le pouvoir du président Ben Bella, ont eu comme objectif principal de mettre l'arabité comme socle de l'identité algérienne, par substitution à l'amazighité qui en est la référence historique et originelle.
Son fumeux «L'Algérie est arabe, arabe, arabe !» porte en lui le sillon traumatique de tout le peuple amazigh d'Algérie. Cet acharnement contre l'amazighité a commencé à prendre racine durant la guerre d'indépendance notamment, un terreau pour l'interventionnisme du président égyptien Nasser, sous couvert de la fraternité arabe, qui fut l'un des chantres du «panarabisme». L'Algérie indépendante a offert donc un prolongement politique, juridique et identitaire à ce «Baâthisme» (Renaissance arabe), fruit du nationalisme arabe d'un certain «Michel Aflak», en décrétant que l'Algérie est l'un des wagons d'un tramway nommé «arabisme».
C'est le grand poète et penseur Ali Ahmed Saïd (alias Adonis), un autre Syrien, qui disait : «Si tu veux être un musulman ou un arabo-musulman, il faut imiter le parfait de l'histoire» (sic). Ipso facto, déduction faite inhérente à notre problématique identitaire nationale, cela a comme implication politique directe d'opérer des coupes (un euphémisme) dans tout ce qui ne concorde point avec le «parfait» de ladite histoire arabe sublimée par le «Baâthisme». Et comme Tamazight renvoie à une autre histoire, une autre culture, une autre langue, une autre identité, l'ostracisme est de rigueur.
En Algérie, durant ces cinq décennies, l'essentialisme identitaire a toujours été le soubassement de plusieurs politiques d'aliénation visant des secteurs névralgiques multiples : l'école (quel traumatisme que d'arriver à l'école primaire à l'âge de 5 ans, n'ayant que Tamazight comme langue vernaculaire, et d'entendre l'instituteur parler une langue étrangère à son propre vécu, présentement l'arabe !), la justice (des magistrats qui s'adressent en arabe aux vieux Kabyles monolingues dans un dialogue de sourds), l'administration, etc.
C'est ainsi que des pans entiers de l'Etat ont été mis à contribution afin d'arrimer l'Algérie à un «Maghreb arabe», politiquement inventé ex nihilo par le fait du prince, et à une «nation arabe» chimérique, et ce, au détriment d'une toponymie persistante et d'une réalité culturelle, identitaire et linguistique vécue au quotidien par des millions des Imazighen dans plusieurs régions amazighophones d'Algérie, dont la Kabylie n'est point des moindres.
Une Kabylie qui, grâce au renouveau culturel des années 70', a toujours été à l'avant-garde du combat, nonobstant la répression systématique de toutes les actions inhérentes à la réhabilitation du socle identitaire amazigh de l'Algérie. La création du Mouvement culturel berbère (MCB) en Kabylie et la systématisation de la politique du pire par la Sécurité militaire lors de la violente répression du «Printemps berbère», le 20 avril 1980, canaliseront la revendication en lui offrant un cadre unitaire pour la militance amazighe.
A partir du séminaire de Yakouren (Kabylie, août 1980), la revendication identitaire amazighe est devenue un élément constitutif d'un projet de société démocratique, laïque et de gauche. En face, le renforcement des politiques d'arabisation, corollaire d'une islamisation de la société et des institutions de l'Etat, en sus de la répression, furent des constantes dans la politique du pouvoir algérien à l'encontre des revendications identitaire, culturelle, politique et démocratique de la Kabylie.
Dans ce contexte politique évolutif, la Constitution du 23 février 1989, tout en consacrant la pseudo ouverture démocratique, continuera dans la logique du déni identitaire de l'amazighité en faisant de l'arabe la seule langue nationale et officielle de l'Etat algérien. Dans le même corpus constitutionnel, l'islam maintiendra sa proéminente place de «religion d'Etat». Avec la consolidation de ces deux «constantes nationales», constat est fait que l'évolution du pouvoir algérien sur la problématique identitaire amazighe n'était point à l'ordre du jour, malgré le discours d'ouverture affiché par Chadli Bendjedid, le président de l'époque.
Cependant, cette nouvelle Constitution aura eu le mérite de permettre la création de partis politiques qui exigeront un statut constitutionnel à Tamazight en tant que langue nationale et officielle. De facto, une décennie après la répression sanglante du «Printemps berbère», la problématique identitaire amazighe s'enracine dans le débat public, aux côtés de la nécessaire édification d'un Etat laïc et d'une République démocratique.
La «grève du cartable», boycott de l'année scolaire et universitaire 1994/1995, une première mondiale à forte charge politique et symbolique en faveur de la défense de l'identité d'un peuple autochtone, en opposition avec les choix négateurs de l'Etat, constituera un tournant politique et populaire majeur dans la stratégie des Imazighen de Kabylie pour imposer un statut de jure à Tamazight. Celui-ci interviendra en avril 1995 avec la promulgation d'un décret présidentiel portant création d'un «Haut Commissariat à l'Amazighité» chargé de la promotion de Tamazight dans le système éducatif. Ce fut le premier acte juridique et officiel de l'Etat algérien en faveur d'une timide et contrôlée réhabilitation de l'amazighité.
