Le rôle des militants de Tazmalt dans l'éveil de la conscience nationale a été évoqué lors d'un séminaire. Quatre ans après sa première expérience, l'Association des activités des jeunes de la ville de Tazmalt est revenue à la charge pour rendre un hommage appuyé au commandant Abderrahmane Mira, l'un des chefs de la Wilaya III historique. Si lors de la première édition en 2006, l'association avait choisi le thème principal «L'histoire, mémoire des peuples en marche», cette fois-ci, elle a opté pour un thème plus large «Semaine pour la connaissance du Mouvement national». Et quoi de mieux pour le faire que de revisiter le parcours de Abderahmane Mira. Les conférences programmées à cet effet, ont été conçues de telle sorte que des sujets ayant trait au Mouvement national, en plus de celui concernant Abderrahmane Mira, soient abordés. M.Oulebsir Madjid, universitaire, lors de la première journée, a passé en revue «Le Mouvement national à Tazmalt et Ayth Mellikèche avant 1954», une occasion pour de nombreuses personnes témoins de l'époque de se remémorer avec émotion le souvenir de Larbi Oulebsir, responsable régional du PPA/Mtld, disparu le mois de juillet 1955 dans le Rif. Il avait été assassiné et son corps n'a jamais été retrouvé. Précurseur du patriotisme à Tazmalt et dans les Vallées de la Soummam et du Sahel, Oulebsir Larbi fait partie, à son corps défendant, du camp des perdants car resté fidèle à Messali. Il est pourtant mort bien avant les affrontements entre le FLN et le MNA. Serait-il la première victime d'une lutte fratricide qui a coûté la vie à des milliers de militants et de combattants des deux camps? C'était aussi une occasion, pour les jeunes qui ont assisté à cette première conférence, de découvrir avec surprise la complexité du Mouvement national: son cheminement, sa crise, son éclatement, et enfin, la rivalité exercée avec la force des armes par les deux camps. Le rôle majeur de Tazmalt à travers la région dans l'éveil de la conscience nationale a été également évoqué, le tout en présence de Larbi et Boudraâ Arab, deux derniers militants de l'époque, survivants de la section de l'OS de Tazmalt, démantelée au mois d'avril 1950. C'est d'ailleurs, à cause de cette affaire qu'Abane Ramdane a été arrêté alors qu'il ne faisait pas partie de l'OS. Il venait certes, à Tazmalt mais pour donner des cours de formation aux militants de l'aile légale. Boudraâ Arab a évoqué son séjour en prison à Béjaïa d'abord, avec l'ensemble des prisonniers de «l'affaire de Bougie», dans les maisons carcérales de France où le groupe initial fut fractionné en plusieurs sous-groupes. Il a relaté avec précision les venues à Tazmalt de leur responsable régional, en l'occurrence Mohamed Boudiaf, alias Vougharvalène (l'homme aux tapis). Est venue ensuite, la diffusion d'un DVD réalisé par Salim Aggar à propos des prisonniers français de l'ALN. René Rouby, instituteur français de l'époque, enlevé par l'ALN, qui raconte avec franchise et objectivité son incarcération dans l'Akfadou puis sa libération et celle de ses compagnons d'infortune par Abderrahmane Mira. Il restitue avec une grande émotion le discours prononcé par ce dernier avant de les libérer quelques jours après. Le documentaire a rencontré un franc succès. Un bataillon pas comme les autres Le secrétaire général de l'ONM de Béjaïa, Smaïl Ali Ouchouche, et le député Tarik Mira sont intervenus respectivement le lendemain à travers deux conférences intitulées: «L'histoire du bataillon de la Wilaya III aux frontières» et «Qu'est le corps d'Abderrahmane Mira devenu?». Ali Ouchouche a raconté dans le détail la formation de ce bataillon préservé comme tel. L'année 1960, le colonel Boumediene, désigné chef d'état- major, avait fusionné et mélangé tous les bataillons des autres wilayas, à l'exception du 29e issu de la Wilaya III. Membre de ce corps, Ali Ouchouche a expliqué comment, au mois d'août 1959, en pleine opération «Jumelles», Abderrahmane Mira l'avait envoyé comme porteur de deux courriers: l'un, destiné à Mohammedi Saïd, chef d'état-major Est; l'autre à Krim Belkacem, ministre des Forces armées. Grâce à cette mission, il a pu se soigner sur place et intégrer le 29e bataillon. De son côté, Tarik Mira a retracé le parcours personnel et l'itinéraire militant et combattant de son défunt père. S'étant appuyé sur des archives inédites rapportées du fort de Vincennes (Shat - Service historique de l'armée de terre) où sont entreposés nombre de documents relatifs à la lutte de Libération nationale, il a rapporté, notamment la photocopie de la lettre envoyée par le colonel Amirouche, le 21 mars 1959, au Conseil de la Wilaya III, désignant Abderrahmane Mira intérimaire. Cette missive a été retrouvée sur le cadavre d'un certain Ramtane, secrétaire de Mira, tué au combat, à Ayth Hamdoun le mois de mai 1959. Une autre trace du même courrier est retrouvée dans le journal de marche d'Amirouche à la même