Il y a environ deux mois, au cours de l'émission « Le grand journal » de Canal+, on posa la question suivante à Bill Gates: « Vous qui êtes l'homme le plus riche du monde depuis des années, pourquoi n'avez-vous pas envisagé de vous payer un grand club européen de foot-ball, comme il est à la mode? »; l'invité répondit à peu près ceci: « je ne conçois pas dépenser mon argent de cette manière. Avec ma fondation, nous nous sommes assignés comme objectif d'éradiquer complètement certaines maladies, particulièrement celles sévissant en Afrique. J'ai prodigué à mes enfants des études de qualité, et je leur assurerai une vie confortable, mais je les ai informés que je léguerai l'essentiel de ma fortune à la recherche médicale au sein de ma fondation ». Il y a des noms qui forcent le respect, l'admiration et l'humilité! Au Danemark, où la bière nationale est la célèbre Carlsberg, une redevance est perçue sur chaque bouteille consommée, et reversée à la recherche scientifique; la boutade favorite des danois, quand ils se proposent d'aller trinquer dans un bar, est de se dire: « allons aider la science! ». En 2002, l'avion présidentiel, propriété de l'Etat algérien, fut dépêché à Paris en vue de ramener Zidane et sa famille pour une « visite privée » à El Mouradia ( c'est ainsi que fut présenté à la presse ce caprice du prince, coûteux et indécent); nous avons été nombreux à nous indigner en entendant Saïd Bouteflika dire à ce dernier, sur le perron de la Présidence: « Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas, vous avez mon numéro de téléphone! ». « Nous sommes très heureux que l'équipe algérienne, symbole de la souveraineté nationale, porte les couleurs de Mobilis. L'Algérie est toujours forte avec ses hommes et ses entreprises », s'est réjoui le PDG de Mobilis en devenant le sponsor de l'équipe nationale de foot-ball pour les cinq années à venir, ajoutant que « Mobilis est une entreprise nationale forte qui n'hésite à aucun instant quand il s'agit de porter haut l'emblème national dans les concerts internationaux »; enfin, en parlant du Real de Madrid qu'il a invité pour un match de gala, il déclara : » nous sommes fiers d'être en faveur de tout projet qui soutienne l'image de l'Algérie, et améliore les conditions de vie des Algériens et des Algériennes ». Ses gains financiers, politiques et sociaux, font que, chez nous, le foot-ball prime sur la volonté de nous rapprocher technologiquement du monde civilisé; pourtant, sa passion légendaire pour ce sport n'empêche pas le Brésil de figurer dans le club des pays émergents. Sonatrach, mamelle nourricière de l'Algérie, prend l'équipe de foot-ball du Mouloudia d'Alger en charge, mais n'a pas de budget « Recherche & Développement ». Rebrab rachète des entreprises défaillantes françaises dans des domaines très variés; Haddad, celui qui fit la quête auprès de ses pairs du FCE pour financer la campagne présidentielle d'avril dernier à coups de gros milliards ( sans se soucier de l'avis du Conseil Constitutionnel quant au plafonnement des dépenses de campagne), concurrence directement Naftal dans ses activités de base. Ces patrons d'entreprises multiples, et d'autres moins en lumière (dont beaucoup usurpent jusqu'à l'appellation de capitaines d'industrie), créent des postes de travail, mais ne consacrent pas, dans peut-être leur totalité, d'allocations à la recherche scientifique. Serait-il hors de leurs capacités financières, à ces gens qui doivent leur enrichissement à une bien singulière bienveillance de l'Etat à leur égard, de pourvoir quelques écoles en micro-ordinateurs, bibliothèques grosses d'ouvrages scientifiques, et gratifiant les meilleurs élèves de confortables bourses d'études ? Pendant ce temps-là, la nouvelle ministre de l'éducation se débat pour initier des réformes salvatrices, tandis qu'elle est menacée de perturbations à la rentrée scolaire par les syndicats autonomes de son secteur, ces derniers parlant toujours de primes, de logements et d'œuvres sociales sous peine de grèves qui pénaliseront les élèves. Mais qui a cure que cette Dame réussisse dans sa mission! Le ministère de l'enseignement supérieur fait face à une situation dramatique similaire, où l'objectif de tirer l'Université