Alors qu'en Libye les batailles font rage et les rebelles sont toujours à la recherche de Kadhafi qui pourrait se cacher à Bani Walid, le Comite national de transition semble avoir tracé une feuille de route sur la gestion de l'après-guerre. Cette ville de plus de 50 000 habitants, située à 150 km au sud-est de Tripoli, est l'un des derniers bastions de l'ancien guide dans une Libye dont la quasi-totalité est désormais contrôlée par le nouveau pouvoir. A coté de la ville de Syrte, sur la côte méditerranéenne, et l'oasis de Sabha, dans le centre-ouest du pays, elle constitue l'une des trois dernières poches de résistance des partisans de Kadhafi. Dans l'attente de l'expiration de l'ultimatum fixé par le CNT aux forces kadhafistes, repoussé au 10 septembre, les ex-rebelles patientent tant bien que mal aux portes de Bani Walid, tenue par l'ancienne armée loyaliste. A l'est de la ville, des accrochages entre les deux camps éclatent quotidiennement mais l'ex-rébellion, qui effectue régulièrement des missions de repérage dans la zone, affirme éviter dans la mesure du possible d'ouvrir les hostilités en se gardant de toute provocation pour ne pas porter un coup fatal à une solution négociée. Pour l'instant, aucun des deux camps n'est parvenu à prendre le contrôle du vaste territoire séparant Bani Walid, bastion de la plus importante tribu libyenne des Warfalla, et Syrte, la ville natale de Kadhafi. Selon la rébellion,168 unités, soit 16 000 hommes, sont actuellement déployées autour du bastion de Misrata dans l'attente de l'assaut final contre Bani Walid et Syrte qui, aux dires des rebelles, sera compliqué. «Ce n'est pas une question d'effectifs. Bani Walid est encerclée par des collines et les hommes de Kadhafi ont des chars et des roquettes Grad déployés en haut des collines. La bataille de Syrte sera également difficile», explique Ismaïl Sabhi, qui commande une unité militaire du CNT. Bien que privés d'approvisionnement, les loyalistes de Bani Walid ne montrent aucun signe de fléchissement. Selon le nouveau pouvoir, les forces kadhafistes appellent quotidiennement sur les ondes les civils à prendre les armes et à combattre. Jeudi, un convoi de combattants anti-Kadhafi s'est aventuré dans le désert dans le cadre d'une mission de reconnaissance et a notamment inspecté une installation russe de défense aérienne de Kadhafi détruite lors des six mois de guerre civile. En attendant la fin de la guerre, le représentant en Grande-Bretagne du CNT, Guma al-Gamaty a indiqué qu'une assemblée constituante sera élue dans environ huit mois et des élections présidentielles et législatives seront organisées d'ici 20 mois. «Durant huit mois, le CNT dirigera la Libye avant qu'une assemblée élue par le peuple» ne prenne les commandes du pays pour rédiger une Constitution et «au bout d'un an, des élections seront organisées», a-t-il ajouté. «Nous avons huit mois et un an avant des élections finales à la fois législatives et présidentielles. Et avec un peu de chance, après environ 20 mois, le peuple libyen aura élu les dirigeants qu'il souhaite», a-t-il dit. La nouvelle Constitution rédigée par une assemblée de 200 membres sera soumise à référendum avant les élections présidentielles et législatives, a-t-il précisé. «Dans la mesure où Tripoli est stabilisé et sûr et que la plupart des autres villes du pays le sont aussi, les Libyens peuvent entamer le processus de transition», a estimé M. Gamaty. Lors d'une conférence jeudi à Paris, l'ONU et les grandes puissances ont débloqué 15 milliards de dollars contre la promesse de démocratie, de stabilité et de réconciliation en Libye. La bataille pour le pétrole Le représentant à Paris du CNT a nié jeudi que le CNT ait signé avec la France un document lui promettant 35% du pétrole libyen. Quelques heures avant le début d'un sommet consacré à la reconstruction de la Libye démocratique à Paris, le quotidien français Libération a publié une lettre datée du 3 avril à en-tête du «Front populaire pour la libération de la Libye» et adressée à l'émir du Qatar dans laquelle le CNT dit avoir signé un «accord attribuant 35% du total du pétrole brut aux Français en échange du soutien total et permanent