Malgré le drame, les larmes et le sang, la pensée émue est allée en ce moment tragique vers Lénine. A Aïn Quecida, casbah andalouse de Cherchell et devant le mess des officiers de l'Académie militaire, cible d'un double attentat-suicide, une phrase du leader de la révolution bolchévique est revenue comme un leitmotiv. La confiance c'est bien, le contrôle c'est mieux disait-il pour traduire en russe l'adage français mieux vaut prévenir que guérir. Sur le lieu de la tragédie, un lendemain d'attaque terroriste menée par de jeunes Lucifer perdus du terrorisme algérien contre de jeunes officiers algériens, on s'interroge sur l'existence même d'un mess extramuros. Un espace de vie à l'extérieur de l'Académie militaire interarmes (AMIA), installé dans la société civile comme une pièce rapportée. Qui plus est dans un périmètre de sécurité qui n'était finalement pas si sécurisé que ça. Le degré zéro de la sécurité, c'est le fait même que deux human bombs se fassent exploser en «toute quiétude» à l'entrée d'un mess où il y avait une très forte concentration d'officiers au mètre carré ! En ce mois de ramadhan déclinant, les fatalistes, qui sont par ailleurs des indulgents impénitents, auraient dit que le coup était imparable car il serait le cousin du hasard et le fruit du mektoub. Mais même si la paisible cité cherchellienne n'a jamais défrayé la chronique en matière de violence, le coup était prévisible, jamais une fatalité. Et c'est arrivé un jour où la vigilance, déjà émoussée par le jeûne, est assoupie par les plaisirs des assiettes roboratives du ramadhan. Mais le carême a bon dos, si on pouvait dire les choses ainsi. L'attaque terroriste, à coup de ceinture bourrée d'explosifs et de moto truffée de TNT, est surtout le résultat d'un laxisme débonnaire et fataliste, bref, bien algérien. Il est aussi une résultante d'un relâchement momentané de la rigueur sécuritaire. Une distraction voulant que le jour de l'attentat la route nationale numéro 11, qui longe l'académie militaire, le mess des officiers et les voies d'accès adjacentes, soit insécurisée. Et on l'a constaté in situ : au lendemain matin de l'attaque terroriste, sur les lieux, point de chicanes, nul cordon sanitaire, foin de herses et autres chevaux de frise. Pas de caméras de surveillance, non plus, aux abords du mess. Derrière les murs d'enceinte de la prestigieuse AMIA, la West Point algérienne, les militaires, qui la dirigent, semblent avoir perdu de vue ce que défense en profondeur veut dire. Peut-être, dans un moment de laxisme atavique, ont-ils oublié ces principes bien militaires de prévention, de blocage, de renforcement, de dissuasion et de détection notamment en profondeur. En laissant ce mess en plein cœur de la cité, sur une route passante et fréquentée, sans surveillance permanente, ils exposaient, ipso facto, au risque sécuritaire cet établissement. Risque d'autant plus grand que l'incertitude grandissante de l'environnement n'a pas été suffisamment prise en compte. Il est vrai que les militaires de l'AMIA en particulier et ceux de l'ANP en général sont dans un rapport de confiance avec la population, sinon le P d'ANP perdrait beaucoup de son sens. Mais on sait, au moins depuis Lénine, que plus la confiance est grande, moins la vérification s'impose. Pourtant, la confiance n'a jamais exclu le contrôle. Et dans le cas du «mess extérieur», comme le définit un communiqué du ministère de la Défense, la situation de risque ne semble pas avoir été gérée tel que l'exige le contexte sécuritaire actuel, marqué par un recours croissant au terrorisme suicidaire. Vraie également, l'inexistence en Algérie d'une vraie culture de la sécurité. Il y a en revanche un laxisme algérien typique. Formidable condensé de laisser-aller, de relâchement, de confiance vécue comme une profession de foi et de négligence permanente, le tout mâtiné de foi fataliste. D'où, le plus souvent, la confiance sans le contrôle. Et pourtant, les militaires, qui sont payés pour savoir ce que sécurité renforcée veut dire, n'ont pas le droit, en tout cas moins que d'autres, à un quelconque relâchement. Surtout en ces moments où le terrorisme suicidaire, qui a recours aux amants de l'apocalypse, recrute, de plus en plus, des candidats qui n'ont pas encore été logés dans les fichiers. Ils ont d'autant moins droit à ce droit que ces mêmes services disposent d'une structure chargée des sites sensibles. L'AMIA en fait partie. Aussi «extérieur» qu'il soit, le mess en fait partie et est tout aussi sensible. Vendredi soir, on l'a payé cher pour le savoir. N. K.