Une vue de la conférence de presse «Au lieu de nous enfermer dans un vocable restrictif on aurait dû en faire une année de la culture algérienne et rassembler tous les artistes du pays entre eux. Une occasion pour se connaître, se reconnaître et débattre...», a soutenu Lounis Aït Menguellet. Ils étaient là, tous les deux. Hier, le grand chapiteau de Riadh El Feth à Alger s'est offert un plateau rare. Une scène de rêve. L'un zen et l'autre souriant. Affable et un sens génial de la formule, Idir s'est couvert la tête avec un chapeau noir. Zen et impassible, Lounis Aït Menguellet diffuse une «zénétude» qui contamine. Jamais les caméras des télévisions privées algériennes et les flashs des photographes n'ont eu une pareille opportunité d'immortaliser les deux plus grandes figures de la chanson kabyle réunies en un même lieu. Pour réussir ce challenge, il a fallu de la créativité au sens propre et figuré du terme. Hier, se déroulait en effet, le 2ème Salon de la créativité, organisé à Riadh El Feth et auquel prennent part 70 exposants entre éditeurs, établissements culturels, musées, artisans et artistes. L'événement a été organisé par l'Office national des droits d'auteur (Onda). Lounis et Idir n'ont pas échappé aux rafales des questions et on croyait que l'une d'entre elles allait fâcher. Tel n'a pas été le cas. Pourquoi ne voulez-vous pas chanter à la manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe», interroge une journaliste. Idir: «Je n'avais pas envie», il enchaîne «Constantine est un haut lieu de la culture algérienne, il n'y a rien à dire mais ce qui me gêne dans l'affaire, c'est le contexte idéologique qui sous-entend qu'on diminue la culture algérienne de quelque chose. Se fixer seulement sur la culture arabe, c'est l'idéologie qui a primé. Si la manifestation se passait à Dubaï, je serais parti en tant qu'artiste ou j'aurais refusé et c'est tout mais quand cela se passe en Algérie, il n'y a pas de raison d'occulter le berbère et de le mettre de côté. Aït Menguellet renchérit: «J'aurai vu Constantine capitale de la culture algérienne. Notre pays est riche et chaque région a ses spécificités. Au lieu de nous enfermer dans un vocable restrictif, on aurait pu en faire une année de la culture algérienne et rassembler tous les artistes du pays entre eux. Une occasion pour se connaître, se reconnaître et débattre...». Et le débat sur la culture, le statut de la langue amazighe est ouvert. Idir en raffole. «Quand tu as un espace aussi vaste qui va des îles Canaries jusqu'en Egypte, qui va du Nord du Tchad jusqu'à la Méditerranée pourquoi occulter une pareille aventure extraordinaire?», s'interroge-t-il. «Il est hors de question d'occulter quiconque. je suis amazigh, je le revendiquerai toujours et j'ai droit au chapitre dans mon pays», ajoute Idir qui refuse d'accepter «que quelqu'un me dise, oui, tu es algérien, mais comme je le veux, donc sous-algérien. Je ne suis pas obligé d'accepter cette discrimination. En tant que Kabyle aujourd'hui, je ne me sens pas algérien à part entière mais algérien entièrement à part». Dans son combat pour son identité, l'artiste Idir remonte le cordon ombilical de sa culture qui le mènera vers ses origines. «C'est une quête initiatique». Dans ses poèmes, il concentre toute la vitalité réprimée de la culture amazighe. Avec sa voix innocente, il franchit l'autre rive de la Méditerranée avant de conquérir toute la planète. Il porte la cause au firmament et Idir devient un militant de l'Universalisme. «Il faut s'ouvrir vers l'Autre», aime-t-il ressasser. L'Autre? Toutes les musiques, toutes les cultures de ce bas monde. Charles Aznavour fait partie de ceux-là. Selon Idir, il chantera prochainement en kabyle. «Il a fait des essais et je vous assure qu'il prononce très bien le kabyle.» La dernière fois où les deux artistes se sont retrouvés sur une même scène en Algérie, remonte à il y a 25 ans. C'était le 20 avril 1990, à l'occasion du 10e anniversaire du Printemps amazigh à Oued Aissi, (Tizi Ouzou). Relancer sa carrière, la qualité de la chanson kabyle d'aujourd'hui, son année sabbatique, et ses cinquante années de carrière Ait Menguellet reste égal à lui-même. «Tous les genres de la chanson doivent exister car ils ont tous leur valeur»dit-il, et pour l'engagement, Lounis estime que «les engagements épousent leurs époques». Pour son année sabbatique, Ait Menguellet préfère se préparer pour 2017, année du cinquième anniversaire de sa carrière. «Je souhaite offrir un album pour cet anniversaire mais encore faut-il que l'inspiration vienne.»Du reste, Lounis ne projette pas de faire de cet anniversaire un grand événement. «En tout cas je n'y ai même pas pensé.» Mais l'Onda l'a fait à sa place, puisqu'un coffret regroupant toute l'oeuvre de Lounis sera édité à l'occasion de ce cinquantenaire. Le directeur de l'Onda a même lancé une invitation à Idir pour se produire en Algérie.Invités par Samy Bencheikh El Houcine, directeur général de l'Onda, les deux stars ont répondu présent. «La visite de ces deux grands artistes algériens à ce salon est un réel encouragement pour nous. Ce salon entre dans le cadre des différentes campagnes de sensibilisation pour la protection des droits d'auteurs», a déclaré radieux M.Benchikh. «C'est pour nous un soutien pour notre démarche de promouvoir les oeuvres artistiques et de les protéger, d'instaurer la protection des oeuvres artistiques. D'ailleurs, le slogan de ce salon l'exprime parfaitement dans la triptyque Créons, innovons et protégeons», a ajouté M.Bencheikh. L'assistance a eu droit à un extrait d'une chanson de Idir reproduite par un jeune de Médéa. Ayoub Medjahed vient de réaliser son rêve. Non seulement, il a pu approcher son idole mais il s'est même offert le luxe de chanter avec elle! En choeur, les présents au chapiteau ont répété la chanson Ch'figh amzun di dhelli (je me souviens comme si cela datait d'hier...). Ayoub s'en souviendra pour toujours...