Même si la volonté politique, franche et sincère, n'y était point, les référents idéologiques du pouvoir, «l'arabo-islamisme» en l'occurrence, ayant été encore une fois consacrés d'une façon exclusive dans la nouvelle Constitution de 1996, la pression populaire a permis d'arracher un tel acquis, et ce, avec la nette conscience que l'engagement populaire et militant est plus que jamais de rigueur. L'autoritarisme étant le mode de gouvernance du pouvoir algérien, et face aux revendications politico-identitaires de la Kabylie, en opposition frontale avec sa stratégie nihiliste, la répression a été remise au goût du jour lors du «Printemps noir de Kabylie», en 2001 et 2002.
Le bilan fut sanglant et meurtrier : 126 manifestants assassinés par des gendarmes, des centaines de blessés et de détenus. Dans ce contexte d'extrême tension, la problématique identitaire amazighe refera surface, aux côtés des autres revendications politiques et sociales, notamment dans la plateforme de revendications de «Leqser» (ville de la Kabylie maritime). Avec une Kabylie en état d'insurrection permanent, et dans un geste voulu d'«apaisement», le président Bouteflika modifia la Constitution, avec l'aide d'un Parlement aux ordres, en y introduisant un article 3bis dans le corpus constitutionnel.
Toujours dans la logique de la hiérarchisation des référents identitaires de l'Algérie, la primauté et la priorité revenant, politiquement et de droit, à «l'arabo-islamisme», l'idéologie du pouvoir depuis 1962, Tamazight aura droit, dans cet article 3bis, simplement au statut de «également langue nationale», avec l'article 3 consacrant «l'arabe comme la langue nationale et officielle», comme ce fut le cas dans les précédentes Constitutions (1963, 1976, 1989, 1996). Il est donc fort utile d'insister sur le « bis» et le déterminant «la» qui imposent le caractère subsidiaire de la langue Tamazight, d'un côté, et le caractère exclusif de l'arabe, d'un autre côté.
Ce revirement tactique du président Bouteflika, membre influent du pouvoir dictatorial depuis 1963 et connu pour avoir insulté la Kabylie en septembre 1999 lorsqu'il déclara que «Tamazight ne sera jamais, jamais, jamais officielle et pour qu'elle ait un statut de langue nationale, il faudra passer par la voie référendaire» (sic), nous le considérons comme une manœuvre dilatoire pour faire oublier la violente répression et l'impunité politique et judiciaire offerte aux gendarmes assassins, ceux-ci n'ayant jamais été jugés à nos jours, malgré la revendication de justice, au lieu d'être une remise en cause de l'apartheid identitaire arbitrairement imposé à l'amazighité.
C'est donc dans le sillage de cette même logique politique faite de calculs politiciens étroits, en rapport direct avec la consolidation du système, que le président Bouteflika a procédé, le 7 février dernier, à l'adoption de sa troisième révision constitutionnelle, sans débat ni possibilité d'amendements, par la voie étroite d'un Parlement issu d'une fraude électorale massive, 17 ans après son arrivée au pouvoir. Un pouvoir exercé dans un absolutisme total, avec la répression et le déni des libertés comme mode de gouvernance (Cf. supra). Dans les amendements apportés à la Constitution, dont un préambule qui pose les jalons d'un arabo-islamisme sans nuances en faisant de «L'Algérie, terre d'islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain...».
Exit la référence à l'amazighité comme référent identitaire de l'Algérie. C'est donc la mise à nu de la portée politique limitée de la supposée «volonté réformatrice» du président Bouteflika qui est censée sous-tendre cette révision constitutionnelle. Dans ces amendements, force est de constater, sans remettre en cause la non volonté politique, conséquence des ambiguïtés qui minent ce pouvoir, que Tamazight aura droit à une évolution de son statut juridico-constitutionnel, mais tout en restant dans la logique négative de la hiérarchisation ci-dessus décrite.
En effet, tout en faisant, dans l'article 3 du corpus constitutionnel, de l'arabe «La langue nationale et officielle de l'Etat», Tamazight sera promue au rang de «langue nationale et officielle», toujours dans un article 3bis alors qu'une volonté politique réelle et sincère aurait fait des deux langues des langues nationales et officielles en formalisant ledit statut dans un seul et unique article 3. Cette volonté de minorer Tamazight dans le concept formel, sa formulation et la catégorisation de la norme constitutionnelle qui régit la problématique linguistique en Algérie se trouve ici renforcée surtout en rajoutant le terme «Etat» au statut officiel de la langue arabe.
L'homme de droit sait pertinemment qu'une langue n'est officielle que quand elle est la langue des institutions dudit Etat. C'est la voie linguistique de l'expression de ses institutions et de ses actes juridiques et politiques officiels. La preuve : depuis la Constitution de 1963, la langue arabe a toujours été «la langue nationale et officielle». Les rédacteurs des quatre Constitutions et de leurs multiples amendements, toujours imposés d'une façon autoritaire par le pouvoir politique, n'ont jamais pris le soin d'accoler le terme «Etat» au statut officiel de l'arabe car ils savent que, de facto, elle est la langue officielle de l'Etat.
