La viande est l'ensemble des muscles squelettiques issus de la mise à mort des animaux de boucherie. Le passage de l'état «muscle» à celui de «viande» est un processus physico-chimique, qui requiert une bonne préparation de la carcasse. Mais tout d'abord, cela exige la réalisation d'une «saignée» de façon bien «soigneuse». De là, le produit final s'imprégnera de toutes les qualités requises pour une viande tant recherchée par le consommateur et payée parfois au prix de moult... sacrifices ! D'aucuns parmi les consommateurs algériens savent aujourd'hui que la qualité organoleptique de la viande, notamment celle qui a trait aux volets aspect, consistance et texture de cette chère denrée, dépend du type d'aliments par lequel l'animal a été sevré puis nourri. Ceci est d'autant plus vrai pour le mouton algérien, lorsqu'on sait que ce dernier broute naturellement les plantes aromatiques dans les zones de pâturage de l'arrière-pays. En effet, plusieurs études ont démontré que les plantes de la steppe algérienne donnent aux viandes rouges locales une saveur et une flaveur inégalables à travers le monde que, malheureusement, certains maquignons occasionnels et autres revendeurs véreux, à la recherche du gain facile et rapide, faussent ce label qui tarde à être approuvé par le pain rassis et l'aliment de la... volaille. Néanmoins, aussi bien à l'abattoir ou lors d'un abattage individuel (rituel ou occasionnel), l'égard envers l'animal ainsi que le respect des règles d'hygiène et de salubrité, avant et après la mise à mort de l'animal, sont autant de mesures qu'il faut impérativement respecter pour mériter une viande et des sous-produits (abats rouges et blancs) d'une qualité, nutritionnelle et hygiénique à la fois, hautement supérieure. A ce propos, dans l'intérêt de la prévention sanitaire des animaux et la protection de la santé publique, la législation algérienne en matière de santé animale (loi n°88-08 du 26 janvier 1988) a bien édicté les dispositions relatives à la protection des animaux et ceux de l'abattage et de l'équarrissage dont certaines peuvent relever, en cas d'infraction, du pénal. Ainsi, les différentes opérations de préparation, aussi bien des viandes que celles du cinquième quartier (toison, peau, abats, tête, os...) varient d'une espèce animale à une autre. Cependant, l'HIDAOA (hygiène et inspection des denrées alimentaires d'origine animale), une des principales spécialités en médecine vétérinaire et qui explore l'animal de la «fourche» à la «fourchette», évoque deux grandes étapes pour les opérations d'abattage. Ceci afin d'obtenir une viande aux normes requises en matière d'hygiène et de service. Il s'agit du traitement avant l'abattage et de la préparation, proprement dite, des viandes. Concernant le traitement avant abattage, il s'agit là de respecter deux mesures incontournables par lesquelles l'animal doit passer : la stabulation et la contention. La stabulation consiste à mettre les animaux au repos et en diète hydrique pendant 24 heures, avant le jour J. Pour la fête de l'Aïd El-Adha, mis à part l'eau «ad libitum», il est préférable de ne rien donner à manger à l'animal le jour du sacrifice, au grand dam des enfants. Cette diète hydrique, en somme réparatrice, permet de corriger les effets liés au stress de l'animal mais surtout de reconstituer les réserves glycogéniques qui vont intervenir plus tard dans la maturation de la viande. Cela sans oublier que pour les mammifères (animaux polygastriques), cette abstinence permet la vidange des sacs digestifs après la saignée et donc moins de contamination bactérienne lors des opérations suivantes qui nécessitent un contact intense avec la carcasse. Au niveau de l'abattoir, le repos des animaux permet aux vétérinaires la réalisation d'une seconde inspection sur pied. Ceux qui sont malades ou fatigués seront automatiquement dirigés vers le lazaret. Quant à la contention, c'est l'opération qui consiste à lier deux ou trois pattes de l'animal (toujours une antérieure et une postérieure) par une corde. En milieu industriel, bien avant la contention, il y a ce que les intervenants dans les abattoirs appellent par «l'amenée». Il s'agit du transfert des animaux, à travers le couloir d'amenée, du parc de stabulation vers la salle d'abattage, d'où le qualificatif de cette étape. L'amenée est surtout réalisée dans les abattoirs modernes, où le système mécanique et informatisé permet un abattage de plus de 200 têtes d'ovins ou 30 bovins/heure. Rites et saignée proprement dite : «dabiha», «shehita» et «jugulation» Il faut savoir que la saignée est la mise à mort de l'animal par extravasation sanguine. La technique utilisée varie, elle aussi, d'une espèce à une autre mais aussi selon les rites et les religions. Toutefois, selon les normes universelles, la saignée doit se faire par une seule incision qui sectionnera rapidement, complètement et simultanément les veines jugulaires et les artères carotides