1er Novembre 1954, un peu après minuit, des bombes explosent à Alger et dans plusieurs endroits du territoire algérien. Il ne s'agissait pas d'une simple «flambée de banditisme» mais de ce qui sera connu par la «Toussaint rouge», marquant le début de la guerre d'indépendance. Son lancement a été soigneusement préparé et conçu par une poignée de jeunes qui ont rêvé, osé et cru en leur ambition de libérer leur pays du joug colonial. Tout a commencé durant la grave crise qu'a vécue le Mouvement national du MTLD et après le démantèlement de l'Organisation spéciale (OS) par les services de sécurité français. C'est dans cette situation que naquit la nouvelle organisation: le CRUA, Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action. Il fut l'oeuvre de Boudiaf accompagné de Ben Boulaïd, deux anciens de l'OS et deux centralistes, Mohamed Dekhli et Ramdane Bouchbouba. Créé le 23 mars 1954, à la Médersa El Rachad, à la Casbah, son objectif était d'amener les deux clans du parti à dépasser leurs différends, de retrouver l'unité pour passer à l'action. Constatant que les deux camps ne pouvaient pas se réconcilier, Boudiaf et Ben Boulaïd décidèrent alors de convoquer une réunion des anciens membres de l'OS. La réunion, présidée par Mustapha Ben Boulaïd, eut lieu le 23 juin 1954, dans une modeste villa du Clos Salambier appartenant à Lyès Deriche. Il s'agissait de la célèbre réunion des «22» qui se sont prononcés pour une révolution illimitée jusqu'à l'indépendance totale de l'Algérie. Les «22» décidèrent aussi de désigner un coordonnateur du Groupe. Le vote à bulletin secret fut choisi et le nom du coordonnateur devait rester secret. C'est le lendemain matin que Ben Boulaïd révéla à Boudiaf que c'est lui qui fut élu. Boudiaf choisit ses quatre compagnons qui avaient préparé la réunion avec lui: Ben Boulaïd, Didouche, Ben M'hidi et Bitat pour former le Comité de la révolution et diriger, respectivement, les zones des Aurès-Nememchas, le Constantinois, l'Oranie et l'Algérois. Le Groupe des 5 venait de naître. Il restait cependant, la région de Kabylie qui n'était pas encore représentée. Une rencontre entre Ben Boulaïd, Krim Belkacem et Amar Ouamrane, a eu lieu, fin août, début septembre, au café El Arich, à Alger. Krim fut alors admis au comité qui devint le «comité des Six». Ce comité a été rejoint, également, par les membres de la délégation extérieure du MTLD composée de Ben Bella, Khider et Ait Ahmed. C'est ce nouveau groupe, dit des 9 qui allait rédiger un appel à tous les Algériens, les exhortant de rejoindre le nouveau parti, le FLN, dont le seul but était la Libération nationale. Le Front de Libération nationale qui succédait officiellement au CRUA, est né justement de la rencontre des Six, le 10 octobre 1954, au 24, rue Bachir-Bedidi, dans le quartier de Raïs-Hamidou sur la côte Ouest d'Alger. Ils ont choisi la dénomination FLN et ont décidé de créer l'aile armée de l'organisation politique à savoir «l'Armée de Libération nationale, l'ALN». Les Six furent soucieux de consacrer le plus grand secret à leur oeuvre, d'où une proposition du 15 octobre, comme date du déclenchement de la guerre a été retenue. Les six hommes dont le plus âgé, Ben Boulaïd, avait 37 ans et le plus jeune, Didouche Mourad, 27 ans, venaient de mettre une touche finale au texte, rédigé par Boudiaf et Didouche Mourad, qui a donné naissance au FLN et le signal de la lutte armée. Ils décidèrent de se retrouver, de nouveau, à Alger, vers le 15 janvier 1955 pour faire le point. Mais, ils ne se rencontrèrent plus jamais. Or, un photographe de Bab El Oued où ils se rendirent en costume-cravate, a immortalisé ce moment-là qui va marquer l'Histoire de l'Algérie. Ce sera l'unique photo de ce groupe que la guerre va séparer. Le comité de la révolution a vite constaté que la date du 15 octobre choisie était très proche et il opta alors pour le 1er novembre. Le 26 octobre, Boudiaf quitta Alger pour Le Caire, muni d'un exemplaire de la Proclamation qui sera lue, à la Radio «Saout El Arab» du Caire par Ben Bella, le 1er novembre 1954, à 18 heures. Le 27 octobre, Krim Belkacem conduisit Mohamed Laïchaoui, journaliste, capable de faire la frappe dactylo de la Proclamation du 1er Novembre 1954, sur stencils et d'effectuer le tirage sur une ronéo en Kabylie. Il confia Laïchaoui à Ouamrane qui le conduisit à Tizi Ouzou d'où Ali Zamoum l'emmena à Ighil Imoula. C'est là que furent tirées, durant toute la nuit, quelques centaines d'exemplaires de la Proclamation. Le 1er novembre à minuit, les attaques menées dans les différentes régions du pays annonçaient officiellement le début de la guerre de Libération nationale. Même si de nombreux objectifs ne furent pas atteints, que les armes manquaient ou que des bombes, de confection rudimentaire, n'avaient pas toutes explosé, l'essentiel fut réalisé: déclencher la guerre armée. Cette poignée de jeunes, qualifiés d'aventuriers, de «fous» ont réussi l'impossible: arracher leur indépendance.