Pour l'amiral Jean Dufourcq, professeur associé à l'Institut des sciences politiques, directeur de recherches à l'Institut supérieur militaire de Paris, l'Algérie et la France ont un destin commun, tout simplement parce que leur passé a été mêlé. «Je crois que nous avons un effort à faire, non pas pour réchauffer les relations, mais de prendre mieux conscience de ce potentiel de complémentarité qui est le nôtre. Je ne pense pas que les chefs d'Etat sont forcément les mieux placés pour se parler, je pense que c'est aux peuples de se parler.» Amel Bentolba - Oran (Le Soir) - Invité par le professeur des universités, expert international en management stratégique Dr Abderrahmane Mebtoul, dans le cadre des activités scientifiques, de l'Université d'Oran 2, Pôle universitaire Belkaïd, autour du thème «Le monde qui vient – enjeux géostratégiques – et perceptives pour l'Algérie et la France», le Dr l'Amiral Jean Dufourcq a, de prime abord, prévenu qu'il faut éviter le mythe de l'occidentalisation.«D'ici 2050, la planète va être confrontée à un catalogue de défis qu'elle n'a jamais rencontrés, ces défis vont mettre à l'épreuve de manière définitive le modèle de l'Etat. Un modèle occidental, référence universelle jusqu'à aujourd'hui, qui serait en phase d'être dépassé», dira le Dr l'Amiral Jean Dufourcq à l'intention d'une assistance composée de hauts gradés, de jeunes officiers et d'universitaires, qui ont pris part à sa conférence- débat. Pour le conférencier, la planète doit faire face à trois défis majeurs que sont la démographie, l'écologie et l'économie. «Le monde aujourd'hui a des espaces de développement démographique considérables. C'est quelque chose qui modifie totalement les règles de la géopolitique et de la géo-économie.» Pour l'intervenant, cette révolution démographique crée forcément des flux d'une grande densité car, dit-il, «quand les gens s'enfuient d'un endroit qui n'est pas hospitalier, ils vont dans des endroits qui le sont plus encore et ça crée des tensions. Et si on y rajoute des phénomènes de sécurité, nous aboutissons à ces drames qui se déroulent sous nos yeux en Méditerranée et qui se déroulent sous vos yeux au Sahara, en Indonésie, en Malaisie...». Evoquant le second défi qu'il qualifie de spectre de l'exigence écologique, l'intervenant estime qu'il véhicule quelque chose d'assez dangereux. Inévitablement se pose la question du réchauffement climatique, de la limitation des ressources de la planète, et de la modification de ses équilibres thermodynamiques, liés à notre consommation, explique-t-il. Le défi de l'économie dira le conférencier est «ce grand bazar commercial qui a introduit des distances entre le consommateur et le producteur, ce qui crée une perte de solidarité régionale locale, une sorte d'abondant de l'économie». Plus loin, l'intervenant s'interroge sur le devenir de l'Union européenne. «Est-ce que la construction européenne est une construction pérenne ? Ou est-ce que c'est une construction qui a épuisé une grande partie des espérances qu'elle avait données ?» Il apportera une réponse en évoquant son pays «pour la France, c'est une question importante car nous avons mis notre stratégie sur le développement de l'Union européenne et sur sa construction. Si celle-ci ne devait plus porter l'avenir stratégique de la France, nous serions embarrassés sans autre structure, c'est pour cela qu'il faut que nous réfléchissions à la fragilisation de cette construction et que nous allions chercher des partenaires ailleurs, chez d'autres voisins. C'est une réalité importante qu'est la surchauffe institutionnelle». A l'issue de son intervention, l'amiral a répondu à quelques questions de la presse, notamment celle de la position des peuples dans tous ces bouleversements que connaît la planète, notamment avec les défis évoqués. «Les peuples finissent par se révolter lorsqu'ils ne sont pas contents. Ce qu'on espère, c'est qu'ils ne se révoltent pas trop, qu'ils demandent des réformes et qu'ils ne fassent pas des révolutions. Les peuples frustrés font des révolutions qui sont souvent violentes et nous devons espérer que les processus politiques soient suffisants pour que les réformes puissent s'enclencher.» C'est alors que s'est posée la question de dialoguer ou non avec les dictateurs de certains Etats : «Je pense que c'est une erreur d'abattre pour des principes moraux quand on ne sait pas qui on va mettre à la place. Il fallait donner certainement un coup d'arrêt brutal à tout ce qu'il faisait, mais surtout il fallait regarder, avant quoi que ce soit, quel était le pivot qui existait dans ce pays et, donc, son élimination, était une erreur, c'est évident, comme celle de Saddam Hussein, comme l'élimination de Bachar El Assad serait sans doute une erreur».