«Accorder davantage d'intérêt à l'histoire de la Révolution nationale, à son écriture sur la base des témoignages des moudjahidine encore en vie». Tel est le vœu du ministre des Moudjahidine Tayeb Zitouni, exprimé lors de la commémoration du 60e anniversaire de l'assassinat de Larbi Ben M'hidi. Passons donc sur son idée d'écrire l'histoire sur l'unique base des témoignages des moudjahidine encore en vie. Pour ne retenir que l'exigence d'écriture de l'Histoire elle-même qui ne se fonde pas sur la seule mémoire des acteurs qu'il faudrait exploiter bien sûr, avant qu'il ne soit trop tard. En effet, «toutes les fois qu'un moudjahid disparaît, nous enterrons avec lui une partie de l'Histoire, et une information précieuse s'en va si elle ne venait pas à être enregistrée et répertoriée.» L'auteur de ce signal d'alarme n'est pas le ministre des Moudjahidine, mais le commandant Abdelkader Mali, acteur de la guerre de Libération et présentement 7e Président de l'Algérie indépendante. Tous les acteurs de la guerre d'Indépendance ont la même foi : un moudjahid qui disparaît, sans avoir livré les secrets de sa «boîte noire», et c'est le disque dur de la mémoire du Premier Novembre 1954 qui en est d'autant amputé. La biologie étant perpétuellement en œuvre, beaucoup de porteurs de mémoire ont disparu. En ce soixantième anniversaire de la mort de Ben M'hidi, la question de l'écriture de l'Histoire par les Algériens eux-mêmes est toujours posée. En 2017, on est toujours au même constat de carence, c'est-à-dire du travail historique qui reste à faire ou à parfaire. A voir le chef de l'Etat souligner l'impérieux besoin de recueillir les témoignages des combattants de l'ALN et de l'OCFLN encore vivants, on en vient à déduire que ce travail n'a pas été fait ou l'a été partiellement. On en vient également à se poser la question du comment faire et avec qui le faire ce travail de débriefing des mémoires. Indépendamment, bien sûr, de l'indispensable exploitation des archives disponibles en Algérie et des archives coloniales. Comment faire alors quand on dispose de peu d'historiens dont la recherche et la production de travaux sont une vocation et une raison d'être ? Comment faire justement alors qu'existe une crise de vocations ? Et que le Département d'Histoire de l'université forme de piètres rhéteurs, en lieu et place de réels historiens ! ? On peut donc se demander sur combien d'historiens dignes de ce nom elle peut s'appuyer pour écrire son histoire, autrement que par la célébration ritualisée d'une mémoire officielle ? Ou encore à travers l'expression de mémoires subjectives, c'est-à-dire l'interrogation émotionnelle du vécu, l'évocation d'anecdotes sans valeur scientifique ou de bribes d'histoire qui circulent, d'itinéraires personnels ou de tradition familiale. L'Etat des lieux n'est pas encourageant. Il n'y a pas aujourd'hui d'école algérienne de l'Histoire, des Malika Rahal, Hassan Remaoun et autre Daho Djerbal étant de belles exceptions. L'Algérie, et on ne peut que le déplorer, n'a pas beaucoup d'historiens qui seraient des références. Il n'existe pas aujourd'hui des Mahfoud Kaddache, des Mohamed Harbi, des Mouloud Gaid ou encore des Mohamed Téguia, même si certains d'entre eux ne sont pas aussi prolifiques que les Français Charles André Julien, Charles-Robert Ageron, Gilbert Meynier ou Benjamin Stora. La carence et le défaut se conjuguent aussi au féminin. Il n'y a pas de Madeleine Rébérioux ou d'Annie Rey-Goldzeiguer algériennes, c'est clair. Le vide relatif du champ de l'écriture et la faiblesse de l'historiographie sont d'autant plus consternants aujourd'hui que s'était affirmée durant la période coloniale une école de contre-histoire algérienne. D'abord en arabe, avec des auteurs issus du mouvement des Ulémas comme Moubarak El Mili, Ahmed Tewfik El Madani et Abderrahmène El Djilali. Ensuite, en français, sous la signature d'intellectuels du PPA-MTLD, comme Mohamed Chérif Sahli et Mustapha Lacheraf. En réalité, le problème de l'écriture réside dans le statut officiel de la recherche historique, des moyens qui lui sont alloués, de la qualité de l'enseignement de l'Histoire, du nombre d'historiens qualifiés et, surtout, de la philosophie qui sous-tend l'écriture de l'Histoire. N. K.