Il y a quelque chose de paradoxal � plusieurs paradoxes m�me, en fait �, et c�est un euph�misme, dans la c�l�bration du centenaire de la naissance (en 1908 � B�ni-Isguen, Gharda�a), de Moufdi Zakaria, le p�re de Qassamen, qui se tenait vendredi � la Biblioth�que nationale Fran�ois- Mitterrand, � Paris. Le paradoxe ne vient pas de ce qu�un po�te de son envergure soit c�l�br� dans une institution qui s�est donn� pour mission de conserver et de promouvoir tout ce qui enrichit la culture des hommes. Moufdi Zakaria, patriote ombrageux et po�te au souffle hom�rien, �tait �un grand artiste des mots qui a bouscul� l�histoire� : c�est ainsi que le d�crit Bruno Racine, �crivain, et, en tant que pr�sident de la Biblioth�que nationale de France, h�te de la manifestation. Le paradoxe ne na�t pas non plus du fait que ce nationaliste radical ayant milit� � l�ENA puis au PPA, au FLN enfin, toujours dans le courant le plus ind�pendantiste, qui a fustig� � raison la France coloniale de toute sa verve, en vienne � �tre comm�mor�, � son corps d�fendant, dans le c�ur battant de la culture fran�aise. Apr�s tout, cela est derri�re nous, et il faut regarder devant, et dans la paix. Le paradoxe, c�est que la Fondation Moufdi Zakaria, pr�sid�e par Slimane Cheikh, son fils, ait �t� comme oblig�e de se rabattre, avec l�appui de l�association France- Alg�rie, dirig�e par Pierre Joxe, sur la Biblioth�que de France. Pressenti, le Centre culturel alg�rien � Paris a laiss� sans r�ponse depuis mars 2008 une demande de mise � disposition des locaux pour cet �v�nement. Sollicit� � son tour, et pour rester dans le monde arabe, l�Institut du monde arabe � Paris r�pond, lui. Mais c�est pour demander des frais de location exorbitants. �a n�emp�chera pas le directeur de cette institution de venir � la BN �clamer et d�clamer� un magnifique po�me � la gloire de Moufdi Zakaria. L�autre paradoxe est que, dans l�assistance, on comptait la pr�sence de l�ambassadeur de France en Alg�rie, dont le si�ge est � Alger, et pas celle de l�ambassadeur d�Alg�rie en France, dont le si�ge est � Paris. On nous explique que ce dernier a d� se rendre en urgence � Alger pour cause de r�union. L�explication n�a pas emp�ch� le scepticisme dans la salle. Un message de soutien aurait d� y suppl�er et effacer l�impression, fond�e sur tous ces �l�ments d�h�sitation, que l�apport de l�Alg�rie officielle � la c�l�bration du centenaire de son plus grand po�te en langue arabe manquait notablement de chaleur. N�anmois, il y avait de quoi faire et, apr�s tout, dans l'hommage � un po�te, f�t-il Moufdi Zakaria, il n�est pas que l�aspect protocolaire. Il y a aussi, et surtout, la f�te des mots, qu�il disait avec ses tripes et son intelligence, et l�hommage � celui qui �tait � la guerre d�ind�pendance ce qu�Hom�re �tait � la guerre de Troie et qui a fini, dans les ann�es 1970, par renforcer ce lien intertextuel avec le po�te grec antique en �crivant une �Iliade alg�rienne � aux accents puissants. Cette comparaison, qui n�est pas raison bien s�r, est une des pr�occupations de Waciny La�redj. Il aborde la question lors de la table ronde malheureusement br�ve. Moufdi Zakaria n�est pas Hom�re et la Gr�ce antique n�est pas l�Alg�rie, qui excelle dans l�art de marginaliser � de proscrire � ses vrais h�ros. Apr�s avoir connu � cinq reprises les ge�les coloniales entre 1937 et 1962, ce qui a totalis� sept ans de prison, � l�ind�pendance, il prend le chemin de l�exil � d� � son refus d�all�geance aux ma�tres du moment�, comme not� dans une courte biographie distribu�e par la fondation qui porte son nom. Cet homme �tait attach� � l�Alg�rie par toutes les fibres de son art. Il meurt � Tunis en 1977. Sa vie et ses combats d�avant l�ind�pendance sont rendus, avec �motion, par les t�moignages recueillis dans l�excellent film que Sa�d Oulmi lui a consacr�. On suit sa trajectoire, tumultueuse, passionn�e, intransigeante. On sent sa fringale po�tique, sa curiosit� intellectuelle, sa d�termination dans l�affirmation de ses id�es. On palpite avec cette inspiration, toujours sous-jacente, qui hisse l�Alg�rie aux plus hauts sommets de la sacralit�. Dernier paradoxe : c�est Benjamin Stora, �le plus Alg�rien des historiens fran�ais� (Slimane Chikh, dixit) qui rappellera que la famille politique de Moufdi Zakaria est le PPA dont il a toujours partag� la ligne ind�pendantiste dure. A cette affirmation qui ne fait pas l�ombre d�un doute, Slimane Chikh r�pond que cela m�rite d�bat car, selon lui, son p�re aurait pour �famille politique� plut�t les Oul�mas. Il nuancera cette affirmation en pr�cisant qu�il voulait parler plut�t de �famille culturelle�, Moufdi Zakaria partageant avec les amis de Ben Badis non pas l�assimilation, qui �tait leur position politique, mais l�attachement � la langue arabe. Des courants synchronisent-ils, plus ou moins confus�ment, la mont�e de l�islamisme d�aujourd�hui � la r�habilitation des Oul�mas d�hier, lesquels, faut-il le rappeler, n��taient pas homog�nes ? Ce double mouvement induit une lecture t�l�ologique de l�histoire qui fait rattacher hier � ce qui domine aujourd�hui. Rachid Boudjedra, toujours �gal � lui-m�me, d�contract�, �voque la figure prosa�que de Moufdi Zakaria, ami de son p�re � Tunis. C�est plus tard qu�il comprendra la port�e de ce po�te et son paradoxe fondateur : �tre � la fois le po�te organique de la R�volution alg�rienne et rester un homme libre. Ceux que d�range Moufdi Zakaria, ce sont ceux qui ont d�valoris� par leur pratique l�image d�abn�gation et de d�vouement � l�Alg�rie. A l�heure des �chines courb�es et des dormants, l�abn�gation et le d�vouement, c�est le mod�le dont aurait sacr�ment besoin notre jeunesse.