Résumé de la 1re partie Le célèbre navigateur solitaire Chichester ramène des photos prises au cours d'une escale à l'île de Sable, ce fabuleux cimetière de navires en plein Atlantique, au quart de la distance qui sépare New York de la côte espagnole. L'avion amphibie passe à cent cinquante mètres au-dessus d'une épave de chalutier. «Ça c?est ?Le Galle?, un canadien qui s?est échoué en 1945», dit le pilote. Mary Boney, parlant toujours au photographe, poursuit son idée : «Tu t'arranges pour qu'on le voie bien, qu?on puisse l'isoler au tirage. Mais je ne veux pas avoir l'air d'être venue exprès pour lui. Si c'est lui, je ne suis pas censée l'avoir reconnu.» A l'approche de l'avion, les phoques s'enfuient des plages et se jettent à l?eau. Une minute plus tard, l'appareil survole une troupe de poneys serrés en rond les uns contre les autres, les plus petits au milieu pour les protéger des rafales chargées d'embruns et de sable qui secouent leur crinière. «Des poneys sauvages, explique le pilote. Il y en a eu jusqu'à cinq cents, iIs étaient tellement costauds qu'on en a vendu beaucoup.» «Oh !? Tu m'écoutes ? dit Mary en secouant le bras du photographe. On est là pour faire un reportage sur la façon dont vivent les habitants de l?île de Sable, point à la ligne ! Ce type on ne le connaît pas ! D'ailleurs ce n'est peut-être pas lui ! Si c'est lui, on prévient le journal en douce, mais officiellement, c'est le journal qui s'en apercevra en examinant les photos. Ils feront une première page. Sinon, on aura toujours un ?papier? sur l'île de Sable. Tu as bien compris ? ? Oh ! ça va ! réplique le photographe agacé. Tu es une petite garce et tu ne veux pas qu'on le sache ! ? Ne te fatigue pas, j'ai compris !» Mary Boney se détourne, vexée. Pendant ce temps, le pilote est encore descendu. Il leur montre une autre épave : «?L'Alpheus? ! Il s'est échoué en 1941, c'était un grec !» Un peu plus loin, une coque submergée dont les deux mâts se dressent encore dans les vagues tourbillonnantes. «?Le Manhasset?, ça c'est pas vieux, c'est l'année dernière. Il y a comme ça des centaines d'épaves, la plupart enfouies dans le sable.» L'amphibie se présente maintenant devant un lac sale d'une dizaine de kilomètres et amorce sa descente au-dessus d'une carcasse d'avion. «C'est l'épave d'un Liberator, commente le pilote. Il y en a plusieurs dans l'île de Sable de ceux qui partaient pour l'Europe pendant la guerre... Il y en a même un qui s'est jeté contre la tour de la radio !» Une secousse, une énorme gerbe liquide : lorsqu'il atteint la rive, le pilote sort le train d'atterrissage et roule sur la terre ferme. Déjà trois hommes surgissent dans un antique chariot tiré par des chevaux : le surintendant, le chef du service météorologique et le surveillant de l'île. Plus loin, accourent une quinzaine de personnes dont trois femmes et trois enfants. Toute la population de l'île est là sauf les quatre ou cinq employés de la radio ou de la météo en service. Mary Boney distingue immédiatement un colosse avec deux grands yeux verdâtres et doux dans un visage brutal. C'est l'homme de la photo. Mais est-ce l?assassin du juge et de sa femme ? Faisant les présentations, le surintendant voit que Mary est fascinée par le colosse. Il lui réserve avec humour une mention spéciale : «Voici David Haussner. Nous l'appelons King-Kong. Il est sur l'île de Sable pour écrire un roman. Il a obtenu une proIongation de son autorisation de séjour, soit que son roman n'avance pas, soit qu'il se trouve bien ici. Dans ce cas, il serait bien le premier.» En écoutant le surintendant, le grand bonhomme remue bizarrement la tête comme s'il essayait de sourire au petit bout de femme qui le contemple avec de grands yeux. Tout en prenant des clichés du groupe, le photographe murmure dans un sourire hypocrite : «Réveille-toi, ma fille ! J'avoue que le bonhomme est intéressant... Tu crois que c'est lui ?» (A suivre...)