Le sanctuaire du GIA est devenu un haut lieu de pèlerinage familial. Il neige à Chréa. L'événement a été à ce point important pour justifier ce reportage, et encore plus pour inciter les familles et tous les amoureux de la neige à grimper sur les hauteurs vite blanchies par 80 cm de neige. En trois jours de neiges abondantes - en fait, les plus importantes depuis au moins cinq ans - La Mitidja a pris un «coup de vieux» et Chréa (re)devint l'attraction de milliers de visiteurs sevrés depuis longtemps de la contemplation de sa nature. Belle revanche du Nord sur le Sud, de Chréa sur le Hoggar, des cimes neigeuses sur les sables du reg et les dunes du désert. Depuis la ville des Roses, Blida, le spectacle est déjà saisissant et il n'y a rien à faire que d'inciter Boualem à conduire plus vite. Sortie sud de Blida et montée vers Chréa. Indication: la station culmine à 1600 mètres. Premiers virages et plusieurs villages. Chaque pierre a un nom, une histoire. En chemin, des écoliers qui, les mains dans les poches, les oreilles sous le bonnet et le cartable en bandoulière, parcourent quotidiennement 4 à 5 km pour rejondre leur école. Le bord des routes n'est protégé ni par une balustrade ni par une rambarde. La chaussée, émaillée de givre, est glissante. Une mauvaise orientation, un dérapage et les enfants peuvent être entraînés par le véhicule dans les innombrables ravins qui bordent les sinuosités. Première escale: Aouina, puis Aouina 2. Nous retenons ces noms parce que les deux hameaux offrent une vue imprenable, plongeante, vertigineuse sur toute la ville de Blida. D'en haut, on voit le stade Brakni, les cités, la gare routière et la vaste plaine de La Mitidja, probablement une des plus belles orangeraies de la planète. A 1000 mètres d'altitude, la neige devient plus épaisse et les visiteurs plus nombreux. D'interminables files de voitures empruntent ces chemins sinueux qui grimpent vers le sommet de Chréa. La plupart des familles préfèrent stationner en bordure de route et bifurquer ensuite vers les talus. L'air est d'une pureté inouïe. On se remplit les poumons. On prend des photos, on court et on entame une bataille de boules de neige. Les vieux retrouvent leur jeunesse et les enfants s'en donnent à coeur joie pour leur baptême de neige. Les branches des sapins, pins et autres arbres des sommets sont encore recouverts de neige et des variétés d'oiseaux chantent et sautillent de branche en branche. Les plus hardis commencent à «monter» leur bonhomme de neige. Il faut beaucoup d'efforts, de patience et de persévérance pour en faire un. Beaucoup d'ingéniosité aussi pour faire les yeux, le nez et la bouche, parce que, hormis les arbres, il n'y a que la neige comme matériau. Aussi, il faut grimper pour enlever des branches ou une pomme de pin et en faire bon usage. Sur les hauteurs de Chréa, à 1600 mètres du niveau de la mer, l'activité est fébrile. Les familles plus nombreuses. Le froid plus prononcé et les grelottements plus manifestes. Le paysage vaut pleinement le détour. C'est, en fait, un véritable voyage purificateur. De nos impuretés. De nos faiblesses. De notre lâcheté et de nos mensonges. Un groupe de jeunes fête l'anniversaire d'un de leurs copains. Samira et Nora n'en croient pas leurs yeux et restent de longs moments ébahies devant le site et les paysages. Elles se font prendre en photos. Notre photographe, Yazid, profite pour faire le plein de zoom en mitraillant à gauche et à droite tout ce qui s'offre à lui. Dès qu'un jeune «sort» un peu des routes gérables, un militaire le rappelle à l'ordre: «Restez dans les parages, petit. Vous pouvez vous faire tuer à chaque bifurcation, et votre famille patientera six mois pour qu'on retrouve votre corps.» Ce coup de semonce permet d'évaluer la persistance du danger. D'ailleurs, il n'y avait pas lieu de demander à l'armée pour voir que le danger existe - même à une très faible échelle - autour de Chréa. Les points de contrôle et les postes militaires placés sur les cimes renseignent sur la menace liée au GIA. Les guérites des gardes communaux et les camions militaires qui ravitaillent ces miradors sont là pour sécuriser les visiteurs et dire que la menace terroriste n'est pas totalement évacuée. N'oublions pas que nous sommes à Chréa, c'est-à-dire, dans le fief par excellence du GIA depuis Djamel Zitouni. Les points de chute des hommes de la katibat el-Khadra, le QG de la direction de l'organisation avaient été placés là, autour de ce sommet et avaient pour noms Tala Acha, Tala Agba, Tala Tiyou, Agbet Chadi (la pente du singe) que les hommes escaladaient à quatre pattes, comme leurs cousins primates. Djamel Zitouni, émir du GIA de 1994 à 1996, ne quitta le fief que deux fois : la première pour entrer à Alger avec quatorze membres de sa garde rapprochée, la seconde, pour aller vivoter du côté de Médéa (entre Tablat et Ouzera) ce qui lui coûta la vie. Après une virée des sommets de Chréa, il fallait faire le chemin inverse pour redescendre. La pente est assez glissante pour inciter les automobilistes à ne la faire qu'en première, et le pied tout près du frein. Vous pouvez passer une bonne heure pour descendre les 19 kilomètres qui séparent Blida des sommets de Chréa. Voyage aux sources de la foi. Voilà ce que doit être l'intitulé de ce petit reportage. Tant la foi dans toute sa grandeur, le ciel dans toute son étendue vous envoûtent, vous submergent et emplissent votre coeur d'une grandeur et votre âme d'une méditative sagesse. Plus bas, la ville, ses attraits, ses intrigues et ses petitesses va vous engloutir de nouveau et vous rendre à votre état originel. De grand ou de petit homme. Mais le temps d'un bain de neige, vous aurez été purifié. Et cela vaut largement la peine d'être vécu.