Mandaté par la Fédération allemande de football (DFB), le cabinet d'avocats Freshfields a enquêté durant quatre mois sur les allégations de corruption autour de l'attribution du Mondial-2006 à l'Allemagne. Vendredi 4 mars, il a présenté son rapport de 380 pages lors d'une conférence de presse, à Francfort. «Nous n'avons pas trouvé de preuve d'achat de votes, mais nous ne pouvons l'exclure», a déclaré Christian Duve, représentant de Freshfields Les fins limiers devaient notamment faire la lumière sur un mystérieux versement de 6,7 millions d'euros fait par la DFB à la Fédération internationale de football (FIFA) - et «faussement déclaré par le comité d'organisation du Mondial pour un gala d'ouverture», en avril 2005. En octobre 2015, à la suite de révélations de l'hebdomadaire Der Spiegel, la DFB avait reconnu le virement de cette somme, arguant qu'il s'agissait de s'assurer une subvention pour l'organisation du Mondial. Une version démentie par l'instance internationale. Selon les enquêteurs, cette somme a été injectée par l'homme d'affaires franco-suisse Robert Louis-Dreyfus, ex-patron d'Adidas et défunt propriétaire de l'Olympique de Marseille. La FIFA a ensuite transféré l'argent sur un compte suisse de «RLD», mort en 2009. Selon Freshfields, l'ex-président de l'instance mondiale Sepp Blatter (1998-2015) était «au courant de ce paiement.» L'intervention de Robert Louis-Dreyfus Le compte de Robert Louis-Dreyfus a été ouvert en août 2002, juste avant le versement de 10 millions de francs suisses (6,7 millions d'euros) à une société helvétique. Cette structure avait précédemment fait l'objet de transferts d'argent via l'icône allemande Franz Beckenbauer, qui fut patron du comité de candidature de son pays pour l'attribution du Mondial-2006, puis président du comité d'organisation du tournoi. Les 10 millions de francs suisses auraient atterri sur les comptes de la société Kemco, dont le propriétaire n'est autre que le Qatari Mohamed Ben Hammam, ex-patron de la Confédération asiatique de football, ancien vice-président de la FIFA, et radié à vie en 2012. Ce dernier faisait alors partie des votants, le 6 juillet 2000, lors de la victoire dans les urnes (12 voix à 11) de l'Allemagne face à l'Afrique du Sud. «Nous avons pu constater un possible changement du comportement dans le vote et qui a pu concerner des représentants asiatiques du comité exécutif de la FIFA», a déclaré Christian Duve devant la presse. Pendant leurs recherches, les enquêteurs ont relevé que des e-mails avaient été effacés. Par ailleurs des dirigeants, dont Sepp Blatter, n'ont pas souhaité témoigner. De son côté, la FIFA a lancé ses «propres investigations.» Tout en insistant sur son statut de «victime», l'instance a confirmé que «des témoins clés n'ont pas voulu répondre à des questions ni fournir des documents». Son secrétaire général par intérim, Markus Kattner, n'a ainsi pas témoigné dans la mesure où les autorités judiciaires suisses et allemandes enquêtent également sur cette affaire. Freshfields s'interroge aussi sur un mystérieux projet de contrat entre Franz Beckenbauer et l'ex-patron de la Confédération d'Amérique du Nord, centrale et des Caraïbes (Concacaf) Jack Warner, faisant état de prestations en faveur du Trinidadien, suspendu à vie en 2015 pour corruption. La raison pour laquelle, «quatre jours avant l'attribution à l'Allemagne du Mondial», un accord entre Franz Beckenbauer, pour la DFB, et Jack Warner, pour la Concacaf, a été signé reste «mystérieuse», relève le rapport. Le scandale de l'attribution du Mondial 2006 avait entraîné la démission, en novembre 2015, du patron de la DFB Wolfgang Niersbach, ex-vice président du comité d'organisation du tournoi. Le dignitaire est pourtant toujours membre du comité exécutif de la FIFA. «L'Allemagne avait racheté la voix de l'Océanie [de son représentant Charles Dempsey, qui s'est abstenu au troisième tour du scrutin], illégalement, pour obtenir l'organisation de la Coupe du monde. Ça, on n'en parle pas. Quand il s'agit de l'Allemagne, il ne faut pas en parler», avait lâché, le 29 mai 2015, le patron de la Fédération congolaise et membre du comité exécutif de la FIFA, Constant Omari. «Comment l'Allemagne a-t-elle obtenu le Mondial en 2006 ? Vous pensez qu'il n'y avait que des saints ?» soufflait déjà au Monde, en mai 2015, Guido Tognoni, ancien conseiller de M. Blatter. «Depuis les années 1970, toutes les attributions de Mondiaux ont été entachées de corruption», renchérit un fin connaisseur de la FIFA, alors que la justice suisse a revélé, à ce jour, «152 mouvements financiers suspects» dans le cadre de son enquête sur l'attribution des Mondiaux 2018 et 2022, respectivement à la Russie et au Qatar. Le rôle de Beckenbauer Ce n'est pas la première fois que le vote d'attribution du Mondial-2006 éveille des soupçons. En 2003, le magazine allemand Manager Magazin avait enquêté sur les agissements de Fedor Radmann, numéro deux du comité de candidature allemand, et de l'ex-international allemand Günter Netzer, reconverti responsable de l'agence suisse CWL, filiale du groupe Kirch et chargée de vendre les droits télévisuels des matches. Le tandem avait proposé à trois membres du comité exécutif de la FIFA (déjà Jack Warner, depuis suspendu à vie, le Maltais Joseph Mifsud et le Thaïlandais Worawi Makudi, suspendu quatre-vingt-dix jours) de voter pour l'Allemagne en échange d'un versement oscillant entre 250 000 et 300 000 dollars (192 000 et 230 000 euros) pour l'achat des droits de diffusion de matchs amicaux entre leurs sélections nationales et le Bayern Munich du président Franz Beckenbauer. Le «Kaiser» et champion du monde 1974 a ensuite été élu membre du comité exécutif de la FIFA (2007-2011). La légende du football allemand a, elle aussi, participé au fameux vote du 2 décembre 2010 - qui a attribué les mondiaux 2018 et 2022 - et a fait l'objet d'une enquête disciplinaire menée par l'Américain Michael J. Garcia. En 2014, l'ancien capitaine de la Nationalmannschaft a notamment été suspendu quatre-vingt-dix jours pour avoir refusé de répondre aux questions de l'ex-procureur de New York, dont le rapport est toujours censé être publié par la FIFA… «sous une forme appropriée». En février, le comité d'éthique de la FIFA a infligé un avertissement et une amende de 6 300 euros à la star, âgée de 70 ans. R. D. En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/football/article/2016/03/04/fifa-les-enqueteurs-n-excluent-pas-l-achat-de-voix-pour-le-mondial-2006-en-allemagne_4876878_1616938.html#y8TVcYWi8SP2jCt0.99