Quand la rente ne sera plus là, le réveil sera douloureux. Du 27 mars au 5 avril de l´an de grâce 2007, se tient à Alger le 11e Salon de l´automobile qui, on l´aura compris,a démarré, il y a une dizaine d´années au plus fort de la période rouge de l´Algérie. Comme quoi, les affaires sont les affaires. Cela me rappelle, qu´au plus fort de cette période rouge, le gazoduc vers l´Espagne a été achevé dans les temps. Imaginons d´abord les contraintes financières énormes du fait du coût élevé, alors que l´Algérie était pratiquement insolvable et se débattait entre les griffes du FMI qui voulait absolument l´ajuster structurellement. Imaginons les défis technologiques insurmontables - poser un gazoduc au fond de la mer-; les «difficultés» avec nos frères marocains- passage obligé du gazoduc par le Maroc-, qui se sont évanouies comme par enchantement. Pour en revenir à ce mimétisme du Salon de l´automobile, c´est à se demander si le pays a un cap. Voilà un pays en voie de développement depuis plus de quarante ans et qui se donne des airs de pays industrialisé se permettant d´organiser ou de laisser s´organiser des salons de l´automobile où l´immense majorité des Algériens est invitée à venir baver et à faire des «châteaux en Espagne» avec la possibilité virtuelle d´acquérir certains engins à 500 millions de centimes avec un Smic réel à 15.000 dinars. Faisons un rapide calcul: quelqu´un qui ambitionne d´acheter ce bolide, ne peut pas le payer, seul, durant une vie. Cela veut dire que si un smicart- entendons par là, la classe moyenne de ce pays ou ce qu´il en reste après les laminages successifs- a des velléités de fantasmer sur l´achat de ces engins, il doit très vite déchanter car, mathématiquement parlant, il lui faut cent ans pour rembourser. Il faut donc qu´il se réincarne plusieurs fois. Comme il n´a rien d´un Duncan Mc Leod le High Lander des séries télévisées, il n´a aucune chance de concrétiser son fantasme. Un mimétisme ravageur Pourtant, ce type d´engin trouve preneur! Est-ce à dire que l´on peut gagner de l´argent au point de se permettre une voiture à un demi-milliard! Comment fait-on honnêtement pour y arriver? La question reste posée. En tout état de cause, il faut savoir que cette mode d´achat de voitures ne profite pas à l´Algérie. Savons-nous que nous transférons au compte des concessionnaires, l´équivalent de 2 milliards de dollars en véhicules? Quel est la valeur ajoutée pour le pays? Est-ce la décoration des vitrines de showrooms et les budgets publicitaires que l´on appelle la création de richesse? Le nombre d´emplois créés en regard de l´argent qui est transféré est insignifiant. Mieux, le service après-vente, réduit à sa plus simple expression, est, de l´avis de tous, défaillant. Il y a assurément un manque d´encadrement de cette activité par l´Etat. Ce mimétisme des pays industrialisés est ravageur. C´est le même, d´ailleurs, qui sévit dans les pays du Golfe. Il donne l´illusion d´un pays développé. En fait, l´Algérie joue le rôle d´un ministère de l´emploi pour les travailleurs qui ont contribué à la construction des voitures exposées par la cinquantaine de marques différentes dont certaines parfaitement inconnues, voire interdites en Europe, trouvent à s´épanouir dans les pays où il existe une relative tolérance en termes de normes techniques. Fatalement, nous sommes de plus en plus assimilés à des pays rentiers, où la création de richesses provenant de l´effort n´existe pas. Savons-nous que l´on exporte pour moins de 1% hors hydrocarbures? A peine trois cents entreprises sur 300.000 PME exportent. Ces exportations hors hydrocarbures concernent aussi des produits du sol (dattes..) et du sous-sol comme les phosphates, le fer, les métaux non ferreux, le mercure -jusqu´à une date récente, il était exporté- l´Algérie était l´un des premiers exportateurs. La mine est fermée depuis, pour cause de nuisance environnementale. Et pourtant, le monde a toujours besoin de mercure! Mais ailleurs, on résout le problème posé par la nuisance sans tuer l´activité industrielle générée. Nous voyons donc que nous sommes en pleine errance économique et que les choix qui sont faits