Par Mohammed Gu�tarni, ma�tre de conf�rences � l�universit� Hassiba Ben-Bouali de Chlef. ��crire, disait Blanchot, c�est nommer le silence.� Ce dernier devient d�lictuel d�s lors que l�on refuse de valoriser un patrimoine culturel pr�cieux parce que sis � l�abri des regards et/ou d�favoris� par sa position g�ographique, � l��cart des grands axes routiers. Tel est, h�las, le cas piteux du Vieux T�n�s et de sa mosqu�e. Un joyau national serti dans une perle r�gionale : en l�occurrence la mosqu�e de Sidi Ma�za. C�est cette raison cardinale qui nous a, � juste titre, motiv� � r�diger ce modeste article sur le lieudit du Vieux T�n�s. Situ� � 53 km au nord du chef-lieu de la wilaya de Chlef et 1,5 km au sud du chef-lieu de la da�ra de T�n�s, le vieux T�n�s est une v�ritable casbah connu sous l�appellation populaire T�nes Lahdhar (ville des citadins) avec ses venelles �troites et sinueuses qui s�entrecroisent. Elle pr�sente de grandes affinit�s avec celle d�Alger. Ce texte n�est autre un appel civique d�un citoyen en direction de nos autorit�s aussi bien locales que nationales, chacune � son niveau. Peut-�tre aura-t-il le privil�ge de parvenir jusqu�� leurs oreilles et, enfin, �tre entendu dans l�espoir et le bonheur d�attirer leur aimable attention. Dans tous les cas, nous gardons espoir. La r�gion de T�n�s fut conquise par les Arabes entre 675 et 682 � leur t�te le strat�ge militaire Abou El-Mouhadjer Dinar. Construite vers 680, d�apr�s les historiens des lieux de culte, la mosqu�e de Sidi Ma�za est la troisi�me, pour d�aucuns la deuxi�me, du pays du point de vue anciennet� apr�s celle de Sidi Okba � Biskra et Sidi Boumediene � Tlemcen. Selon un documentaire, son architecture pr�sente de grandes ressemblances avec celle du Proph�te (QSSSL) construite de son vivant � M�dine. Elle est � son onzi�me centenaire. Construite par les Idrissides, descendants du Proph�te, sur un belv�d�re, elle surplombe la m�dina du Vieux T�n�s. Du haut de ses 50 m, son auguste minaret domine magistralement la cit�. Ce qui permettait au muezzin de porter sa voix � plusieurs hectom�tres � la ronde. Ses mat�riaux de construction, bien que primitifs, ont r�sist� sto�quement aux affres des si�cles. Ce qui ne l�a pas emp�ch�e d�en subir des alt�rations. De nos jours, m�me si elle para�t visiblement encore intacte, ce n�est qu�en apparence, car elle n�cessite de s�rieux travaux de restauration pour la maintenir en bon �tat. Sa nef, parall�le au mur de la qibla, s�apparente beaucoup � la premi�re mosqu�e de M�dine que le Proph�te (QSSSL) aurait personnellement particip� � sa construction. On retrouve ce mod�le � Damas (705- 715). La mosqu�e de Sidi Ma�za serait un exemplaire maghr�bin d�un type cr�� en �gypte (mosqu�e de �Amr � Fustat, au VIIe si�cle) et en Syrie. Ce mod�le a �t� repris dans toutes les mosqu�es m�di�vales de l�Ouest alg�rien sous l�influence des grandes mosqu�es de Kairouan (Tunisie) et de Cordoue (Andalousie) qui ont d�laiss� la forme curviligne traditionnelle. Son mihr�b est d�cal� d�une nef vers l�est. Ce d�calage, pour les experts des lieux de culte, est fait sciemment dans un souci de respecter le style m�dinois. Notre mosqu�e pr�sente un style �clectique qui rappelle celui des monuments romains de la r�gion avec ses colonnes � f�ts cylindriques coiff�es de chapiteaux. On retrouve �galement la technique du d�cor floral incis� et �pigraphique ornant les impostes. L�introduction de l�imposte entre les arcs et les chapiteaux a d�abord �t� exp�riment�e en �gypte (mosqu�e de �Amr) puis reprise en Afrique du Nord au IXe si�cle, � Tunis et � Kairouan. Son adoption au Vieux T�n�s atteste d�une influence �vidente de l��gypte. Ses colonnes sont faites de pierres et ces colonnades rappellent, une fois encore, l��poque romaine. Les arceaux sont faits par les mains d�habiles artisans. Avec ses 39 colonnes cylindriques surmont�es de chapiteaux antiques aux formes et aux dimensions diverses, la r�gularit� de