Effectivement, comme nous l'a susurré le réalisateur, Kindil el bahr est un conte pour adultes super sexy, osons le dire!Car jamais l'on a vu la comédienne Adila Bendimerad dans cette posture, aussi bien sensuelle que désarmante, incarnant à la fois, l'humain et puis le monstre qu'est en nous, de façon aussi subtile que dramatique, campant ainsi, un rôle aussi dur que celui-là, bien que dans le Repenti de Merzak Allouache, elle est tout aussi partagée entre le sentiment de bonheur et de malheur. Présenté à la quinzaine des réalisateurs, Kindil el bahr (court métrage de 40 mn) a fait sensation hier lors de sa projection en présence de nombreux Algériens dans la salle. Fort émouvant, c'est l'histoire d'une femme, qui, après s'être fait malmener et agresser sur une plage et puis noyée, retourne se venger en se transformant en une méduse de la mer. Son mari, alias Nabil Asli contacte la police pour tenter de la retrouver, en vain, jusqu'à la scène finale (que l'on ne révélera pas) qui nous prend à la gorge et puis fait basculer le film dans un format documentaire inattendu, mais bien réaliste qui nous rappelle l'amère situation des choses, surtout celle de la condition des femmes en Algérie. Un film coup-de-poing qui, bien physique, pour la comédienne, nous assène bien des vérités pour dire enfin «il y a un moment où il faut qu'on arrête!» pour paraphraser Adila Bendimerad, ivre de tendresse et de quête de vie dans ce film dont le personnage se retrouve malgré lui au mauvais moment, au mauvais endroit. Et pourtant! S'il aborde avec justesse le problème d'intolérance et de violence envers les femmes, Kindil el bahr donne à penser la relation homme-femme qui prévaut également en Algérie et le drame menaçant qui l'entoure. Ayant comme décor «Césarée», l'ancien nom romain de Cherchell, la ville où se déroule ce tragique incident est appelé ainsi d'emblée pour invoquer le mythe et souligner l'éternelle malédiction faite aux femmes. Jusqu'à quand? Le réalisateur de ce très beau court métrage parle des motivations qui l'ont poussé à écrire ce film (en collaboration avec Adila Bendimerad). Un film poignant, qui se regarde comme on devrait se penser, se comporter. Enfin, un film sur les interdits aussi qui pèsent sur les femmes, et le regard fasciste que porte sur elle la société ou du moins certaines franges de la population. Un film vrai et nécessaire! Car c'est tragiquement triste de constater qu'il faille passer par le fantastique pour dénoncer la violence faite aux femmes, transformée, hélas chez nous, en un fait souvent ordinaire des plus banals à tel point qu'on refuse souvent de le voir. Tout en continuant à diaboliser ce corps dont la faute a été de vouloir goûter à la fraîcheur de la mer... Kindil el bahr nous le rappelle, avec cette histoire qui glace le dos! Une mise en scène remarquablement novatrice. Bravo à toute l'équipe! L'Expression: Tout d'abord, cela fait quoi d'être sélectionné ici à Cannes et qui plus est pour une fiction? Damien Ounouri: C'est un énorme plaisir d'avoir été sélectionné et reconnu parmi des centaines de courts métrages. Moi, en tant que jeune réalisateur parmi la quinzaine des réalisateurs c'est la sélection qui fait rêver car elle a découvert plein de grands cinéastes comme les frères Dardenne, Jim Jarmuch, Haneke, Coppola etc., donc il n'y a rien de mieux pour un «réal» que d'être sélectionné dans cette section. Pourquoi le choix de passer à la fiction? Ce n'est pas un choix. Je crois qu'à la base, j'ai été toujours attiré par la fiction. C'est plus mon chemin de vie qui m'a amené au doc. Oui c'est une évolution. Je pense que j'alternerai toujours entre fiction et doc. Fidai a été un doc car j'ai eu la chance d'avoir mon grand oncle, un ancien moudjahid du FLN, j'avais envie de réaliser quelque chose avec lui et j'avais la chance