Un film documentaire qui se décline comme «une pièce à conviction, à charge pour l'histoire» pour reprendre l'expression de cette dame sensible à la vue du documentaire «Le Vénérable W.», un film qui a été projeté samedi après-midi au théâtre Azzedine Medjoubi en compétition officielle dans le cadre du 3e festival de Annaba du film méditerranéen. En effet, les Annabis ont eu la chance de rencontrer le réalisateur de «Général Idi Amin Dada: autoportrait» (1974) et «L'Avocat de la terreur» (2007). Le cinéaste Barbet Schroeder clôt sa «Trilogie du mal» avec «Le Vénérable W», un film qui revient sur le massacre des musulmans en Birmanie par les bouddhistes avec la complicité et le silence de l'Etat, voire du monde entier. Un sujet difficile qui, même s'il a été donné à voir lors d'une séance spéciale et projeté au festival de Cannes l'année dernière, il a du mal encore à être distribué, compte tenu, peut-être, de la gravité du thème abordé. Il nous vient à l'esprit le thème du festival de Annaba du film méditerranéen de cette année, placée sous le signe de la paix. Une utopie sans doute lorsqu'on voit la tragédie qui se déroule sous nos yeux dans le dernier doc de Barbet Schroeder. Une paix controversée et mise sous embargo, à l'image de cet hypothétique salut entre Israéliens et Palestiniens tel que développé dans le film documentaire «Hamlet en Palestine» de Nicolas Koltz qui revient sous forme d'enquête sur l'assassinat du directeur du «Théâtre de la liberté» sis à Jenine qui, via la présentation de la pièce de théâtre permet aux enfants palestiniens dans les camps de réfugiés de se sortir de leur oisiveté par l'art, mais le changement peut déranger parfois et brusquer les mentalités, surtout quand des pièces comme celle de «Hamlet» ou encore «Alice au pays des merveilles» viennent donner à réfléchir sur le conflit israélo-palestinien...Un film qui montre pourtant des hommes qui plaident pour la paix quand la politique échoue à faire régner le vivre ensemble. Sans doute que la folie idéaliste tue parfois. La preuve dans ce film qui relie celui de Barbet Schroeder. Ce dernier lors du débat qui a suivi la projection de son doc a levé quelque peu le voile sur le pourquoi de sa réalisation... L'Expression: Tout d'abord, comment vous est venue l'idée de réaliser un film sur le massacre des musulmans par les bouddhistes en Birmanie? Barbet Schroeder: J'ai lu en 2015 un rapport de l'université de Yale qui parlait d'un génocide qui allait se produire, qui serait le premier génocide de ce siècle. Je me suis renseigné un peu pour savoir de quoi il parlait et j'ai vu que ça impliquait des bouddhistes... J'ai pensé que c'était quelque chose que je devais tirer au clair. Moi-même j'avais été très attiré par le bouddhisme quand j'avais 19 ou 18 ans et je l'avais étudié un peu. Ça me paraissait en contradiction totale avec le bouddhisme et j'ai voulu en savoir plus. D'ailleurs, quand je fais des films, c'est pour en savoir plus. J'ai découvert qu'il y en avait plusieurs, pas seulement une seule personne, mais tout un mouvement extrémiste bouddhiste qui voulait préserver la race et la religion. Parmi eux, il y en avait un qui était particulièrement intéressant pour faire un doc. Car moi, je ne vois pas un documentaire sans un personnage principal. Il me faut toujours un personnage sur lequel je peux prendre prise pour essayer de comprendre comment tout ça est arrivé. Apres six mois d'étude je suis allé là bas en clandestin et j'ai tourné ce film clandestinement avec une toute petite caméra et une équipe de quelques personnes. Le rôle d'Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, dans ce massacre, est très peu exprimé. Vous lui accordez une place minime dans le film. Pourquoi? Je ne l'évoque pas parce qu'elle n'a pas participé