ses arcs et ses impostes carr�es ou rectangulaires, la mosqu�e du Vieux T�n�s rappelle celle de Kairouan. On retrouve plusieurs formes, comme l�arc bris�, outrepass� dont le sommet est quelquefois bris� au trac� typique du Maghreb des IXe et Xe si�cles (Grande Mosqu�e de Kairouan, rib�t de Sousse, mosqu�e de Mahdia, mosqu�e de Sfax, en Tunisie). La mosqu�e est hypostyle comme celles de Damas, de Cordoue, de Kairouan et d�Al-Hassan � Rabat. La salle des ablutions est accol�e � la fa�ade nord de la mosqu�e. On y acc�de par une entr�e l�g�rement d�sax�e situ�e dans le mur vis-�-vis du mihr�b. Il y a, en apparence, une interf�rence entre le plan � nefs parall�les (Damas) et celui � nefs perpendiculaires (d�Al-Aqsa � J�rusalem et de Cordoue). Il est important de rappeler que T�n�s a connu des p�riodes fastes lorsqu�elle fut un haut lieu de savoir et de rencontre de savants et d��rudits. La cit� de T�n�s El-Hadhar (la civilis�e), � appel�e �Vieux T�n�s� par les colons fran�ais, � a �t� �difi�e sous diff�rentes dynasties : berb�re, rostomide, m�rinide, almoravide, almohade, zianide. Vieux T�n�s formait, avec d�autres villes universitaires de l��poque, B�ja�a � l�est et Tlemcen � l�ouest, un triangle du savoir o� nombre d��tudiants venaient s�journer pour se former et/ou parfaire leur formation. Quant aux hommes de culture de l��poque, ils venaient aussi, dans notre r�gion, pour ajouter � leur aura de savants le privil�ge d�avoir visit� ces villes saintes et savantes, et aussi pour c�toy� ses �minents savants et ses c�l�bres saints, comme Abou Is�hak Ettensi et Ibrahim Ibn Abderrahmane � T�n�s, Sidi Boumediene Choa�b � Tlemcen, ou Sidi Touati � B�ja�a. Le nom de T�n�s viendrait du ph�nicien Carthennae, Carth signifiant cap et Thennae, la rivi�re de la r�gion (Oued Allala). Les corps du saint wali Sidi Ma�za � qui a donn� son nom � la mosqu�e � et celui de son �pouse reposent dans un petit carr� � l�int�rieur de la salle de pri�re. Ce qui n�est pas sans rappeler, une fois encore, la mosqu�e de M�dine o� sont inhum�s les saints corps du Proph�te (QSSSL), d�Abou Bakr et celui d�Omar (que Dieu Les agr�e). Une douce p�nombre ajoute, � la foi des fid�les, la paix de l��me. Sidi Ma�za a plant� de sa propre main un palmier, encore debout. Il a contribu�, aussi, � creuser un puits dont l�eau, sans cesse renouvel�e par les pr�cipitations, poss�de des vertus m�dicinales, dit-on, gr�ce � la �baraka� du saint homme dont l��me n�a pas cess� de hanter ce lieu qu�il avait choisi pour y vivre et d�y mourir, il y a, de cela, plus de trois si�cles. `Aujourd�hui, Vieux T�n�s expose, � ciel ouvert, son patrimoine culturel dans un �tat moribond pour qui daigne s�y int�resser. La m�dina mill�naire du Vieux T�n�s sombre doucement mais s�rement dans la philosophie de l�oubli, voire du m�pris sous le regard impuissant de ses habitants et l�indiff�rence des autorit�s. Ses vestiges v�tustes et d�labr�s, qui tombent comme des feuilles d�arbre en automne, constituaient, par le pass�, le prestige de la contr�e. Aujourd�hui, ils ne sont plus que des pierres silencieuses et anonymes abandonn�es, livr�es � elles-m�mes dans une totale indiff�rence. La cit� du Vieux T�n�s n�est plus que l�ombre d�elle-m�me. N�ayant d�autre alternative, elle reste dans l�expectative d�une bonne volont� secourable. La disparition de ces vestiges prestigieux signifie, fatalement, la disparition de pans entiers du patrimoine historique de toute la r�gion de T�n�s au grand dam des g�n�rations � venir. Us�es par le temps, ses constructions subissent les ravages implacables de son mill�naire. Celles qui sont encore debout tiennent p�niblement, voire dangereusement, au risque de s�effondrer � tout moment. Pourtant, la cit� du Vieux T�n�s �tait la banni�re d�un �grand sceau� qualitatif de l�histoire civilisationelle. A c�t� de la mosqu�e, il y a Bab-El-Bhar (ou porte de la mer) construit par les Turcs. Il est situ� dans le c�t� nord de la localit�. Il