Résumé de la 3e partie - L'aéroport, c'est dur, mais ce n'est rien, comparé au vrai purgatoire que sont les autoroutes de Californie. C'était comme d'avoir un bavard derrière soi dans la queue — l'une de ces personnes à la cordialité exaspérante, persuadées que chacun fait de son mieux et que l'on a certainement une bonne raison de vous faire attendre. J'ai rejeté cette idée à l'instant. Mais ce n'était ni à la banque, ni sur l'autoroute, que j'affrontais la queue que je haïssais le plus. J'ai repris ma respiration et j'ai tendu l'oreille. L'air était glacial. Je regrettais de n'être pas morte en chandail. Mes pieds me faisaient mal. Pourquoi n'étais-je pas décédée en chaussures de jogging, ou même en sandales ? Tout se passait comme si j'étais arrivée ici à l'improviste pour tomber dans la queue. Mais je n'avais pas prévu que ce serait cette queue-là. Je ne reconnaissais pas tout à fait les lieux. Les croquemorts vous enterrent sans vos lunettes, si bien que la réalité de l'au-delà vous paraît un peu floue. Dans le lointain, il y avait une musique que je ne situais pas. Je me suis efforcée d'entendre, mais la mélodie était trop primitive pour être suivie. Soudain, elle s'est arrêtée et les haut-parleurs ont lancé «Attention,chers clients». Ah, non ! Jétais dans la queue la plus exaspérante de toutes, celle des «moins de dix articles» du super-marché ! Neuf articles pour l'éteinité ! Les haut-parleurs m'aboyaient aux tympans, mais je me suis mentalement bouché les oreilles : un savoir-faire que j'avais maîtrisé quand j'étais en vie. Au lieu d'écouter, j'ai observé la file devant moi. A l'évidence, nous n'étions pas dans les heureux supermarchés de l'éternité où l'on ouvre une nouvelle caisse dès que plus de quatre personnes font la queue. J'avais au moins douze pèlerins devant moi. Certains d'entre eux, au lieu des petits paniers en plastique, poussaient des pleins caddies. Moi, vision floue ou pas, je distinguais parfaitement qu'il y avait beaucoup plus que neuf articles dedans. J'ai fixé ces mécréants. N'y aurait-il donc jamais de justice ? Combien de fois n'avais-je pas prié pour qu'un éclair foudroie ces gloutons qui chargeaient leurs caddies de plus de neuf articles ! Etions-nous déjà trop haut dans le ciel pour que la foudre tombe ? Pas encore. Et je n'étais pas près d'y arriver, sauf si de longues souffrances constituaient le critère d'entrée au paradis. Les caissières savent reconnaître les clients qui flanquent trop d'articles sur le tapis. Elles devraient les envoyer aux caisses destinées aux caddies pleins. Si ces avides perdaient un peu de temps, cela leur donnerait une bonne leçon. Ce que je disais précisément à quelques uns d'entre eux, ceux que je ne pouvais pas, de honte, faire quitter la queue. Une bonne remontrance à voix haute peut humilier le plus endurci des resquilleurs, surtout si le reste des peureux derrière se joignent au choeur en voyant qu'ils ne courent aucun danger. Les resquilleurs mis en déroute me faisaient de ces yeux... A suivre