Il n'y a pas pire marque de mépris pour les gens qui souffrent que de nier leur souffrance. C'est d'ailleurs au nom du droit au respect de la douleur des hommes qu'on a inventé, prohibé et criminalisé le révisionnisme. En la matière, le ministre des Affaires religieuses ne semble pas craindre de commettre l'insupportable affront : en moins d'une année, il s'en prend à nos pauvres pour la seconde fois et conteste leur existence pour n'avoir pas à supporter la réalité de l'injustice sociale dans le pays où son gouvernement sévit. “Il n'y a pas de pauvres en Algérie, ce n'est qu'une invention des médias”, avait-il osé, l'été dernier. Il nous revient, cette semaine, avec une sentence aussi solennelle que provocatrice : “Aucune personne n'a faim en Algérie.” Toute cette provocation pour nous réclamer la contribution généralisée au fonds de la zakat. “Logiquement, on aurait dû avoir la zakat de 36 millions de personnes”, conclut-il à partir de son spécieux postulat. Ghlamallah a le droit d'ignorer l'état réel de sa société, s'il n'était membre de son gouvernement et s'il n'avait donc pris sur son destin. D'ailleurs, “le mépris des hommes est fréquent chez les politiques”, notait Malraux, “mais confidentiel”, ajoutait-il, assuré qu'il était que la retenue devait caractériser cette catégorie de personnes. Inutile donc de lui rappeler que, pour calmer leur faim, des concitoyens sortent la nuit tombée, faire nos poubelles. Pas celles des résidences sécurisées. Inutile de lui demander de méditer le fait que des femmes squattent des bidonvilles à la périphérie de Hassi-Messaoud, au risque de leur vie et de leur intégrité, en espérant être éclaboussées par les miettes de la rente avant qu'elle ne soit détournée. Inutile d'apprendre au ministre du Culte qu'il suffit de parcourir les artères des grandes villes pour compter le nombre de femmes jetées à la rue avec leurs enfants par la volonté d'un code de la famille, une véritable fetwa pour l'omnipotence machiste érigée en modèle de société. Ces femmes, installées là, à même le sol, sous les balcons d'institutions ou d'appartements cossus, avec parfois des bébés, supplient des yeux des passants, et leur regard dit toute leur détresse et… leur faim. Ghlamallah ne les a pas vues, et a fortiori, ne peut entendre leur supplique. Certes, il y a une imposture qui fait commerce de la misère. Mais ce n'est pas une raison, non plus, pour leur dénier l'existence et violer la dignité de la souffrance de tant de laissés-pour-compte. L'impuissance à regarder la misère de ses administrés n'est pas l'apanage du ministre des Affaires religieuses. C'est une forme de pouvoir qui fait que l'Etat ne s'occupe que des plus forts d'entre nous. Pour ajouter à leur richesse et leur puissance. Sinon il ne prendrait pas en charge l'opération d'appendicite d'une vedette dans un hôpital étranger et ne financerait pas le hadj de notables qui se paient tant de voyages le reste de l'année. Il n'est pas bon, et encore moins pieux, d'ajouter le dédain à l'injustice. “Il faut dépenser le mépris avec une grande économie, à cause du grand nombre de nécessiteux”, écrivait justement Chateaubriand. M. H. [email protected]