«Nous l´avons, madame, en dormant, échappé belle...» C´est ce qu´aurait pu déclarer chaque père tranquille de cette infortunée cité populaire où le sommeil est une denrée rare et précieuse. Il faut dire que les dernières nuits furent infernales: à cause de la température estivale, les chômeurs professionnels, jeunes et moins jeunes ont veillé très tard avec café froid et un joint itinérant. Les discussions allaient bon train, ponctuées de rires homériques ou de glapissements propres à alimenter les cauchemars des insomniaques en panne de sédatif. Les jurons fusaient, les appels, les onomatopées, tout un registre de sons communs aux espèces humaine et animale constituaient la bande sonore de cette vie où mêmes les rats n´osaient plus sortir. Ce fut pire le soir de la victoire de l´USMA sur la JSK: un défilé ininterrompu de voitures aux moteurs vrombissants fut organisé par une bande de jeunes surexcités qui hurlaient des chansons sans paroles en s´accompagnant d´un concert de klaxons qui vrillaient les tympans. Ce n´est pas tout: un orchestre fut improvisé avec tambour et trompette, et une sarabande de jeunes drapés dans des drapeaux de diverses origines, occupa la petite place de l´impasse. Des feux de Bengale illuminèrent l´espace qui étaient jusque-là éclairé par la lumière funèbre de l´éclairage public. Le rythme était donné par le tambour et les battements des mains. Bref, on se croirait à la belle époque de l´indépendance: il ne manquait que l´enthousiasme et la naïveté de ce temps-là. Tout cela pour raconter la difficulté d´être (et de dormir) dans cette cité populaire où chaque équipe de football a ses supporters et les citoyens non concernés par ce sport roi sont obligés de subir l´exaltation et les débordements d´une jeunesse à qui l´on n´a offert que cet exutoire pour exorciser les démons de l´oisiveté. Alors, vous parlez, quelle fut ma satisfaction quand j´entendis les soupirs de déception de mon voisin du dessous (j´arrive à percevoir tous les sentiments qu´il extériorise bruyamment à l´occasion des matches de football à tel point que je n´ai pas à allumer la télévision pour connaître le score final): l´Equipe nationale venait de perdre un match important contre l´équipe de Guinée. Si le contraire s´était produit, nous aurions connu les mêmes explosions de joie que lors de la victoire éphémère de notre glorieuse équipe lors du Mondial de 1982. La deuxième satisfaction vient du fait qu´à l´entrée sur le terrain du ministre de la Jeunesse et des Sports, les milliers de spectateurs agglutinés sur des gradins surchargés se sont mis à crier «la pomme de terre à 70DA!» bien que ledit ministre ne peut pas être rendu responsable de la rareté du précieux tubercule. Mais c´est une preuve que le football ne restera pas longtemps l´opium du peuple. [email protected]