Les hommes partent, leurs œuvres restent. Plate remarque certes, mais il faut tout de même le rappeler quelques jours après le trépas du journaliste et poète Hamid Skif décédé ce 18 mars dans un hôpital de Hambourg des suites d'une longue maladie. Il a signé un ouvrage au titre très poétique, " La Géographie du danger " et ce roman a été adapté au théâtre par Hamid Ben mahi. De son vrai nom Mohamed Benmebkhout, Hamid Skif s'est éteint trois jours avant ses 60 ans. "Je n'ai plus de nom, de prénom, rien que des pseudonymes, écrit Hamid Skif dans La Géographie du danger. Les patronymes que je m'attribue sont fonction de l'employeur. Je suis turc, arabe, berbère, iranien, kurde, gitan, cubain, bosniaque, albanais, roumain, tchétchène, mexicain, brésilien ou chilien, au gré des nécessités. J'habite les lieux de ma métamorphose. Les langues importent peu. Il suffit de connaître les mots du dictionnaire des esclaves : travail, pas de travail, porter, laver, gratter, (...), manger, payer, silence, se cacher, se taire." La Géographie du danger met en scène la détresse d'un sans-papier, terré dans une mansarde, dans l'attente d'un hypothétique secours. Dans ce solo, le chorégraphe et interprète reprend la parole pour dire l'isolement, le désarroi et la peur de cet autre de nous-mêmes en paria d'une géographie du malheur et du malentendu. Il y avait eu Chronic(s) (2002), en collaboration avec le metteur en scène et chorégraphe Michel Schweizer, un solo intimiste qui se nourrissait déjà d'une prise de parole devenue impérieuse pour se dire. Hamid Ben Mahi a poursuivi dans cette voie avec Sekel (2004), une quête davantage tournée vers le collectif, faite de mots et d'images traduits en mouvements de danse qui lui faisait déclarer : "On s'est frotté à toutes les techniques chorégraphiques, toutes les musiques, on a même dansé sur Bach, on a métissé tous azimuts, et alors ?. Qu'est-ce qu'on a à dire au fond? Comment les gens nous voient ? Comme des robots interchangeables ? J'ai envie qu'ils sachent qui nous sommes." Il y eut enfin “Faut qu'on parle” (2006), un spectacle imaginé avec le metteur en scène Guy Alloucherie, qui revenait sur le parcours personnel de Hamid Ben Mahi pour évoquer pêle-mêle l'immigration, le racisme ordinaire, la guerre d'Algérie, la cité et la danse. Un parcours atypique Né en 1973 à Talence, près de Bordeaux, Hamid Ben Mahi a passé une petite enfance tiraillée entre son père en Algérie, où il a été emmené avec sa sœur, et sa mère en France, où il est revenu à l'âge d'entrer à l'école. Elevé au sein d'une grande fratrie, il s'éveille dès l'âge de six ans à la gymnastique avant de découvrir le hip hop à la télévision. Après des études chorégraphiques au conservatoire de région de Bordeaux, il décroche en 1996 une bourse du ministère de la Culture et s'inscrit à l'école de danse Rosella Hightower à Cannes. Deux ans plus tard, il boucle son apprentissage par un stage d'un an chez Alvin Ailey à New York. À son retour, il rejoint la compagnie Rêvolution avant de fonder en 2000, avec Sabine Samba, sa compagnie Hors Série. Pour Edition spéciale, leur première pièce pour quatre danseurs, le tandem sera rejoint par Thomas Lafargue et Azdine Caillaud de la compagnie Six Step. Hamid Ben Mahi a continué en outre de développer son interprétation au contact de chorégraphes comme Philippe Découflé, Jean-François Duroure, Michel Schweizer et Kader Attou. La Géographie du danger a été créée en janvier 2000 au Centre Chorégraphique National de La Rochelle / Poitou-Charentes. Elle a été donnée à plus de 60 reprises. Le 22 mars 2011, elle était visible à Nérac / Espace d'Albret à Paris. Alors un poète peut-il mourir ?