De notre envoy� sp�cial Ma�mar FARAH Apr�s une accalmie d'une demi-journ�e, pluies et neige sont retomb�es en abondance sur l'extr�me nord-est du pays durant la nuit de vendredi � samedi, rendant de nouveau impraticables certaines routes ouvertes la veille. Mais l'axe le plus important demeurait toutefois accessible en milieu de journ�e. Il s'agit de la RN 3 reliant Constantine � Skikda et Annaba et qui est rest�e coup�e durant trois jours. C'est notamment gr�ce � l'intervention de l'ANP que cette route a pu �tre d�gag�e permettant ainsi aux routiers bloqu�s sur les hauteurs de A�n-Bouziane de poursuivre un voyage dont ils se souviendront toute leur vie. Si les familles ont pu �tre secourues rapidement par la Gendarmerie nationale dont il faut saluer les efforts durant cette temp�te, les chauffeurs de poids lourds sont rest�s sur place, subissant les affres du froid durant deux longues nuits. Leurs souffrances ont �t� cependant all�g�es par la sollicitude des habitants des douars environnants qui, bien que vivant dans le d�nuement total, ont apport� aide et soutien aux sinistr�s de la route. Azzedine T., camionneur approchant la cinquantaine, le visage enfoui dans un passemontagne, raconte : �Les gosses sont venus spontan�ment vers nous. Ils nous proposaient du pain et du caf� chauds. On en avait tant besoin ! Puis, certaines familles bloqu�es avec nous ont �t� invit�es � aller se reposer dans les maisons environnantes. Les femmes ne pouvaient plus supporter le froid terrible qui s'est abattu sur ces hauteurs, notamment la nuit. Ensuite, des personnes plus �g�es, descendant de toutes les collines voisines, sont venues avec des soupes bouillantes qui �taient les bienvenues ! Je n'oublierai jamais cette solidarit� !� D'autres routiers, apprenant que nous �tions de la presse, s'approch�rent de nous pour saluer l'intervention de la Gendarmerie nationale : �Ils sont rest�s avec nous nuit et jour, raconte Hocine D. de B�ja�a. Ils ont tout fait pour nous aider, mais malheureusement les autorit�s civiles n'ont pas agi avec la m�me promptitude et le m�me esprit de d�vouement. Puis, nous f�mes secourus par les djounoud de l'arm�e dont l'intervention fut d�terminante quant � l'ouverture rapide de la route.� L'ouverture de cet important axe, que l'on pourrait comparer � celui reliant Alger � Tizi-Ouzou et B�ja�a de par son importance strat�gique pour toute la r�gion, a permis d'acheminer certains produits qui commen�aient � manquer comme le carburant et le gaz butane. D'ailleurs, certains commer�ants v�reux proposaient la bouteille de butane � des prix inimaginables. Les lecteurs de Skikda, Annaba et Tarf ont pu enfin retrouver leurs titres pr�f�r�s apr�s une disparition de trois jours. Au col de A�n-Seynour Du c�t� sud, la neige qui est retomb�e durant la matin�e d'hier a bloqu� de nouveau l'axe Annaba-Souk-Ahras, notamment sur le tron�on Mechroha-A�n- Seynour situ� � haute altitude (plus de 1000 m�tres). L� aussi, les brigades de la Gendarmerie nationale sont mobilis�es pour venir en aide aux automobilistes qui n'ont pas toutefois connu les affres v�cus par ceux de A�n- Bouziane. Au col de A�n- Seynourr, la situation �tait totalement paralys�e. Impossible d'avancer, mais impossible aussi de reculer puisque la longue file s'�tendait sur plusieurs kilom�tres dans les deux sens. Les moyens mat�riels ne suivent pas toujours et le d�gagement de cet axe prendra plusieurs heures, � condition que la neige s'arr�te. Une accalmie. Les flocons touffus de tout � l'heure et qui rendaient pratiquement la visibilit� nulle deviennent plus l�gers, papillonnant dans ce d�cor surr�aliste de haute montagne. Nous quittons la voiture pour nous d�gourdir les jambes. D'autres automobilistes en font de m�me. Sa�d est venu de T�bessa. C'est un fraudeur d'une soixantaine d'ann�es qui continue de parcourir cette l�gendaire RN 16 avec sa vieille Peugeot 505. Il dit qu'il n'a pas v�cu pareille temp�te depuis les ann�es 70. Son compagnon, un voyageur beaucoup plus jeune, ajoute : �A la t�l�vision, ils disent que cela ne s'est pas produit depuis cinquante ans ! M�me � Alger, il a neig�. Et pas les petits flocons qui tombent de temps � autre sur Bouzar�ah et qui s'effacent rapidement…� La temp�rature semble d�gringoler au fil des minutes, et une �trange sensation de ne plus sentir vos pieds vous saisit. Alors, vous faites quelques pas, juste pour vous rendre compte que vos membres inf�rieurs sont encore l�, qu'ils vous supportent le plus normalement du monde et qu'ils peuvent vous faire marcher aussi… Les godasses s'enfoncent dans une �paisse couche de neige qui vous engloutit jusqu'au genou ! Mauvaise affaire ! Il fallait rester tranquille et remuer simplement les pieds, comme si l'on faisait de la marche sur place ! C'est ce que fait Mahieddine, tout pr�s de sa �bagnole� flambant neuf, immatricul�e � Marseille. Une grosse malle sur le toit de la Volvo indique de loin qu'il s'agit d'un �migr� rentrant au bled : �C'est pas possible ! L�-bas, sur la c�te m�diterran�enne, il n'y a pas tout cela ! Mais c'est bien ! C'est le signe que les saisons ne sont plus folles comme avant. C'est le signe du retour � la normale. Mais dommage qu'il n'y ait pas le mat�riel ad�quat pour ma�triser la situation !