Oran, pas la ville où Albert Camus, le malheureux, s'y est ennuyé, incapable qu'il fut de sonder ses charmes incalculables, est une suite enchanteresse de noms, de quartiers et de villages périphériques. Gdyel, Aïn Türck, Kristel, Senia, Canastel. C'est aussi des falaises, des criques, des promontoires et pas seulement. Partout, magie méditerranéenne et charme bucolique. Oran, c'est une succession de noms qui chantent la convivialité, la douce délectation et la bienfaisante nonchalance. Tout ça, face à la mer et sous le soleil. Au cœur de ce bonheur suburbain, Canastel. Comme qui dirait un nom de fruit exotique ou de boisson exhalant l'anis et les épices. Autour de Canastel, tel un écrin sylvicole, une forêt de 180 hectares où trônent de majestueux pins centenaires. Un écopoumon qui permet à Oran de mieux respirer. Mais, le hic, et c'est déjà une grosse mouscaille, l'Administration locale, alliée tantôt directe tantôt objective de la camorra locale du BTP, a décidé de remplacer le vert forestier par le gris poétique du bêton. Et, au mépris même de la loi, notamment du fameux POS, le Plan d'occupation des sols, s'est mise à distribuer, avec prodigalité, des lots à lotir et à bâtir. Et ça ne date pas de récemment. Déjà, en 1999, le wali de l'époque avait attribué 28 lots à des margoulins du ciment. Et, cette fois-ci, comme en écho à son confrère d'alors, l'actuel préfet a fait de même, en accordant 27 permis à la spéculation immobilière. Comme de coutume, les autorisations ont été accordées subrepticement et avec l'assentiment des responsables du domaine forestier. Après, comme en 1999, place aux bulldozers. Quelques dizaines d'hectares sont rasés pour faire place nette à la laideur insondable de l'architecture stalinienne, revue et corrigée par le beggarisme urbanistique ! Cela n'a pas manqué de heurter, comme avec une poire de démolition, la sensibilité civique des habitants de Canastel. Choqués par tant de mépris et de dédain, les habitants du quartier El Minzah (Canastel) se sont révoltés de manière pacifique et…écologique. Leur réponse ? Une action collective de reboisement des hectares déboisés, sous l'égide d'associations civiles telles l'ARC, l'Association des résidents de Canastel et Essanawbar dont le nom fleure bon la résine de pin. L'action de cette main verte collective, organisée en green-commandos, a eu un effet conservatoire : le wali a stoppé net les travaux et ordonné une enquête. Pour laisser passer l'orage, dit-on, à Canastel. Wait and see, sachant que le gouvernement Sellal, fraîchement installé, pourrait avoir, on ne sait jamais, la fibre écolo et le souci du bien-être de ces concitoyens. Aujourd'hui Canastel, hier le Bois des Pins à Hydra, à Alger. Et, dans les deux cas, un même problème. Celui de l'affectation du domaine foncier, parfois selon les intérêts bien compris de l'argent spéculateur. Le plus souvent, sans la moindre prise en compte du bien commun, de la préservation de l'environnement et du droit inaliénable des Algériens à vivre dans un environnement qui sauvegarderait mieux la santé, à défaut du mieux-vivre. A Canastel comme à Hydra, il est question d'aménagement autoritaire et clientéliste du territoire. Ces deux exemples révèlent, dans le sillage des excavatrices, l'existence d'une nouvelle bourgeoisie qui s'accapare des terrains publics, avec la complicité intéressée de collectivités territoriales. Mais, diantre, pourquoi les ronds-de cuir territoriaux ne prendraient pas des libertés avec la réglementation et, au passage, percevraient quelques généreuses libéralités, lorsque l'Etat lui-même, déclasse des terres agricoles pour la construction de logements et autres équipements ? Pourquoi diable des walis, qui sont parfois l'ombre de Dieu en province, se priveraient alors de déclasser des terres sylvicoles ou agricoles et de les affecter selon la loi lucrative de la concussion ? Pourquoi, hein, dites-le nous, s'il vous plait ? Au diable donc nos concitoyens qui rêvent de vivre dans des éco-quartiers, en lieu et place d'espaces urbains où l'architecture évoque souvent la lèpre lépromateuse ! Au diable donc ces emmerdeurs même temporaires, tous ces empêcheurs de bétonner en rond et d'engraisser encore plus de nouveaux beggarines milliardaires qui ne paieraient pas, comme les anciens riches, l'impôt citoyen ! Canastel et Hydra sont désormais les deux lieux symboliques d'une lutte de classes qui commence à dire son nom. Des salariés prolétarisés et des classes moyennes sans cesse déclassées, face à une nouvelle bourgeoisie incivique et impudique, qui étale avec outrecuidance et obscénité des richesses le plus souvent mal acquises. Le plus souvent, grâce à l'impuissance, l'incompétence ou la complicité passive ou active de l'Administration. Les mânes de Karl Marx et d'Abou Dhar El Ghifari rôdent désormais à Canastel et à Hydra. Aujourd'hui, nos concitoyens ont la révolte civique et la main verte. Mais demain, leur colère ressemblerait, qui sait, à un oued algérien en crue? C'est-à-dire à un torrent en furie. «Qui apaise la colère éteint un feu, qui attise la colère, sera le premier à périr dans les flammes», disait le chef de guerre afghan Hazrat Ali. Et vous Messieurs, vous qui délivrez des permis de raser des arbres, sans raison évidente, sachez que, contrairement à ce que dit le proverbe arabe, la colère du vrai croyant dure plus que le temps qu'il lui faut pour remettre son turban en ordre. N. K.