Vous allez me dire que cette histoire de Galériens vous l´avez entendue sur tous les tons et sur tous les modes et que chacun y va de sa petite chanson. Celui-ci loue les Galériens de l´Est parce qu´ils étaient mieux armés, celui-là chante les louanges des gars de l´Ouest parce qu´ils savent bien danser et chanter et parce qu´ils sont bien cultivés. L´autre a une préférence pour les gars du Sud parce qu´ils ont le sens du commerce et qu´ils sont très religieux. Il n´y avait que les Galériens du Centre à ne point trouver de grâce auprès des Galérois. Et pourtant, les Galériens ne sont pas rancuniers. Ils oublient vite les crasses qu´on leur a faites ou les misères qu´on leur fait subir: un beau discours par-ci pour glorifier l´unité nationale, une petite cérémonie par-là pour commémorer tous les martyrs sans exception, même ceux qui ont reçu un coup de poignard dans le dos de la part de leurs frères, même ceux dont les ossements ont été subtilisés... Enfin, les Galériens sont de braves gens, mais ils ne sont pas faits hélas, pour la politique. C´est la raison pour laquelle ils ne se retrouvent dans aucun système. Tout cela pour expliquer les raisons de leur tristesse profonde. Ne croyez pas qu´ils soient nés tristes! Non! Avant, malgré toutes les difficultés de la vie, ils ne cessaient de rire. Le samedi soir, ayant adopté les us et les coutumes des Galeux, ils se retrouvaient au bistrot autour d´une douzaine de bières bien fraîches et de succulentes kémias: clovis, sardines salées, skabètches, olives, cacahuètes, frites... C´est simple, après une virée au bistrot, ils n´avaient plus besoin de manger à la maison. Le bonheur de vivre rayonnait sur tous les visages. Le dimanche, ils allaient au stade ou au Jardin d´Essai promener leur petite famille...C´était le bonheur. Et le lundi, ils reprenaient le travail de bon coeur, (pour ceux qui avaient un job) ou se mettaient à la recherche d´un emploi (pour ceux qui n´en avaient pas). Mais ne croyez surtout pas que les Galériens aient regretté d´avoir mis dehors les Galeux. Or, au bout d´un demi-siècle d´indépendance, ils s´étaient aperçus que la vie n´avait pas beaucoup changé pour eux: chômage, précarité, mal-vie... Enfin, les Galérois avaient tout simplement remplacé les Galeux. Mais il y avait autre chose de plus douloureux qui les rendait inconsolables: ils avaient perdu leur joie de vivre depuis que le 1er avril est devenu fête nationale et que les Galériens sont obligés de mettre leur gaieté en berne pour penser à ceux qui ne sont plus, mais qui doivent se retourner dans leur tombe si jamais des échos leur parvenaient... Surtout le 1er avril, fête des bons vivants.