Sous haute surveillance, le premier tour de l'élection présidentielle française a dévoilé le visage politique français jugé maintenant instable et divisé. Quelque 47 millions de Français ont été appelés à voter dimanche 23 avril lors du premier tour. Près de 66 500 bureaux étaient ouverts de 08h00 à 19h00 dans la plupart des communes, contre 18h00 lors des présidentielles précédentes. Le candidat du mouvement En Marche !, Emmanuel Macron, et la candidate du Front national, Marine Le Pen, ont été déclarés dimanche soir, selon les premières estimations, vainqueurs du premier tour de cette élection.
Qui sont ces deux adversaires? Emmanuel Macron, ancien ministre de l'Economie qui a démissionné en 2016, s'est lancé dans la course présidentielle avec la volonté de tourner la page des 5 et même des 20 dernières années. Sa victoire au premier tour confirme ainsi le désir des Français pour un changement au sein d'une France n'arrivant pas à sortir d'une crise multidimensionnelle. Diplômé de philosophie, énarque, ancien banquier chez Rothschild, "il a déjà la carrière d'un homme du double de son âge", résume son biographe François-Xavier Bourmaud. Faisant un trajet fulgurant, il se dit convaincu, le long de sa campagne électorale, de pouvoir dépasser les clivages stériles entre la gauche et la droite qui, selon lui, ont bloqué le pays. Il espère effacer le traditionnel clivage gauche-droite, ainsi il incarne aussi le libéralisme de gauche, le progressisme qu'aurait tant aimé impulser Hollande, assumant dans son programme la mondialisation, l'Europe et l'entreprise créatrice d'emplois et de richesses. Sa fulgurante ascension peut étonner, pourtant elle est savamment orchestrée. À 39 ans, jamais élu, sans réel vécu politique ni assise militante, propulsé aux commandes du prestigieux ministère de l'Economie pendant deux ans, Emmanuel Macron crée un mouvement à son image, En Marche!, qui explose les compteurs. L'invité surprise de cette présidentielle 2017 a certes de nombreux atouts personnels: intelligent, séduisant, vif, surdoué pour certains, il est souvent premier partout. Le voilà au second tour.
Valls souhaite être aux cotés de Macron Manuel Valls a souhaité lundi pouvoir gouverner demain avec Emmanuel Macron, favori des sondages pour accéder à la présidence de la République le 7 mai, et a jugé impossible l'unité d'un Parti socialiste écartelé idéologiquement. Au lendemain de l'élimination du socialiste Benoît Hamon avec 6,35% de voix au premier tour, l'ancien finaliste malheureux de la primaire du PS a appelé Emmanuel Macron à ne pas répéter l'erreur de Jacques Chirac qui n'avait gouverné qu'avec la droite après avoir battu le Front national en 2002.
Son programme Dévoilé le 2 mars, son programme prévoit 60 milliards d'euros d'économie sur cinq ans, en supprimant notamment 120.000 emplois. Il compte lancer en parallèle un plan d'investissement de 50 milliards d'euros (modernisation des services publics, du numérique, transition écologique…). Socialement, il souhaite mettre fin aux 35 heures pour les jeunes mais réduire la durée de travail des seniors. Les cotisations chômage et maladies payées par les salariés seraient supprimées, contrebalancées par une hausse de 1,7% de la CSG. L'assurance-chômage devrait être nationalisée et le retour à l'emploi incité (pas plus d'un refus). Il entend aussi baisser de dix points les charges patronales pour tous les emplois au Smic. En matière fiscale, l'ISF deviendrait un "impôt sur la rente immobilière" et 80% des Français seraient exonérés de taxe d'habitation. En termes de sécurité, il prévoit d'embaucher 7.500 policiers et 2.500 gendarmes entre 2017 et 2020, créer 15.000 places de prison, rétablir la police de proximité et le renseignement territorial. Le budget de la Défense devrait grimper à 2% du PIB et un service militaire allégé d'un mois pour tous devrait voir le jour. Pro-européen convaincu, le candidat veut préserver les accords de Schengen, renforcer Frontex (5.000 gardes frontières en plus), créer un renseignement commun à l'Union européenne, "voire une police commune". Il appelle à mettre en place un budget de la zone euro avec un Parlement et un ministre de l'Economie et des Finances. Les marchés publics européens seraient réservés aux entreprises ayant au moins 50% de leur production en Europe. Dès mai, il compte lancer une initiative internationale pour contraindre les grands groupes internet (Gafa) à coopérer dans la lutte contre le terrorisme en retirant tout contenu illicite et en donnant les clés de chiffrements demandées au risque de voir leurs services cryptés réquisitionnés. Enfin en écho aux affaires, il veut moraliser la vie politique (interdiction pour les parlementaires d'embaucher des proches, d'exercer des activités de conseil, de cumuler plus de trois mandats identiques successifs…).