sont ceux du «fil de l´eau», c´est-à-dire devancer les désirs des citoyens en leur donnant l´illusion de l´aisance, bref, en leur vendant du rêve. Les Algériens commencent à connaître le crédit et s´endettent pour acheter cette machine du diable que représente la voiture et qui, à tort ou à raison, est perçue comme un signe de position sociale. Imaginons pour changer, un gouvernement fasciné par l´avenir avec un vrai programme. Imaginons des partis qui ont des alternatives crédibles pour sortir ce pays de l´ornière. Imaginons des futurs députés obnubilés par le destin des nouvelles générations qui ne doivent plus compter sur la rente,et non par la course au koursi avec les avantages visibles et invisibles, nous n´aurons pas de peine alors à percevoir qu´il y a un cap pour l´avenir énergétique quand la rente ne sera plus au rendez-vous. Le transport, ce problème L´errance énergétique est multiforme, traitons simplement du problème du transport. De par le monde, le secteur du transport absorbe 35 à 40% des hydrocarbures consommés. En Europe et aux Etats-Unis, on fabrique de plus en plus des véhicules qui consomment moins de 5 litres au cent kilomètres. Je serais curieux de savoir quelle est la consommation des véhicules exposés au Salon d´Alger. On pense aussi, déjà, aux voitures hybrides (double carburant: essence + pile à combustible utilisant l´hydrogène). C´est le cas de Toyota, de Ford, de Peugeot. On pense de plus en plus aux véhicules au gaz naturel, au Sirghaz, notamment pour les flottes captives comme celles des administrations. Chez nous, rien, tragiquement rien, nous n´avons même pas pu imposer aux exposants cette double carburation qui est, en elle-même, une création de richesse, à savoir, une économie d´essence et une rentabilisation des GPL et la création de mini start-up confiées à des sortants de l´université. Par contre, on voit de plus en plus de 4x4 de Hammer avec 25 litres aux cent kilomètres. C´est triste de se prendre pour un riche alors que nous n´avons pas le sou. Mieux encore, posons-nous la question de savoir pourquoi cet engouement pour la voiture? La réponse est simple: il n´y a pas de transports publics, ni en qualité ni en quantité. Quand vous avez la chance de voir un chauffeur de taxi, ce n´est pas vous qui fixez la direction, c´est lui. Gardez-vous aussi de négocier le prix! Les milliers d´automobilistes qui n´arrivent pas à garer pour absence de parking, notamment les rues squattées, polluent. Personne ne dit que nous polluons comme les pays riches en moyenne et qu´un Algérois consomme de l´énergie comme un Européen pour une productivité négligeable. Pourquoi incite-ton les Algériens à dériver vers la consommation effrénée de la rente, qu´il aurait été plus sage, si on pense vraiment aux générations futures, sans création de richesse de valeur ajoutée. Demandons-nous à qui profite cette dilapidation en voitures neuves alors qu´on interdit l´importation de voitures de moins de trois ans pour offrir un marché sans partage aux concessionnaires. C´est mutadis mutandis, la même errance avec la téléphonie mobile, on dit qu´il y aurait 15 millions d´abonnés. Posons-nous la question: qu´avons-nous rendu performant depuis que nous sommes saturés à longueur d´antenne et de télévision par des opérateurs qui nous incitent à bavarder: «Ahadrou, Ahadrou» Pourquoi? Et en fait, quoi dire sinon bavarder inutilement. Nous sommes drogués et nous ne connaissons de la mondialisation que ce côté pervers de la facilité. Quand la rente ne sera plus là, le réveil sera douloureux. Pourquoi ne pas préparer l´avenir sereinement en s´attaquant aux vrais problèmes du pays avec les vrais acteurs qui ont ce pays dans les tripes? Pour toutes ces raisons et sans vouloir paraître comme un démolisseur- il faut noter tout de même des réalisations dans d´autres domaines-. il nous faut associer ce peuple à son destin, lui montrer les dangers et les défis de l´avenir pour qu´il soit partie prenante de son destin. Autrement, la sentence que nous prête l´Occident: «Les Arabes ne sont pas des bâtisseurs, mais des marchands et des jouisseurs», aura malheureusement toute sa signification.