La polémique autour des récents propos de Benzema reprochant à Didier Deschamps d'avoir cédé à la pression d'une partie raciste de la France en ne le sélectionnant pas continue à susciter des réactions en série et démontre à quel point le football est rattrapé par les enjeux identitaires et politiques. En 1998, on avait vanté le rôle que la fameuse équipe Black-Blanc-Beur avait joué en faveur de la cohésion nationale et du renforcement du sentiment d'appartenance des jeunes Français issus de l'immigration. Dès lors pourquoi nier que la non-sélection de deux grands joueurs que sont Ben Arfa et Benzema induit aujourd'hui un effet inverse, soit un sentiment de mise à l'écart de la composante maghrébine de France, tout cela dans un climat déjà marqué par la montée en puissance des thèses xénophobes et du repli identitaire. Dans une France dominée par les élites blanches de l'Assemblée nationale aux conseils d'administration des grandes sociétés, en passant par les instances dirigeantes du football, comment des jeunes, qui subissent quotidiennement la discrimination, pourraient-ils se raccrocher à l'idéal républicain et rejeter tout soupçon de tentative délibérée d'écarter les leurs, de la sélection nationale. D'autant que le Premier ministre Valls est maladroitement, mais de façon opportuniste, intervenu lui-même dans le débat en souhaitant la non- sélection de Benzema. Une expérience que j'ai récemment vécue a renforcé mon opinion que la France se polarisait de plus en plus et que le football ne faisait que révéler cette situation. En rentrant chez moi le soir de la finale de la Ligue des champions Réal de Madrid-Atletico de Madrid, je tombe à Belleville sur une brasserie avec un grand écran plat qui diffuse les prolongations. Je m'installe au comptoir avec une belle vue sur l'écran et sur les clients. Ceux qui sont attablés sont exclusivement Franco-Français. Avec moi au comptoir, se trouvent quelques jeunes hommes, probablement Kabyles, comme Amar le patron de la brasserie. Le match semble se réveiller et l'Athlético arrive à se créer quelques occasions. Je note alors que les quelques tablées de Franco-Français supportent tous bruyamment l'Atletico et pas le Réal de Zizou, ex-personnalité préférée des Français, légende de 1998. J'essaye de comprendre pourquoi : attrait pour les outsiders ? Présence de Griezmann ? Un Français bien blanc. Je penche pour la seconde hypothèse et me remémore un des premiers matchs de Zidane en tant qu'entraîneur où j'avais remarqué que mes amis algériens supportaient avec passion le Réal de Zidane et Benzema. Chez Amar pourtant, les quelques client algériens, tout en suivant intensément le match, ne manifestaient leur préférence ni pour un camp ni pour l'autre. Volonté de ne pas gêner leur ami patron ? Sentiment d'être minoritaire ? Arrivent les tirs au but : au premier but de l'Atletico, explosion de joie de toutes les tablées. Puis tout va très vite, l'Atletico rate son quatrième penalty jetant un grand froid dans la salle. Ronaldo marque le cinquième penalty et là, finalement, après plus de deux heures de match, la poignée d'Algériens explose. L'un d'entre eux, presque en transe, se met à hurler : Zidane ! Zidane ! Zidane ! avant d'être évacué à l'extérieur par un de ses camarades. Benzema est interviewé par une journaliste. Un des clients lâche : «Je ne peux pas l'encadrer ce bâtard.» Tiens, une autre raison de supporter l'Atletico. Sextape, Valbuena, refus d'intégrer Benzema dans l'équipe de France... Je me rejoue cet autre match qui cristallise également des références ethniques. Je me rappelle aussi un ex-collègue, Laurent, qui lors de la Coupe du monde de 2002, ne pouvait pas blairer Zidane et ne jurait que par Platini. Tiens, aujourd'hui, l'un est au sommet de la gloire et l'autre privé d'Euro et de présidence de la FIFA pour corruption.
Par Farid Yaker : Economiste, président du Forum France-Algérie