de façon à pouvoir «exsanguiner» et insensibiliser l'animal le plus rapidement possible. Elle ne doit en aucun cas excéder 40 secondes pendant que le cœur et les poumons sont en activité. Ceci, bien évidemment, pour aider à éjecter le sang mais aussi pour éviter une souffrance à l'animal. En effet, plus la saignée est complète et rapide, meilleure sera la qualité de la viande. A propos de cette mise à mort, il y a lieu de préciser que chez les musulmans, la saignée rituelle, appelée «dabiha», consiste en un égorgement. L'animal est ainsi couché à même le sol, puis immobilisé sur le côté gauche afin d'éviter toute blessure à l'animal et aux personnes qui assistent à la saignée, la tête est orientée dans la direction de La Mecque (qibla), et à l'aide d'un couteau tranchant, l'équarisseur procède à une section transversale de la gorge, de l'œsophage et de la trachée, ceci en même temps que les veines jugulaires et artères carotides. Chez les juifs, on parle plutôt de l'abattage «casher». C'est aussi un égorgement que les juifs appelent la «shehita». La shehita (pratiquée par un shohet) diffère de la «dabiha» (pratiquée par un «debbah») par le fait que l'animal est suspendu, la tête en bas, de façon à ce qu'il se vide de son sang. Les non-musulmans procèdent généralement, avant la saignée, à l'étourdissement (par électrochoc) de l'animal. Cette dernière a lieu en position suspendue (saignée verticale). De même pour les bovins, ils procèdent par une saignée dite par «jugulation». Ils jugent qu'elle est préférable car la plaie de saignée est relativement petite et donc ne déprécie que très peu le cuir destiné à l'industrie de la maroquinerie. Cependant, des études ont prouvé que la saignée selon le rite musulman a moins d'incidence sur la santé humaine, notamment en matière de qualité et de salubrité de la viande contrairement à la jugulation qui donne des viandes appelées médicalement «saigneuses», «exsudatives» ou «surmenées», avec de surcroît un foie de qualité médiocre. Aussi, pour éviter un autre stress pour l'animal, en aucun cas ce dernier ne doit voir ses congénères qui sont sacrifiés avant lui. Une pratique qui, faut-il le signaler, doit être impérieusement bannie de nos cités. L'habillage ou «dressing» Une fois la saignée terminée, plusieurs étapes doivent être suivies et respectées, en commençant par l'habillage (et non pas déshabillage). Cette étape, généralement la plus dure et par ailleurs pénible, notamment pour les jeunes initiés lors du sacrifice rituel, regroupe deux sous-étapes. La pré-dépouille, en premier lieu, qui correspond à toutes les opérations qui ont lieu entre la saignée et la dépouille proprement dite et dont l'ordre est variable selon les abattoirs et le mode d'abattage (industriel ou rituel). Ces opérations consistent en une ablation des extrémités des membres au niveau du tarse, du carpe et du toupet de la queue ; sans oublier, bien évidemment, l'ablation des organes génitaux externes et la tête de l'animal. Dans les tueries municipales, les organes sexuels internes doivent être conservés dans la carcasse pour éviter aux clients (bouchers, restaurateurs...) une éventuelle fraude avec la carcasse femelle qui est estampillée uniquement dans certains cas particuliers et précisés par la loi sur la médecine vétérinaire. Il en est de même pour les carcasses caprines, soumises à des autorisations préalables au niveau des abattoirs, où la touffe de poils doit être conservée à l'extrémité de la queue pour la différencier des carcasses ovines lors de l'opération de vente. Vient par la suite la dépouille qui est la seconde phase. Manuelle ou mécanique, elle a pour but d'enlever la toison ou le cuir, selon l'animal. Cela nécessite un instrument mécanique ou une coutellerie bien aiguisée afin de préserver une bonne présentation et conservation de la carcasse et du cuir. Pour faciliter l'opération de «dépouille», on procède au soufflage au moyen d'une pompe ou par la bouche (procédé traditionnel) par une incision au niveau de la face interne du jarret. Concernant les bovins, puisque de plus en plus de familles algériennes s'associent ces dernières années pour le sacrifie d'un veau ou d'un bœuf, il y a lieu de signaler que la dépouille peut avoir lieu après l'éviscération. Dans ce cas, le cuir doit être lavé avant la pré-dépouille. D'ailleurs, cette technique n'est utilisable que dans le cas où le cuir n'est pas souillé, parasité ou ne présente pas d'écorchures. Toujours pour le bovin, la dépouille commence par le traçage. Cela consiste en une incision abdominale médiane et deux incisions transversales en direction des membres ; par la suite, la dépouille postérieure, pour la croupe, les membres postérieurs ou pelviens et le ventre, suivie par la dépouille antérieure pour les membres antérieurs ou thoraciques ainsi que le collier. Enfin la dépouille dorsale, au niveau des flancs, permet d'arracher le cuir. L'éviscération L'éviscération d'un