Le Pen personnalité la plus clivante Quant à elle la candidate du Front national, qualifiée pour le 2e tour de l'élection présidentielle française, cherche à dédiaboliser le parti fondé par son père. La stratégie a toutefois ses limites... La candidate du FN à la présidentielle est la personnalité la plus clivante, la plus dérangeante du paysage politique français. C'est à la fois sa grande force mais aussi sa plus grande faiblesse. Elle est consciente que pour rassembler, il lui faut adoucir ses propos notamment sur les plateaux de télévision ou à la radio. En janvier 2016, elle choisit comme slogan de campagne "La France apaisée". En septembre, elle opte pour un nouveau slogan, "Au nom du peuple", mais le premier, plus fédérateur, est bien plus repris. Avocate de formation, Marine Le Pen a compris qu'il est essentiel de toujours s'exprimer simplement en mettant en avant des causes uniques à des problèmes complexes. Excellente oratrice, elle esquive toutes les explications nuancées, longues et détaillées. En rupture avec les pratiques de son père, la présidente du FN met fin aux phrases chocs qu'il affectionnait pour faire le buzz. Ses précautions langagières lui permettent non seulement de se démarquer de Jean-Marie Le Pen mais aussi du parti lui-même. Si elle n'a pas réussi à changer le nom du parti, elle évince le Front national du patriarche (exit le logo de la flamme tricolore) de la présidentielle au profit du Rassemblement Bleu Marine (sa rose bleue est sur toutes les affiches), moins connoté. En coupant le cordon ombilical d'avec le parti de son père, elle réussit à s'émanciper et à changer d'ère: les mots ne sont plus là pour bousculer les idées des partis traditionnels mais pour fédérer un électorat déçu par ces partis. Marine Le Pen parle de manière plus abstraite d'"immigration" quand son père stigmatise "les immigrés".
Son caractère apprécié Interrogés à son sujet, les Français apprécient sa volonté de les privilégier, son caractère de "combattante" et sa capacité à "dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas". Marine Le Pen renvoie l'image charismatique d'une femme sûre d'elle, ultra-sécuritaire avec un tempérament de chef (elle chasse son père et purge le FN de ses fidèles). Surfant sur le rejet de l'Europe et de la mondialisation, elle réussit même à agréger une partie de l'électorat de droite (près d'un tiers), déçu par le manque de probité de François Fillon qui en avait fait, contrairement à elle, un argument de campagne.
Son programme "L'euro est un obstacle majeur au développement de notre économie", martèle Marine Le Pen. Si elle est élue, elle entend renégocier les traités européens afin de "restituer au peuple français sa souveraineté (monétaire, législative, territoriale, économique)" et de soumettre à référendum "dans les six mois suivants" l'appartenance du pays à l'Union européenne. Très critiquée sur ces points, Marine Le Pen précise depuis le 25 janvier vouloir une monnaie nationale pour les Français au quotidien. Celle-ci serait éventuellement complétée par une "monnaie commune" pour les échanges entre Etats et grandes entreprises (à l'image de l'écu) afin d'éviter une trop forte hausse des taux d'intérêts et une fuite des capitaux. Elle prévoit en outre de rétablir les frontières et sortir de Schengen. Parmi les autres mesures emblématiques du FN, on retrouve la limitation drastique de l'immigration (solde limité à 10.000 entrées par an), la suppression du droit du sol, l'instauration d'un "patriotisme économique" (interdiction des produits importés ne respectant pas les normes de production françaises). L'embauche d'étrangers serait taxée au nom de la "priorité nationale" et ceux-ci se verraient opposer un délai de carence avant de pouvoir prétendre à une aide sociale (2 ans) et à l'école gratuite. En matière de sécurité, elle prône le recrutement sur cinq ans de 15.000 policiers et gendarmes, 50.000 militaires, la création de 40.000 places de prison et une hausse du budget Défense, ramené à 2% du PIB dès 2018. Elle veut déchoir de la nationalité française et expulser les binationaux en lien avec une filière djihadiste. Elle compte aussi établir un service militaire obligatoire de trois mois et surtout quitter le commandement militaire intégré de l'Otan. Sur le plan social, elle prévoit de supprimer la loi Travail mais d'autoriser l'allongement du temps de travail au niveau des branches et avec compensation salariale intégrale… Son programme recense pas moins de 144 propositions présentées à Lyon les 4 et 5 février.
