Rescapé ■ Dauda Bello a vu les islamistes de Boko Haram de très près. Mais il a réussi à leur échapper sain et sauf, au terme d'une longue course à travers la montagne. «C'était horrible (...) Boko Haram tirait dans tous les sens», raconte-t-il, depuis Yola, la ca-pitale de l'Etat d'Adamawa, dans le nord-est du Nigeria, où il a trouvé refuge. La fuite effrénée de Dauda Bello a commencé le 29 octobre, alors qu'il se rendait à l'université de l'Etat d'Adamawa, à Mubi, où il enseigne l'anglais. Il a croisé des soldats sur les nerfs et de nombreux étudiants fuyant avec leurs bagages. «On était certains que Boko Haram arrivait», raconte le professeur de 58 ans. M. Bello a alors mis deux de ses enfants et trois autres personnes dans sa voiture pour tenter de fuir la ville. Mais il a dû s'arrêter chez un garagiste pour une réparation de dernière minute. Au moment où il s'apprêtait à sauter dans un rickshaw pour se rendre à la banque, Dauda Bello est tombé nez-à-nez avec des islamistes armés qui tiraient en l'air et sur les immeubles. Une fois en voiture, il a dû emprunter de petites routes de montagne pour fuir jusqu'à Yola, où il est arrivé le jour suivant. M. Bello fait partie des 1,5 million de Nigérians qui ont dû abandonner leur foyer à cause de l'insurrection islamiste, dont les violences et la répression par l'armée ont fait plus de 13 000 morts au Nigeria en cinq ans. Dans la foule compacte amassée sous le soleil devant le Conseil musulman de Yola, de nombreux déplacés ont une histoire de fuite à raconter, similaire à celle de M. Bello. Fuyant les islamistes, ils ont parfois dû marcher pendant des jours avant d'arriver dans la capitale provinciale. Ali Kulike, un instituteur de 49 ans, a fui Gwoza, dans l'Etat voisin de Borno, au mois d'août. Quelques jours plus tard, Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram, annonçait que cette ville faisait partie de son «califat» islamique. Après avoir marché dans la brousse pendant plusieurs centaines de kilomètres, il trouve enfin un bus qui les emmène, lui et ses trois enfants, jusqu'à Yola. Pressé contre les grilles du Conseil musulman, son quotidien est désormais suspendu à la portion de riz, de farine de maïs et d'huile, qu'il parviendra ou non à ramener à ses enfants, qui l'attendent dans une petite chambre chez une famille d'accueil. «Si on réussit à avoir de la nourriture aujourd'hui, ça ira», dit-il, prêt à attendre jusqu'à la nuit s'il le faut. D'autres centres de distributions similaires ont été mis en place dans des églises et des centres communautaires de la ville. L'université américaine du Nigeria, basée à Yola, a participé au financement de l'aide humanitaire, aux côtés de la Croix-Rouge et du gouvernement nigérian. Mais ce soir-là, les responsables du Conseil musulman disent craindre une émeute, à l'ouverture des grilles, la nourriture n'étant pas suffisante pour la foule affamée. Selon l'agence nigériane de secours (NEMA), environ 400 000 déplacés se trouvent à Yola et alentour, au bord de la crise humanitaire. Ils sont nombreux à avoir trouvé refuge dans les petits villages nichés dans les collines qui entourent la capitale, trop épuisés ou apeurés pour descendre jusqu'au centre-ville. Quelque 15 000 déplacés sont hébergés dans des camps improvisés dans des écoles primaires, où ils dorment à même le sol en béton, ou parfois, pour les plus chanceux, dans les lits superposés des dortoirs.