L'auteur densifie la structure narrative de son roman en y ajoutant des passages d'un ́ ́manuscrit de 96 pages ́ ́, sorte de pastiche de roman d'espionnage écrit durant l'adolescence du journaliste. Dans Mauvais Sang, un roman paru aux éditions Chihab, l'écrivain et critique littéraire Rachid Mokhtari raconte, à travers des récits enchevêtrés, l'histoire d'un journaliste qui tente d'échapper à l'horreur des années de violence terroriste en se replongeant dans ses souvenirs d'enfance. Dans la salle de rédaction d'un quotidien algérien, peu avant l'heure fatidique du bouclage, le rédacteur en chef reçoit de ses correspondants régionaux les dernières «nouvelles macabres» des massacres perpétrés dans des villages. Informations qui chamboulent la mise en page de l'édition du lendemain. Lors de «l'extrême tension» de ces moments, surmontée grâce à l'alcool, le personnage s'évertue à mener à bien sa mission journalistique «de vigile scripturaire (presque funéraire) d'évènements sanglants», mais reste obsédé par une autre «mémoire»: celle de sa propre enfance de «fils de chahid» dont les bribes sont consignées dans les fichiers intimes» de son ordinateur aux côtés des articles à corriger. Cette situation sert de prétexte à l'auteur pour opérer un va-et-vient entre deux périodes historiques, la fin des années 1990 et la veille de la promulgation de la «loi sur la concorde civile», et les premières années de l'indépendance algérienne. Le lecteur passe ainsi, sans transition, d'un récit à l'autre -tous deux écrits à la deuxième personne du singulier- marqués par la violence, le stress et l'alcoolisme dans le premier, et la relation complexe avec la mère -une veuve de combattant vivant dans un village kabyle et dont la garde du fils envoyé à Alger pour poursuivre sa scolarité sera retirée- dans le deuxième. Rachid Mokhtari densifie la structure narrative de son roman en y ajoutant des passages d'un «manuscrit de 96 pages», sorte de pastiche de roman d'espionnage écrit durant l'adolescence du journaliste où le héros «007» enquête sur le meurtre en 1963 d'un couple d'européens à Alger... Avec un style nerveux et une syntaxe concise, Rachid Mokhtari restitue avec fidélité les «années de sang», en y ajoutant des référents mythiques pour dire toute l'«horreur» des crimes et l'«inhumanité» de leurs auteurs désignés à plusieurs reprises, par des noms comme «Bijoh des enfumades et des contes effroyables» ou encore «Boubrit condamné par Ibliss à porter son sac de crânes humains...» Ces qualificatifs, quolibets ou noms propres altérés, apparus durant la colonisation pour désigner des chefs sanguinaires comme le général Bugeaud (Bijoh) ou encore le Maréchal Beaupêtre (Boubrit), peuvent être lus comme une volonté de l'auteur de lier la barbarie des crimes coloniaux à celle des crimes terroristes des années 1990. Le récit de l'enfance et de l'adolescence du personnage sert quant à lui à évoquer la situation difficile des veuves après l'indépendance, confrontées, aux difficultés bureaucratiques pour obtenir leur pension et en «proie aux rumeurs» des villageois qui «mettaient à mal leur réputation». Rachid Mokhtari rend également hommage à plusieurs écrivains algériens (Tahar Djaout, Yamina Mechakra, Mohamed Dib...) en mettant en exergue des passages de leurs livres en ouverture de plusieurs chapitres.