directement. Elle a tout simplement laissé faire. Et jamais elle n'est intervenue contre les Rohingyas et surtout elle n'est jamais intervenu, ni contre ni pour. En fait, tout simplement, elle pense en bouddhiste comme elle est du côté des bouddhistes. C'est quelqu'un qui était totalement prisonnier des militaires. Dès le départ, quand elle a pris le pouvoir c'était parce que les militaires ont gardé le contrôle de la police, de l'armée, des frontières. Donc il n'y avait pas de moyens de les arrêter, une fois qu'ils ont commencé les massacres, à brûler les maisons, chasser les gens, à procéder à ce nettoyage ethnique en quelque sorte. C'est cela hélas ce qui se passe. Elle est partie prenante effectivement. Elle est en charge d'une équipe d'information, d'une propagande pour justifier les actes de l'armée. Elle a sur son site Internet des choses qui disent que les viols sont des choses fausses. Elle a dit des choses qui pour moi classent immédiatement la personne qui les prononce dans le camp des exterminateurs. Dire que les Rohingyas brûlent leurs propres maisons, c'est quelque chose de tellement énorme quand on voit des centaines de milliers de gens fuir. C'est vraiment très extrême de dire ça et elle le répète alors qu'elle est la personne élue qui représente le peuple. C'est criminel, c'est évidemment criminel et bien entendu elle va se retrouver un jour devant le tribunal comme les Serbes de la guerre du Kosovo. On lui demandera un jour des comptes. Je ne sais pas ce qu'elle répondra. D'habitude, dans les génocides les gens disent j'obéissais aux ordres. L'ennui c'est que là elle est élue et était responsable et il faudra qu'elle réponde: «J'avais trop peur des militaires.» C'est la triste vérité. Elle se retrouvera un peu dans la même situation que Pétain en France, qui avait fait cette collaboration pour arranger les choses. Résultat: ce fut dix fois pire de ce qu'on attendait. Elle a voulu concilier et il y a un moment où elle aurait dû arrêter de faire la conciliation, mais elle ne l'a pas fait. Maintenant elle est couverte de sang et d'opprobre. Sa réputation ne s'en relèvera pas. Ce n'est pas devant un tribunal qu'elle va arriver à faire changer l'avis des gens. Un mot sur cette étrange voix off, de cette bouddhiste qui nous replonge dans ce qui devrait être la véritable philosophie des bouddhistes... C'est tout simplement que je déteste la télévision. Je fais du cinéma. Le cinéma est un art dramatique avec des personnages. il faut avoir plusieurs voix et plusieurs points de vue. J'ai pensé qu'un point de vue qui serait intéressant ce serait le point de vue d'une femme bouddhiste. Assez modérée, assez douce intelligente et ironique sur cette histoire, plutôt qu'un commentaire en voix off qui ne fait qu'informer. Cette voix off normalement est censée être un personnage à part entière dans le film. Pour vous dire la vérité, je me faisais tellement d'illusions sur Aung San Suu Kyi que je pensais qu'on va voir cette voix off et peut-être qu'à la fin on découvrira que c'est la voix de cette femme bouddhiste qui n'est pas d'accord avec ce prêtre qui est son ennemi. La situation a beaucoup changé et je me dis, ironie du sort, que Aung San Suu Kyi va se retrouver devant un tribunal international aujourd'hui... tout au long de ce travail j'ai eu conscience de faire quelque chose de très important qui ne parlait pas seulement du bouddhisme, mais aussi de ce qui se passe dans le monde, en ce moment avec la montée de tous les nationalismes et tous les populismes. Ce film est arrivé avec beaucoup de coïncidences. Au moment où je le réalisais, je me rendais compte que c'était quelque chose qui se passait dans toute l'Europe et en Amérique. Trump est entouré de gens qui pensent comme ce bouddhiste exterminateur, Ashin Wirathu.