Cette grossière manœuvre, voulue de subtilité faite, dans la rédaction de l'article 3 n'a donc comme portée politique que de nuancer, encore une fois, par le truchement de la sémantique, et au mépris de la théorie du droit constitutionnel et de la norme et concepts juridiques, la place de Tamazight au sein de la Constitution en la reléguant au second degré, tout en renforçant l'arabe dans son hégémonisme de constante nationale intouchable et comme disposition constitutionnelle non révisable. Compte tenu de ces éléments d'appréciation, certitude que ce pouvoir n'octroie rien derechef.
Il ne fait que céder face à la pression populaire, quand celle-ci est forte et constante, ce qui a toujours été le cas de celle portée par le Mouvement culturel berbère en faveur de la réhabilitation de l'identité amazighe de l'Algérie (et de Tamazgha, par extension). Présentement, conviction est faite qu'il transposera le débat sur le terrain de la transcription en essayant, grâce aux prérogatives de la puissance publique (les fameux trois P), d'imposer les caractères arabes, par opposition au Tifinagh, l'alphabet millénaire de Tamazight, et aux caractères latins qui ont la préférence et des linguistes et des militants que nous sommes.
Une façon sournoise de faire de Tamazight l'enfant mineur de l'identité algérienne. Dans ce contexte, il est évident que ce statut n'est point une finalité. Il n'est d'ailleurs même pas définitif puisque Tamazight n'est pas considérée comme une composante intangible et non révisable dans cette Constitution puisque les dispositions y afférentes (l'article 3bis en l'occurrence) sont sujettes à amendement, contrairement à l'arabe et à l'islam dont le statut est blindé de jure, conformément à l'article 178 qui stipule que «toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte aux huit points fondamentaux de l'Etat». Des points fondamentaux desquels est exclue Tamazight.
Un aveu politique criant qui n'est point une surprise connaissant le socle idéologique «arabo-islamique» de ce pouvoir. Quid donc des éventuelles portées concrètes et immédiates d'un tel statut ? Sans être exhaustif, et pour illustrer le propos en prenant l'exemple de la pratique professionnelle judiciaire, il fallait, pendant de longues années, engager un bras de fer avec des magistrats pour plaider en Tamazight, en faveur de justiciables ne parlant et ne comprenant que Tamazight, celle-ci étant leur langue maternelle et vernaculaire.
Durant ces années, lesdits magistrats avaient tout le corpus juridique en faveur de ce déni identitaire. Avec ce nouveau statut, le même bras de fer continuera car l'arabo-islamisme a fait des ravages au sein des institutions de l'Etat, mais aussi à cause de cette notion de «langue officielle de l'Etat» qui projette d'imposer une distinction fallacieuse, sans portée juridique réelle, entre les deux langues officielles que sont dorénavant Tamazight et l'arabe.
Cette disposition sera par eux activée, à coup sûr, car les tenants de l'arabo-islamisme, tapis dans les institutions et ceux au sein des mouvements islamistes notamment, étant fort tenaces reviendront inéluctablement à la charge pour contrer cette avancée, cette victoire formelle et symbolique remettant en cause d'une façon profonde leur conception de l'Algérie considérée, jusqu'à maintenant, exclusivement comme terre d'islam et de l'arabe au détriment de tout autre diversité millénaire culturelle, linguistique, identitaire et religieuse.
Nonobstant tous les subterfuges juridiques mis sournoisement en place pour endiguer la portée réelle du nouveau statut de Tamazight dans le corpus constitutionnel, constat est néanmoins fait que le statut de «Egalement langue nationale et officielle» est, pour les millions d'Imazighen qui n'ont de cesse de militer pour la réhabilitation de l'amazighité de l'Algérie, langue, culture et identité, une concrète victoire politique, certes fragile et nuancée, vu l'apartheid identitaire par nous subi durant cinq décades.
Une fragile donc victoire formelle et de jure qui nous impose lucidité, vigilance et engagements constants et agissants afin d'imposer des prolongements concrets et pratiques pour Tamazight dans le sens de la consolidation de son introduction définitive dans les institutions officielles de l'Etat (école, université, justice, administrations, etc). In fine, forte est la conviction que la pérenne floraison politique et juridique de Tamazight exige l'indispensable changement du mode d'organisation de l'Etat, dans le respect des spécificités régionales de l'Algérie, car le jacobinisme actuel a été, depuis 1962, l'ossature institutionnelle alibi de cet apartheid identitaire.
Et c'est axiomatique que le véritable combat pour Tamazight, un statut pour la Kabylie et la démocratie ne fait que commencer et aucune manœuvre juridico-politique ne saura ni nous dévier de notre trajectoire initiale ni nous faire oublier que le socle dictatorial de ce pouvoir n'a point changé. Dont acte.


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