qu'il soit en vie. C'était indispensable que je le fasse avec lui en doc. Et déjà avec Fidai il y a des passages très documentaire avec des reconstitutions. Là, c'est une fiction marquée de nombreuses scènes beaucoup plus documentaires. Je travaille avec des acteurs professionnels, Adila Bendimerad, Nabil Asli, Souad Sebki, Aziz Boukrouni, mais parfois je les mets dans un contexte très documentaire, je filme ça et je regarde ce qui se passe. Qu'est-ce qui vous a poussé au genre fantastique avec ce sujet bien engagé? L'envie d'une histoire. L'envie de ne pas limiter notre imaginaire. Le cinéma permet de faire ramener la magie. On a voulu s'amuser avec cela. Quelque part, parfois on en a marre de faire toujours des films réalistes qui parlent de la réalité sociale. Notre film commence par quelque chose de plus réaliste et glisse, bascule vers quelque chose de plus fantastique. Ça permet de grossir le trait, de rendre les choses un peu plus extraordinaires. Au final, pour parler de quelque chose plus concrètes, et très contemporaines à notre société. On s'est amusé à écrire le scénario, avec Adila qui est très portée sur le mythe antique. Le film ne se passe pas en Algérie à proprement parler mais à Césarée. Ça ressemble beaucoup à l'Algérie, mais c'est plus un monde parallèle. On joue beaucoup sur l'Antiquité, sur les références en utilisant les ruines romaines, en filmant du côté de Tipasa, Cherchell. Aller vers le fantastique c'était jouer sur ces personnages antiques de métamorphose qui se transforment et qui reviennent et à qui, en même temps, leur arrive des choses tragiques. Mais qui nous permet, de mieux se regarder au final. Nous en tant qu'êtres humains, la violence est antique. On parle beaucoup dans la presse d' «un film féministe», sans l'avoir vu. Bien sûr qu'il parle de la violence faite aux femmes mais plutôt de la violence antique faite aux femmes car elle date de la nuit des temps. Et ce n'est pas une question religieuse, c'est plus selon les époques, les cultures. Une idéologie qui quelque part maltraite les femmes. Par exemple, on peut dire qu'en Occident, le capitalisme est une idéologie, qui maltraite les femmes, par la consommation, l'anorexie etc. Donc on est dans quelque chose de vraiment universel. Du coup, le fantastique nous permet d'être super libre. De prendre des distances, de pousser le trait, faire vivre des choses extrêmement fortes à nos personnages. Cela renvoie à des choses vécues par les femmes algériennes chaque été sur les plages, dont l'année dernière avec l'approbation de certaines plages par la mouvance islamiste qui dénie aux femmes le droit de se baigner... Oui c'est quelque chose que l'on voit. Nous, on vit à Alger. Au moment où l'on a écrit ça, une femme a été lynchée en Afghanistan, en Algérie il y a eu l'histoire de la jupe trop courte, en France, celle de la jupe trop longue. Après, on parle de toute sorte de fascisme qui vient presser le corps féminin. Et ce qui se passe dans le film, c'est quelque chose que j'ai vécu ou ressenti avec des amis à la plage à Alger. Des plages essentiellement masculines. C'est une question de frustration beaucoup plus. Et nous, en faisant ce film, on montre ça. Le film parle d'une femme, mais ça parle beaucoup du mari. On reste beaucoup aussi avec l'acteur Nabil Asli. Dans tous nos scénarii qu'on a écrits, l'histoire se base, tourne autour d'un personnage féminin, mais on regarde énormément comment réagit l'homme à côté d'elle. Car la solution ce n'est pas juste les femmes c'est l'homme et la femme ensemble. On y va et on change les choses ensemble. Et on obtient de plus en plus de liberté. S'agissant du monstre et j'en profite pour saluer Samir Ardjoum, moi j'avais très envie de faire Les dents de la mer en Algérie.. C'était une façon de m'attaquer aussi à ce genre de film.