animal qui, bien entendu, diffère de l'anatomie-pathologie vétérinaire dont le but est plutôt médico-légal, consiste en l'ablation de tous les viscères thoraciques et abdominaux de l'animal à l'exception des reins. Elle est réalisée généralement en position suspendue pour les grands ruminants (bovidés, camélidés et équidés). Généralement, l'éviscération doit être terminée au plus tard 35 minutes après la saignée dans un abattoir jusqu'à 45 minutes et en cas d'abattage rituel. Dans l'espace familial ou de voisinage, au cas où la saignée concerne plusieurs animaux, mieux vaut finir avec l'animal déjà mort avant de passer le couteau sur les autres, les laissant parfois plus d'une heure à même le sol. Pour cela, il faut disposer d'un personnel chargé de la saignée et d'un autre qui s'affaire de l'habillage et de l'éviscération. En effet, une éviscération précoce est singulièrement importante pour éviter toute contamination de la chair par les parasites et la prolifération microbienne à partir de l'abdomen. Concernant cette étape, elle comporte deux paliers. D'abord, l'éviscération abdominale qui doit toujours avoir lieu en premier. Elle commence par la fente de la paroi abdominale, suivie de la ligature du rectum et d'une double ligature, au niveau du cardia et du duodénum. Les ligatures doivent être séparées d'environ 10 cm avec élimination des matières fécales entre la première et la deuxième ligature. Par la suite, on enlève tous les organes abdominaux, à savoir les intestins, les estomacs (s'il s'agit d'animaux polygastriques) ainsi que l'utérus si c'est une femelle. Les viscères seront acheminés dans une bassine pour le nettoyage et le tri. Le foie, organe noble, doit être mis à part pour une inspection minutieuse afin d'éliminer d'éventuels lésions ou carrément de faire une saisie de l'organe en cas de kystes notamment hydatiques. A noter que l'ablation de la vésicule biliaire qui est greffée sur le foie doit se faire à l'extérieure de la cage abdominale. Commence alors l'éviscération thoracique. Elle consiste en la fente du sternum à l'aide d'un fendoir ou d'une scie électrique, au détachement du diaphragme et en l'ablation du cœur et des poumons. Au niveau des abattoirs, les viscères thoraciques sont soit accrochés ensemble à la carcasse soit mis sur bande transporteuse ou sur balancelles pour être inspectés en même temps que la carcasse. Le poumon a un traitement particulier, puisque lui aussi est la localisation de prédilection du kyste hydatique chez les ruminants. Chez les bovins mais aussi les dromadaires que certains citoyens du sud du pays sacrifient pour l'Aïd El-Adha, il y a deux autres étapes supplémentaires qui doivent être observées. Il s'agit de la fente qui est généralement réalisée sur les carcasses de bovins et des camélidés. C'est l'opération qui consiste à séparer la carcasse en 2 demi-carcasses pour des considérations hygiéniques, légales mais aussi économiques. Enfin, l'ultime étape du sacrifice qui comporte trois actes réside en un finissage, un émoussage et un douchage des carcasses. Ce sont de brèves opérations destinées à améliorer la présentation des carcasses pour la vente et la consommation par la suite. La finition consiste à éliminer les nerfs, les graisses superflues et les zones dont l'aspect a été détérioré. Quant à l'émoussage, il sert à enlever une partie de la graisse apparente sur la carcasse dépouillée et qui peut être aussi pratiqué chez les carcasses ovines grasses ou graisseuses. Le douchage, qui est l'aboutissement du sacrifice, permet l'élimination de toutes les souillures (caillots de sang, esquilles d'os, etc.) et la réduction de la contamination superficielle de la carcasse. Cette dernière étant prête, commence alors le processus de maturation qui est à l'origine de la tendreté et du goût final de la viande. La carcasse est le siège de phénoménes physico-chimiques et enzymatiques successifs. Pour une meilleure maturation, la découpe de la viande doit donc se faire, selon le climat ambiant, 24 à 48 heures après abattage pour l'ovin et le caprin et 72 heures jusqu'à 5 jours pour les bovins et les camelins, à condition, bien évidemment, que la carcasse soit maintenue à une température ne dépassant pas les +2°C. Enfin, pour terminer le sacrifice dans les normes sanitaires et hygiéniques, les déchets (cornes, sabots, boyaux, bouts de toison, aliments du bétail...) doivent être détruits par enfouissement ou par incinération, sinon par un procédé chimique autorisé, comme c'est le cas dans les abattoirs modernes. Car comme le stipule la réglementation algérienne de la médecine vétérinaire dans son article 89 : «L'enlèvement et la destruction des cadavres et déchets d'origine animale constituent un service d'utilité publique.» Par la suite, il ne reste qu'à mettre la viande sur les charbons ardents, au grand bonheur de toute la collectivité ! S. K. * Vétérinaire hygiéniste BCH de l'APC de Draria, wilaya d'Alger.