date (21.03.59). Le corps disparu La disparition de la dépouille mortelle du chef de la Wilaya III historique, depuis le 07 novembre 1959, le jour de son exposition au public, à Taghalat, le village de Mira Abderrahmane, était l'autre point abordé. Le conférencier a fait état de ses recherches inabouties auprès des militaires qui ont opéré à Akbou: Treguer, officier ayant dirigé l'opération qui a tué Abderrahmane Mira, Lablancherie et Jimenez, respectivement chef et chef adjoint du 2e Bureau. Il a souligné également des soutiens de militaires français à la retraite qui l'ont aidé dans ses recherches. Il a annoncé la poursuite de sa démarche. Cette deuxième édition a été également marquée par des échanges passionnants. Les trois compagnons d'armes d'Abderrahmane Mira, en l'occurrence le colonel Abdellah Delles, Ali Bounadi et Kaci Imoukrane, ont tous évoqué leur première rencontre avec ce héros. Kaci a même dîné avec le chef de la Wilaya III, la veille de la mort de celui-ci. Il avait entendu, impuissant, au loin, le déchirement du silence par des grenades et des rafales de fusil qui allaient emporter le colonel Mira Abderrahmane dans l'autre monde. C'était le 6 novembre 1959, vers 16h00, au confluent des rivières des Ayth Anane et Ayth M'quedem, près du col de Chellata, où le général Challe avait installé le fameux PC Artois pour diriger l'opération «Jumelles». Le public a montré beaucoup d'intérêt aux conférences-débats, confirmant la soif des citoyens à mieux connaître leur histoire et à se la réapproprier. Tarik Mira a insisté sur le fait qu'il faut sortir de la légende et des mythes afin de passer les événements et les acteurs au crible de la critique historique afin de faire entrer ceux-ci définitivement dans l'Histoire. L'épopée de la lutte de libération, phare de la décolonisation, suffit à elle-même et n'a pas besoin d'excès ou d'exagération. Un gala a été animé ensuite par le groupe Ineslyène. Rabah, le leader du groupe a gratifié le public tazmaltais de chansons inédites jamais jouées devant un public, marquant ainsi la clôture de cette deuxième édition. Une cérémonie de recueillement, ponctuée par un dépôt de gerbe de fleurs a été organisée sur le lieu où est tombé au champ d'honneur Abderrah-mane Mira. Une levée des couleurs suivie d'une présentation d'armes a eu lieu en présence des autorités civiles et militaires, notamment de Saïd Abadou, SG de l'ONM, qui a prononcé un discours de circonstance, et le wali de Béjaïa. L'occasion a donné lieu à une prise de parole au cours de laquelle a été évoqué le parcours de celui qui, pour sa bravoure et son engagement dans la lutte armée, a été surnommé, «le tigre de la Soummam». Il passe encore pour un mythe dans l'imaginaire populaire en raison de ses hauts faits d'armes. Pour rappel, le commandant Mira est né en 1922 au village Taghalat, d'Ath Mlikèche. En 1945, il a débuté son activité anticolonialiste en France, où il n'a pas cessé d'informer les gens sur la cause nationale algérienne et sur les idées révolutionnaires de l'époque. C'est au début de la Révolution qu'il retourne en Algérie. En 1956, pendant le Congrès de la Soummam, il assura la protection, avec Amirouche Aït Hamouda (l'un des leaders de la Révolution algérienne), des participants au congrès. En 1957, il part en Tunisie où il occupe le poste d'inspecteur militaire aux frontières. De retour en Algérie au début de l'année 1959, le colonel Mira Abderahmane commandera la Wilaya III historique jusqu'à sa mort. Décoré à titre posthume de plusieurs médailles par la République algérienne (Médaille pour la traversée des frontières, Médaille du martyr, Nomination colonel pour avoir exercé la fonction de chef de wilaya et enfin, Médaille Al Athir, plusieurs établissements scolaires portent aujourd'hui son nom à l'image de l'université de Béjaïa et d'un lycée à Bouira. Il a été tué par l'armée coloniale française, alors qu'il s'apprêtait à traverser avec quelques compagnons d'armes un lit d'oued, à hauteur d'Aït Hiani. Sa mort, qui a fait les choux gras de la presse coloniale d'alors, a été exploitée pour conclure à la fin de la guerre dans la Soummam. Son corps cependant, n'a jamais été retrouvé. Après avoir été exposé, en guise de propagande dans le village, il a été transporté par hélicoptère vers une destination inconnue. Initialement, l'ordre, selon son fils Tarik Mira, était de l'évacuer vers Aïn Arnat à Sétif, mais a priori, la dépouille n'y est jamais arrivée. Certains affirment que le corps a été déposé dans une caserne à Bougaâ, d'autres soulignent l'éventualité qu'il ait été déplacé en France, mais aucune certitude sur le sort exact qui lui a été réservé n'est venue le corroborer. Ses enfants, les députés Smaïl et Tarik n'écartent pas, à ce titre, d'en référer aux plus hautes autorités françaises. Un autre hommage a été rendu au chahid a la Maison de la culture de Tizi Ouzou. C'est là une première qu'il faut saluer.