En rédigeant la proclamation du 1er Novembre 54, Ben M'hidi, Bitat, Krim, Didouche, Boudiaf et Ben Boulaïd n'ont fait que répondre à l'exigence des millions de patriotes algériens. Lorsque à travers son appel du 27 décembre 1953 - qui deviendra historique par la force des choses - à la base militante du MTLD contre son comité central auquel il retira sa confiance, Messali était certain de neutraliser ses adversaires qui lui contestaient le leadership avec, peut-être, en filigrane, une place de choix au musée de l'histoire à côté de Syphax, Abdel Moumen ou encore l'Emir Abdelkader, il était loin de se douter que son appel allait modifier l'ordre des choses et entraîner de nouveaux rapports de force. En effet, il venait, sans le savoir, d'enclencher un processus qui allait embraser l'Algérie durant huit années consécutives et, par-delà les frontières de ce pays, sonner le glas de l'ère de la colonisation directe et influer du coup sur le destin de centaines de millions de femmes et d'hommes. Dans tous les cas les dés étaient jetés, car tout le monde était mis devant le fait accompli du 1er-Novembre 54. Par la proclamation du 1er Novembre rédigée à Raïs Hamidou et tirée à Ighil Imoula, le groupe des 22 appelait les Algériens à la lutte armée contre la colonisation. Mais par cette action, la colonisation n'était pas la seule visée. Certes, la colonisation était l'objectif fondamental qui devait se concrétiser par la souveraineté du peuple d'Algérie. La décision d'engager la lutte armée dans les conditions connues de tous, était également dirigée contre l'ensemble des partis et des factions du pays tels que Messali, le comité central du MTLD, l'UDMA de Ferhat Abbas, les Oulémas et le PCA, mais ceci à titre secondaire. C'est le corollaire incontournable de la philosophie du 1er Novembre, et ce fut en quelque sorte une double déclaration de guerre. Les combattants du 1er Novembre avaient-ils la certitude de la victoire malgré l'allure titanesque du combat qu'ils décidèrent d'entreprendre? Etaient-ils mûs par une foi sans commune mesure avec le destin de leur action et le devenir de leur peuple et de leur pays? Ou bien alors convaincus de la dislocation (la lutte qui opposait Messali à son comité central) irrémédiable du MTLD, avaient-ils consciemment et délibérément opté pour cette espèce de fuite en avant qui déboucha sur la destruction de vastes empires coloniaux? Ou bien alors y avait-il tout cela à la fois à travers le conscient et le subconscient des vétérans du 1er Novembre 1954? Certains militants de l'ancienne génération encore vivants aujourd'hui, ne peuvent pas ne pas garder en mémoire le refus de nombreux patriotes (il faut bien leur donner ce nom) qui rejetaient toute idée d'intégration dans le MTLD uniquement en raison de l'aspect légaliste et paci e sa philosophie. Ils posaient crûment et simplement la question «Est-ce que vous avez des armes? Si vous n'en avez pas, laissez-nous tranquille!». Cette exigence de ruraux étrangers à toutes les formations politiques de l'époque, dénotait une maturité et une clairvoyance qui étaient difficiles à déceler au niveau des cercles dirigeants du mouvement national. Ainsi, pour la première fois depuis plusieurs siècles, des Algériens engagent une lutte organisée contre l'occupant français avec un grand impact psychologique au sein des populations tant algériennes, algériennes d'origine juive qu'européennes. Et c'est ce qui fait peut-être aujourd'hui le caractère universel du 1er Novembre 54.