est toujours �rig� mais � l�abandon. Il est dans un �tat de d�labrement tr�s avanc� en raison de sa v�tust�. Il sert, h�las et mille fois h�las, de d�potoir pour les riverains. Il est de forme cubique, soit environ 4 m�tres de c�t� sur 8 m�tres de hauteur. Quant aux dimensions de sa porte, elles sont de 2,60 m�tres de haut sur 2,40 m�tres de large. Il a deux issues. Ce qui permettait de contr�ler et filtrer les entr�es et les sorties des habitants. Son effondrement serait un l�se-majest� contre l�histoire et la culture de la r�gion. Bordj El-Ghoula, autre vestige historique totalement en ruine, �tait un poste d�observation situ� sur le bord d�un ravin non loin de ladite mosqu�e. Ces vestiges sont les empreintes, par excellence, de l�histoire. Celle-ci est justement �la connaissance de la vie pass�e par les traces.� Refuser de reconna�tre ces empreintes comme patrimoine r�gional, voire national, ce serait s�obstiner � ne pas vouloir conna�tre l�histoire. Qu�on l�accepte ou qu�on la refuse, elle [l�Histoire] fait partie de notre entit�, � la fois individuelle, collective, voire nationale parce qu�elle est �la m�moire du peuple.� Aujourd�hui, une bonne partie du Vieux T�n�s est en ruine. Il n�est pas exclu que ses vestiges, riches en histoire, risquent de s�oblit�rer � jamais s�ils ne sont pas pris rapidement et s�rieusement en main. La cons�quence serait l�amn�sie collective non par la faute du citoyen impuissant, mais celle des autorit�s que nous invitons � m�diter ce pr�sent article � dessein d�intervenir �nergiquement dans le noble but de r�tablir l�histoire de la r�gion dans ses droits. Vieux T�n�s et ses vestiges n�cessitent de s�rieux travaux de restauration et� en urgence. R�habiliter la mosqu�e de Sidi Ma�za et la localit� du Vieux T�n�s, c�est r�habiliter toute une �poque des lumi�res de l�islam qu�on veut laisser, sciemment ou non, en veilleuse, sinon vou�e � l�oubli. Pour ce faire, il appartient aux autorit�s locales, assist�es en cela par les intellectuels de la r�gion, � inscrire Vieux T�n�s et sa mosqu�e au patrimoine universel � l�instar de la Casbah d�Alger. Ce qui sera, sans nul doute, une fiert� nationale suppl�mentaire. L�Alg�rie n�a pas que sa g�ographie. Elle aussi son histoire. Ses vestiges en t�moignent. �viterons-nous, ainsi, d��tre jug�s et condamn�s par les g�n�rations futures pour notre quasi-d�lit d�indolence � l��gard de nos sites historiques. Pour r�aliser ce projet ambitieux qui n�est, certes, pas de tout repos � faut-il le reconna�tre � , il appartient � tous les responsables centraux, en l�occurrence les ministres des Affaires religieuses, du Tourisme, de la Culture ainsi que les responsables locaux, entre autres, le wali de Chlef, le chef de da�ra et le pr�sident de l�APC de T�n�s de conjuguer leurs efforts au pr�sent et au futur proche pour sauvegarder notre mosqu�e et, surtout, la r�habiliter � la hauteur de sa juste valeur cultuelle, culturelle et historique. Pour conclure, rappelons qu�un peuple riche et imbu de ses propres valeurs culturelles est immunis� contre les maladies graves et incurables de la d�personnalisation. De pareilles valeurs lui permettent d�ajuster sa conduite de mani�re plus pond�r�e et plus r�fl�chie faisant de lui un peuple �volu� et moderne sans rompre avec sa source originelle : l�islam. Il est vrai qu�� notre �poque, l��conomie prime. Cependant, pour le peuple, la culture est, aujourd�hui, le premier besoin apr�s le pain. C�est ce qui a fait dire � Mustapha Ch�rif, ex-ministre : �Un peuple sans bases �conomiques solides est faible, tandis qu�un peuple sans culture se meurt.� Les habitants du Vieux T�n�s refusent de voir leur mosqu�e souffrir et leur histoire mourir. La b�n�diction de Sidi Ma�za doit continuer � veiller sur eux et leur post�rit� comme elle a veill�, jadis, sur leurs anc�tres. La post�rit� a parfaitement droit de p�renniser l�histoire de la r�gion � partir de sa m�moire collective. Ce qui n�est que justice.