La journée de tous les Algériens commence aux aurores lorsque, dans un vigoureux ensemble de haut-parleurs qui sifflent, grésillent et grincent, les muezzins appellent tout le monde à la prière, bébés y compris. Le sujet est tabou. Personne n'oserait émettre la plus petite suggestion de réglementer l'adhan. Ceux qui ne sont pas contents d'être réveillés aussi tôt alors qu'ils ne font même pas la prière, n'osent même pas se plaindre et rappellent, timidement, que du temps du Prophète (Qsssl), il n'y avait pas de mégaphones. Un jour que sur les ondes de la Chaîne III, un animateur avait effleuré le sujet avec néanmoins infiniment de délicatesse, comme s'il manipulait de la nitroglycérine, il se fit littéralement lyncher dans les prêches du vendredi et c'est tout juste s'il ne se fit pas traiter d'apostat. Après l'adhan, lorsque tout le monde sautera du lit, commenceront alors les choses sérieuses. D'abord par un concert généralisé et ininterrompu de klaxons. Les Algériens ont une relation très particulière avec les avertisseurs sonores de leur véhicule. Ils leur servent de moyen privilégié d'expression. Ainsi rien qu'à l'oreille, vous pourriez deviner si l'automobiliste envoie un signal amoureux à sa dulcinée, s'il demande à sa femme de sortir au balcon, s'il adresse un juron aussi hargneux que retentissant à un autre usager de la route ou s'il dit toute son impatience devant la longue file de voitures qui sont désespérément immobilisées devant la sienne. Certains vont même jusqu'à doter leur vieille guimbarde de trompes sophistiquées qui émettent de véritables symphonies. Les klaxons ne s'arrêteront pas de toute la journée et jusqu'à une heure avancée de la nuit. Personne n'a conscience de déranger. Klaxonner est une chose des plus naturelles. Tout comme mettre sa chaîne auto ou domestique à fond, de rouler sur une mobylette sans silencieux en pleine nuit et réveiller ainsi toute la ville. Il est tout aussi naturel de bricoler la nuit chez soi à coups de marteau ou de circuler en talons aiguilles à minuit sans craindre de déranger le voisin, de parler à haute voix dans une salle de lecture de bibliothèque, dans une salle de cinéma au moment crucial du film. Ceux qui ne ratent pas une occasion pour vous rappeler de respecter la quiétude des autres sont généralement des gens maniérés et qui ne comprennent pas que rien n'est plus dérangeant qu'un excès de silence.