Qu'est ce qu'ils disent sur ces résultats Les Français ont ouvert "une nouvelle page" de l'histoire de la Ve République, avec la victoire d'Emmanuel Macron (39 ans), derrière lequel un vrai désir de jeunesse s'est exprimé, a estimé lundi la presse après les résultats du 1er tour de l'élection présidentielle. "C'est une toute nouvelle page de l'histoire de la Ve République que les électeurs français ont ouverte, ce dimanche 23 avril, en éliminant de la présidentielle tous les représentants des partis politiques qui, à un titre ou à un autre, avaient gouverné dans les décennies passées", a commenté le quotidien L'Opinion, alors que La Dépêche du Midi a estimé que derrière Emmanuel Macron, (...) "s'est exprimé un vrai désir de jeunesse" . Pour ce journal, rien n'est comparable, dans l'histoire de la Ve République, à cette irruption "rafraîchissante" d'un candidat qui ne l'était pas encore il y a six mois, et dont la plupart des politiciens pronostiquaient l'"essoufflement". Pour sa part, le quotidien économique Les Echos s'est interrogé "s'il s'agit d'un Big bang ou d'un grand saut dans le vide", qualifiant le scrutin d'"un ras-le-bol du +système+, table rase du passé" . Pour ce journal, les électeurs ont choisi dimanche de tourner la page de la vie politique française telle qu'elle était structurée depuis le début de la Ve République, tandis que le journal catholique La Croix a considéré le résultat du premier tour de "séisme" dont les répliques "seront durables" . D'autres titres de la presse française ont également mis en relief dans leurs commentaires l'élimination de tous les représentants des partis politiques qui, à un titre ou à un autre, avaient gouverné dans les décennies passées. Les Français ont renvoyé gauche et droite dos à dos pour tenter une nouvelle aventure, écrit L'Alsace, et Le Figaro s'est désolé du KO de la droite, considérant que "l'imperdable a été perdu". "La droite, qui pendant cinq ans aura étrillé les socialistes dans tous les scrutins, la droite, dont les idées et les valeurs n'ont jamais été aussi majoritaires dans les profondeurs du pays, cette droite à qui la victoire ne pouvait pas échapper a été, hier, sèchement éliminée", constate le journal de droite. De son côté, Le Parisien a souligné que la sensation Macron est désormais à une marche du pouvoir, point de vue partagé par Libération qui a fait observer que le second tour opposera donc le social-libéralisme au nationalisme, l'ouverture à la fermeture, l'Europe unie à la France seule. "En principe, grâce aux républicains de tous les partis, le jeune premier du scrutin l'emporte sur la vilaine marâtre", allusion à Marine Le Pen. Emmanuel Macron n'a pas encore gagné, mais il a réussi son opération : pulvériser le vieux monde politique, a commenté pour sa part Ouest-France. Déçu de la défaite de Jean-Luc Mélenchon, L'Humanité écrit : "Malgré le très beau résultat de Jean-Luc Mélenchon, le choix va se résumer au second tour entre le candidat que les milieux financiers (...) et la candidate de la haine, de la division des habitants de ce pays, des discriminations, de la guerre contre les syndicats, de la mise au pas de la culture, du mépris pour la République".
Une scission dans la société française Pour un sénateur russe, le petit écart entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen dans les résultats du premier tour de l'élection présidentielle en France montre une scission dans la société française. Commentant les résultats partiels du premier tour de l'élection présidentielle, le sénateur russe Alekseï Pouchkov a relaté qu'il s'agissait d'une rupture dans la société française. Macron se bat contre Le Pen, au premier tour de la présidentielle, pour des dixièmes de pourcent. Cela montre le degré de scission de la société française. Sa victoire ne va pas réparer cette division ", a-t-il écrit sur son Twitter. D'ailleurs, pour M. Pouchkov, la victoire du candidat d'En Marche! pourrait encourager la chancelière allemande Angela Merkel avant sa visite à Moscou prévue pour le 2 mai. Fillon était pour elle gênant, Le Pen inadmissible et Macron juste ce qu'il fallait. C'est son choix ", a-t-il rajouté. Néanmoins, d'après le sénateur, il ne fallait pas croire aux promesses du leader d'En Marche! de rompre avec l'ancienne politique car il est lui-même " le fruit et la poursuite de ce système ".
Une nouvelle ère politique Pour Philippe Vardon, conseiller régional de PACA, une nouvelle ère politique va commencer car tous les anciens appareils sont désormais totalement discrédités. Interrogé par Sputnik suite à l'annonce des résultats partiels de la présidentielle qualifiant pour le second tour le candidat d'En Marche! et la Présidente du FN, Philippe Vardon, conseiller régional de PACA et proche de Marion Maréchal-Le Pen, partage ses sentiments. C'est évidemment une grande satisfaction aujourd'hui puisque, bien sûr, nous sommes au second tour mais surtout nous voyons que tous les vieux appareils politiques, LR, PS, sont désormais totalement discrédités. C'est évidemment une nouvelle campagne qui s'ouvre avec ce second tour. Aussi, je crois une nouvelle ère politique. On arrive dans une grande clarification ", a-t-il déclaré. De surcroît, il estime que la décision de nombreux hommes politiques d'apporter leur soutien au second tour au candidat d'En Marche! pourrait susciter de vives réactions des électeurs. Toute une partie de l'état-major LR appelle déjà à voter Macron ce qui va sans doute choquer une bonne partie des électeurs ", a-t-il conclu en rajoutant que le Front national pourrait rassembler derrière lui tous les électeurs de François Fillon et Jean-Luc Mélenchon. Cependant et face à la conjoncture actuelle, les Français se trouvent divisés entre une économie qui commence à s'affaiblir, et un cauchemar qui s'appelle terrorisme.