C'est un fait avéré que l'arrivée de cette frange cultivée dans les structures du FLN-ALN a eu des incidences positives, notamment en matière d'encadrement des structures sanitaires et diplomatiques ou d'information. Cela n'a pas exclu des interrogations qui redonnent toute sa saveur et sa valeur à l'écriture de l'Histoire. Elle n'est pas un simple exercice qui fait l'économie d'une réflexion. Les historiens et les acteurs soulèvent à propos de cette date historique une double question. Qui fut réellement l'initiateur de l'appel à la grève illimitée ? Ou à tout le moins, s'est-on précipité dans la prise de décision, en sacrifiant des compétences dont l'Algérie avait besoin pour se reconstruire ? L'UGEMA (Union générale des étudiants musulmans algériens) annoncera, le 14 octobre 1957, lors d'une conférence de presse à Paris, la fin de la grève, mais les étudiants algériens seront formés davantage en Allemagne de l'Est, au Moyen-Orient. Vis-à-vis du colonialisme, le message fut très très fort. Beaucoup ont apporté leurs témoignages dans des ouvrages ou des conférences publiques. Dans le premier tome de ses mémoires*, Ahmed Taleb Ibrahimi qui fut le premier président de l'UGEMA née à Paris en juillet 1955, n'a pas soufflé mot sur le 19 Mai. Est-ce du fait qu'à son déclenchement, il n'était plus, remplacé par Bellaouane, le premier responsable de cette structure ? Il avait rejoint le comité fédéral de la fédération de France. Faut-il y déceler le fait que tout fut conçu et décidé à Alger, sans en référer à l'UGEMA ? Belaïd Abdeslem dans un livre d'entretiens avec Ali El Kenz et Mahfoudh Bennoun, corrobore cette thèse. « On était arrivé à l'idée de dissoudre l'UGEMA en tant qu'organisation légale pour passer à une action directe sur le plan politique avec le FLN, car organiquement, nous restions une entité indépendante ». Entre-temps, les choses se sont précipitées à Alger, suite à l'arrestation d'un étudiant, Zeddour Belkacem. La section d'Alger de l'UGEMA avec pour principaux animateurs Lamine Khène et Allaoua Benbatouche, avait lancé l'appel à la grève. Les « Parisiens » sont pris de court et furent mis devant le fait accompli, mais s'inscriront dans le mouvement ». L'ancien ministre de l'Industrie, qui a été un des acteurs majeurs des évènements, estime que la grève des étudiants a eu un impact très positif sur les plans politique et organisationnel. « Elle a renforcé le moral des couches populaires soumises aux épreuves du combat et de la répression, en voyant une catégorie relativement privilégiée pour l'époque, renoncer à ses avantages et son confort pour se tenir auprès d'elle ». Lamine Khène témoignera plus tard.« Belaïd arrivera à Alger quelques jours après, envoyé par les camarades du CE qui voulaient s'informer davantage de ce qui se passait à Alger. Sur leur intervention et à leur demande, le voyage sera facilité par les autorités à Paris, qui espéraient, peut-être, voir la décision d'Alger reportée. Benkhedda confirme à Belaïd l'accord et le soutien du FLN à l'initiative des étudiants et lui indique son désir de voir la grève étendue à l'ensemble de l'UGEMA ». Au retour de Belaïd à Paris, le Comité directeur lance son appel du 25 mai. A partir de là, l'initiative des étudiants d'Alger devient une décision du FLN. « La grève a conforté, par ailleurs, la représentativité du FLN face au jeu des Messalistes, du PCA et de l'administration coloniale en quête d'une hypothétique troisième force », avouera Belaïd Abdeslam. L'AUTRE CHAPITRE La naissance de l'UGEMA fut un moment important de l'évolution du nationalisme algérien. Elle interpelle encore les historiens et les politiques sur un autre chapitre, la définition de l'identité nationale. Pour ses contempteurs, à l'image de Harbi, c'est une approche confessionnelle qui avait prévalu lors de sa constitution. Il a rapporté dans un de ses livres * les protestations du couple Chaulet refusant de « jouer les Européens de service » et les déboires de la psychiatre Alice Cherki. D'autres, à l'exemple de Redha Malek, estiment que « la revendication de l'Indépendance concernait avant tout le peuple algérien. Qu'il y eut des non musulmans progressistes qui sympathisèrent avec cette cause, était un fait digne d'éloges ». Le négociateur d'Evian s'interroge. « Cela devait-il pour autant entériner une remise en cause des composantes de l'identité nationale ? » En somme, l'Algérie ne serait pas cette juxtaposition de races et de communautés, une théorie chère à Maurice Thorez. La grève des étudiants ne relève pas seulement de l'ordre de l'engagement pour une cause. Elle interpelle sur le rôle des élites, la rupture avec l'écriture qui célèbre des dates réduites à l'aspect guerrier, sans les interrogations qu'elles devraient susciter. H. Rachid * Mémoires d'un Algérien – tome 1 (Rêves et épreuves) / 2006 Casbah Editions * Le FLN documents et histoire 1954 -1962 P 718 / 719 (cosigné avec Gilbert Meynier) Casbah Editions 2004