vers l'excellence demeure un vœu pieux depuis des décennies (Aux Etats-Unis, où les études sont payantes et les titulaires de chaires sous contrats de performances, une université peut remercier un professeur s'il n'a pas publié dans des revues scientifiques durant son séjour). Arrêtons-nous là! Prenons le temps, à présent, pour contempler, à travers les chiffres et réalités assénés par les classements réguliers faits, de par le monde, en matière de PIB consacré à la recherche scientifique, de taux d'alphabétisation, ou du top 500 des universités les plus performantes, notre incommensurable retard, et à désespérer devant l'implacable verdict de pays sous-développé que notre masochisme nous assigne; toutes les raisons objectives qui expliquent la condition désastreuse de l'Algérie sont résumées dans ce « toz » bruyant, et nauséabond, opposé par le pouvoir au principe de l'école d'abord. Tant de personnalités algériennes, d'hommes de science et de culture, ont pourtant averti du danger de notre arrogance, de notre suffisance alimentée par des hydrocarbures éphémères. Mais que faire alors, car le pays continue de se vider de ressources humaines douées pour les travaux en laboratoires, et à se peupler d'une faune prédatrice qui s'en donne à cœur joie, au grand bonheur également des entreprises étrangères? Invoquer la fatalité, vilipender nos dirigeants passés et présents que ces arguments n'ont jamais émus, remettre en cause la prépondérance de la construction de logements sur celle d'écoles sportives et des infrastructures y afférentes, ou s'interroger sur la pertinence d'un ministère entier pour seulement verser les pensions des moudjahidines (qui mourront sans nous avoir dit la vérité sur leur nombre réel, ni sur l'histoire de notre Révolution)? Comment ne pas y reconnaître les ingrédients de la vive polémique que provoquèrent certains écrits, lors des événements récents de Ghaza, quand leurs auteurs optèrent pour résister à l'émotionnel en soutenant l'idée que seule la démocratie donne leur force aux peuples épris de progrès et de savoir. Car, Dieu du Ciel, serait-ce blasphème de pointer du doigt les dérives de l'école, secteur universellement connu pour conditionner l'avenir d'une nation? Est-ce faire preuve d'antipatriotisme que de dénoncer les carences de nos dirigeants en matière de vision capable d'enclencher une dynamique saine, basée sur la compétition, le travail et la productivité, et qui mette notre pays à l'abri des vicissitudes (1986 n'est pas très loin des mémoires)?ة Mais comment ne pas déplorer _ parce que cela devient de plus en plus insoutenable_ que le pouvoir, dans son aveuglement, demeure délibérément sourd à la terrible réalité du monde d'aujourd'hui, à ce conseil simple qu'une multitude de nationaux intègres ont émis: investir dans l'éducation des enfants, et non se gargariser de chiffres concernant les élèves scolarisés ou les écoles construites. Car ce sont nos enfants qui auront à relever les gigantesques défis de lendemains s'annonçant déjà bien menaçants. Il aurait pourtant suffi, par exemple, de dévier toute la sollicitude dont bénéficia Zidane ( ridicule pour un joueur de football dont l'apport à l'Algérie fut, sans conteste, nul), vers une éminence grise algérienne établie à l'étranger; fixons, juste pour les besoins de la démonstration, notre choix sur la personne de Zerhouni (pas le sinistre Yazid, bien sûr, mais le spécialiste de l'imagerie médicale, celui à qui il fut offert le département de la santé américain), et imaginons que le frère du Président lui eût garanti son assistance personnelle pour doter l'Algérie de conditions sanitaires aux normes internationales. Nous étions au début du premier mandat de Bouteflika, et le message adressé au peuple algérien d'abord, et au monde entier ensuite, aurait été des plus éloquents.Un tel geste ne nous aurait-il pas évité l'humiliation du Val de Grâce? Hélas, il n'en fut rien! Feu Boudiaf parla d'école « sinistrée », et de maffia politico-financière; on l'assassina devant les caméras de la télévision, moins de six mois après son investiture. En 2015, nous aurons la troisième plus grande mosquée du monde: son coût est déjà évalué à plus de deux milliards de dollars. Bacha Ahmed