Us n En cette période de chaleur suffocante, les habitués de la place de Thaghza, dans la commune de Assi Youcef, se souviennent avec nostalgie de ce «vendeur de neige» qui, des années durant, y écoulait son «or blanc», tout en créant une ambiance joyeuse en ce lieu de convergence des villageois. C'est toujours à la mi-journée, quand le soleil est au zénith, que Achour arrivait sur cette place, servant également de Tadjmaït, lieu de rassemblement des archs des Amlouline, en poussant devant lui son mulet, ahanant sous le poids de la précieuse charge (la neige). «L'or blanc arrive, l'or blanc arrive». C'est par cette phrase qu'il annonçait sa présence. La neige se vend car elle peut être consommée à l'état brut, croquée sous forme de cristaux ou, plus simplement, utilisée comme rafraîchissant une fois plongée dans de l'eau ou dans une boisson. Les clients ne se faisaient pas prier pour affluer vers le Yeti, comme le surnommaient ses intimes, en référence au vieux film américain : L'Abominable homme des neiges. Pourtant, d'un tempérament affable, Achour présente un profil qui ne rappelle en rien la méchanceté du Yeti qui semait la terreur dans une ville américaine. A peine assis sur un banc de maçonnerie à l'angle d'un café maure, le «dernier des Mohicans» , autre sobriquet dont on l'affuble, se mettait à servir des morceaux de neige qu'il découpait, à l'aide d'une faucille, d'un immense bloc qui émerge, avec un éclat de splendeur, d'un sac de jute relevé soigneusement pour mieux présenter la marchandise, tout en veillant à la garder à l'ombre. «Chacun son tour, il y en aura pour tout le monde», criait-il à l'adresse des clients impatients, en invitant ceux qui ne pourraient pas attendre de se rabattre sur la «neige artificielle», comme il se plaisait à désigner la crème glacée servie par des machines installées juste en face. Pour tempérer l'ardeur des uns et des autres, il avait toujours le mot qu'il faut pour égayer l'atmosphère. Ainsi, pour rassurer de jeunes chômeurs, il leur conseillait d'un ton gouailleur : «Laissez vos diplômes de côté et faites comme moi. Mon travail n'exige ni registre du commerce, ni déclaration d'impôts !» Achour savait aussi se montrer généreux avec les gens sans le sou. Ces derniers sont toujours servis et ne repartent jamais bredouilles. Mais souvent, il ne perdait rien au change car, solidarité oblige, des personnes se proposaient de payer à la place de ceux qui ne pouvaient pas le faire. Ce produit mythique, prêtant pendant l'hiver son burnous blanc au majestueux massif du Djurdjura, se raréfie considérablement en été. Seules les neiges éternelles résistent à la chaleur, en se conservant dans les entrailles de la montagne, notamment celles de Tissouwdale, sur le plateau de Haizer, surplombant Tala Guilef, où il est difficile de s'aventurer sans la présence d'un guide, voire d'un spéléologue. La difficulté d'accès dans ces gouffres est attestée par cette légende qui veut que la neige soit utilisée comme gage d'amour par de jeunes filles exigeant de leurs soupirants de prouver la sincérité de leur sentiment, préalablement à toute union, en se rendant dans un gouffre des hautes cimes du Djurdjura pour en ramener de la neige, avant le lever du jour. Aujourd'hui, âgé de plus de 60 ans, le vendeur de neige de Assi Youcef, qui connaît le moindre recoin du Djurdjura pour l'avoir sillonné pendant plus de 30 ans, tout comme son défunt père, dit préférer prendre sa retraite car ne se sentant plus la force de grimper «là haut», en pointant du doigt l'imperturbable massif granitique surplombant la commune de Assi Youcef. «La vente de l'or blanc ne m'a pas rendu riche, mais elle m'a aidé à élever dignement mes enfants, auxquels je souhaite un parcours autre que le mien», conclut-il, sentencieux.