� La pr�sence d'un nombre aussi imposant d'automobiles et de camions sur cet axe qui monte vers A�n-Seynour, a attir� beaucoup de citoyens de la localit�. Certains jeunes sont venus proposer leur aide aux familles bloqu�es. D'autres se prom�nent avec des thermos. La discussion s'engage avec un groupe d'adolescents : �Il n'y a rien ici ! Tout est cher et celui qui ne travaille pas ne peut pas survivre en cas de temp�te ! Comment se chauffer ? Mais c'est facile : on trouve du bois dans la for�t ! Quoi ? C'est interdit ? Mais on s'en fout ! Allez le dire au gouvernement ! Ils n'ont qu'� mettre � un prix raisonnable le mazout ou ne pas augmenter celui du gaz butane ! C'est insens� ! Nous nous �tions plus ou moins adapt�s � la famine et � la sous-alimentation, mais ce froid, il va tuer beaucoup d'entre nous !� De vulgaires citadins �go�stes… Ces jeunes disent avec des mots crus une r�alit� incontournable. L'Alg�rie qui souffre et qui �chappe aux bienfaits du progr�s est durement frapp�e par ces intemp�ries. La neige et la pluie ont mis � nu ce pays profond qui semble frapp� de mal�diction. Comme un vernis qui fond sous un coup de toilette, les beaux discours sur la justice sociale et la solidarit� nationale deviennent subitement ridicules dans ce d�cor majestueusement beau, mais qui a du mal � dissimuler le drame que vivent les femmes et les hommes de ces montagnes. Dans pareilles conditions, l'acheminement d'un malade n�cessitant une prise en charge urgente devient quasiment impossible. L'ambulance est une voiture pareille � toutes les autres et n'a gu�re les moyens d'accomplir sa mission quand les bouchons se forment sur plusieurs kilom�tres et qu'il devient impossible d'avancer dans la neige et le verglas. R�cemment, des femmes enceintes arriv�es � terme ont pu �tre sauv�es gr�ce � l'intervention de la Gendarmerie qui a transform� ses 4X4 en ambulances de fortune ! Et les h�licopt�res pardi ! Si le malade est un g�n�ral ou un haut responsable, on en trouvera bien un, dormant au chaud dans un garage. Ainsi vivent les Alg�riens ! Le froid ajoute � leurs drames, mais ils en ont vu d'autres. A plus de 1000 m�tres d'altitude, on se sent plus proche de cette source de chaleur �ternelle qui nous fait oublier l'arbitraire et l'injustice des hommes. Ce peuple des campagnes, marginalis� et tu� � petit feu, sait toujours regarder vers le ciel, implorant la puissance divine. Parce qu'ils ne croient plus en la justice d'ici-bas, les gens des cimes ont appris � patienter, car ils savent qu'apr�s la pluie, le beau temps reviendra. Personne n'a le pouvoir de prolonger l'hiver, ni d'arr�ter le printemps. Il suffit juste de patienter… Tiens, voil� qu'une pluie glac�e se met � tomber. Vite, rejoignons nos voitures et attendons. Il faut prendre notre mal en patience. Ces petits d�sagr�ments ne sont rien � c�t� des terribles souffrances de nos fr�res et sœurs. Patientons. Relativisons nos probl�mes de petits bourgeois emb�t�s par les bouchons de la capitale ou l'absence momentan�e d'�lectricit�. Relativisons. Car, au fond, ces gens-l�, debout sto�quement dans la neige et qui regardent l'int�rieur de nos voitures avec envie, ces adolescents qui quittent le foyer pour nous offrir du th� chaud, ne sont-ils pas plus dignes de ce pays que nous ? Nous avons tout perdu… Peut-�tre que l'un de vos voisins n'a pas de quoi se chauffer ? Peut-�tre que le b�b� d'une vieille connaissance a besoin de chaleur pour survivre � l'hiver ? Non, nous sommes devenus de vulgaires citadins �go�stes, incapables d'aller souhaiter bonne f�te � nos voisins de palier. Des monstres gav�s de jeux t�l�vis�s et de fausses certitudes. Ces jeunes qui nous regardent dans le blanc des yeux et qui nous demandent d'aller dire leurs dol�ances au gouvernement sont comme une conscience qui se r�veille. Et derri�re la haie humaine qui nous salue au moment o� le cort�ge s'�branle enfin, j'entrevois le grand drapeau d�lav� du cimeti�re des martyrs de A�n-Seynour. Du fond de leurs tombes, ces h�ros nous regardent aussi : �Qu'avez-vous fait de nos serments communs ?