à notre conseil». «Je n'ai jamais entendu parler de ce front», a réagi Mansour Sayf al-Nasr, envoyé spécial du CNT à Paris. «Tous les documents, tous les traités valables sont signés CNT», a-t-il fait valoir, rejetant tout autre document comme non valide. L'instance dirigeante de la rébellion libyenne n'est connue, depuis fin février, que sous le nom de Conseil national de transition. La seule référence à un «Front de libération» sur internet renvoie à cette lettre du 3 avril publiée ce jeudi par Libération et qui circule depuis des semaines sur la toile. Interrogé sur la radio RTL jeudi, le chef de la diplomatie française Alain Juppé a dit «ne pas avoir connaissance d'une telle lettre». «Le CNT a dit très officiellement que dans la reconstruction, il s'adresserait de manière préférentielle à ceux qui l'ont soutenu, ce qui me paraît assez logique et juste», a-t-il ajouté, répétant ne pas avoir «connaissance d'accord formel». «Nous ne sommes pas les seuls. Les Italiens, les Américains sont là», a-t-il fait remarquer. Depuis Londres, le représentant du CNT Guma al-Gamaty a assuré que les futurs contrats sur l'exploitation du pétrole libyen seront accordés «sur la base du mérite et non par favoritisme politique». Ainsi, les pays en pointe aux côtés des anti-Kadhafi en Libye voient miroiter de juteux contrats, mais leurs espoirs risquent d'être déçus car les prétendants sont nombreux et le nouveau pouvoir n'a pas intérêt à tout chambouler, notamment en matière pétrolière. Francis Perrin, expert de la Libye au Centre arabe d'études pétrolières explique que «le nouveau pouvoir libyen n'a aucune raison de brader son pétrole à ses amis entre guillemets, sachant que demain ils auront plein d'amis à travers le monde». «La prime politique sera réduite, parce que le potentiel pétrolier et gazier en Libye est tellement important qu'ils n'ont pas besoin de faire de cadeaux pour voir accourir le ghota pétrolier mondial», a-t-il dit. Le pays ne produit presque plus de pétrole à l'heure actuelle et doit vite relancer la machine. Pour cela, les compagnies déjà présentes sont en pole position : le français Total, l'espagnol Repsol et surtout l'incontournable italien Eni, selon plusieurs experts. En effet, les rebelles se sont finalement engagés à honorer les contrats conclus sous l'ère Kadhafi. Eni, qui se taillait la part du lion et qui contrôle le seul gazoduc d'exportation, a signé lundi un accord avec le CNT pour reprendre ses activités dans le pays. Les Britanniques et l'or noir Le gouvernement britannique a mis en place une cellule secrète destinée à tarir l'approvisionnement en pétrole des troupes loyales à Kadhafi et à sécuriser celui destiné aux rebelles, selon des sources diplomatiques. La «cellule pétrole de Libye», composée d'une poignée de fonctionnaires, de ministres et de militaires, a été établie au ministère britannique des Affaires étrangères, selon la radio BBC qui a révélé l'information. Elle a été créée sur proposition du secrétaire d'Etat chargé du développement international, Alan Duncan, qui a convaincu en avril le Premier ministre David Cameron qu'une partie de la solution au conflit en Libye résidait dans le pétrole. «Le pétrole jouait un rôle très important dans la machine militaire de guerre de Kadhafi», a indiqué une source britannique diplomatique. La stratégie du gouvernement britannique, qui participe aux opérations militaires de l'Otan en Libye depuis six mois, «était d'accroître la pression» sur le régime libyen «dans tous les domaines» et «la cellule pétrole faisait partie d'une approche multiforme de la part du gouvernement», a-t-elle ajouté. «Notre but était d'affamer l'ouest de la Libye en pétrole et nous assurer que les rebelles puissent continuer», à combattre, a encore expliqué à la BBC une source proche du gouvernement. «Kadhafi a beaucoup de pétrole brut mais il ne pouvait pas le raffiner. Il dépendait du pétrole importé, et nous avons coupé ce robinet», a-t-il ajouté. La cellule a fourni des informations à l'Otan pour bloquer le port de Zawiyah, à une quarantaine de kilomètres à l'ouest de Tripoli, afin d'empêcher l'approvisionnement en pétrole du régime Kadhafi, selon la BBC.