Vingt-deux ans après les évènements du 5 Octobre 1988, le souvenir reste vivace. Mais pour certains, cette date résonne avec douleur, car ce jour-là leur destin a basculé. C'est le cas de Farid Oumhamed, natif du quartier de Climat-de-France à Bab El-Oued, aujourd'hui cadre dans une entreprise publique. Après vingt-deux ans de silence, il décide de faire part de son témoignage. Au moment des faits, il avait 18 ans. Il s'apprêtait à rentrer chez lui avec ses amis, loin de supposer qu'il était au tournant de sa vie. Soudain, il se retrouve dans un déluge de feu. Une rafale de FMPK lui déchiquette la jambe. “C'était le 10 octobre 1988, j'avais 18 ans et je venais juste d'avoir mon bac. Ce jour-là, cinq jours après les fameux évènements du 5 Octobre, je suis allé ramener des denrées alimentaires pour la maison. Je suis parti avec des jeunes du quartier, de retour chez moi, on a croisé un groupe qui sortait d'un meeting animé par Cheikh Sahnoune à Belcourt au niveau du lycée Emir-Abdelkader en face de la DGSN. Il était exactement 15h45 lorsque deux coups de feu retentissent sans savoir leur origine, alors que tout le monde était plongé parterre pour éviter les balles, moi je suis resté figé, je ne savais plus comment réagir. Juste après, c'est une pluie de rafales qui s'ensuit. C'était la panique totale. C'est comme si j'avais la tête ailleurs, je me souviens encore de ce moment, où pendant que les autres fuyaient, moi je suis resté là à regarder les pigeons qui volaient en grand nombre, eux aussi, affolés par les tirs incessants des kalachnikovs. Du coup, je me suis retourné et j'ai été accroché par un voisin touché par balle, j'ai voulu l'aider, mais le pauvre avait déjà rendu l'âme, il avait le torse criblé de balles”, se souviens encore Farid. Et de poursuivre son témoignage en racontant la fusillade qui a emporté sa jambe : “Au moment où j'allais partir et rejoindre la maison, j'ai senti comme un couteau qui me transperçait la jambe. Sur le coup, j'ai pu même voir l'os de ma jambe brisé par l'impact de la balle, j'ai pu sauter sur une seule jambe pour rejoindre un coin sécurisé loin des balles, juste devant les toilettes publiques en face de la DGSN. Je hurlais de douleur et une vieille femme postée devant sa fenêtre de l'immeuble d'en face me suppliait de me taire de peur qu'on vienne m'achever. Il y avait aussi une vieille femme courageuse qui est allée droit vers les militaires pour leur demander de cesser de tirer et c'est un CRS qui est venu pour la protéger et la mettre hors du danger.” Farid doit son évacuation à la Protection civile qui l'a conduit à l'hôpital. “Sur place, j'ai commencé à reperdre connaissance. La dernière chose dont je me souviens est le bruit du bistouri découpant mes vêtements.” Farid a rencontré par la suite la personne qui lui a tiré dessus en faisant de lui un handicapé à vie avouant lui pardonner. “Il s'agissait d'un appelé qui répondait aux ordres de ses supérieurs, il m'a dit une chose Allah ghaleb, mais j'ai pu discuter avec lui et après cela nous avons parlé de tout sauf de ce qui s'est passé.” Farid vit depuis vingt-deux ans avec une prothèse. Cependant, il vit mal l'absence de statut. Il est considéré comme “une victime d'accident de travail !” Je reçois des indemnités d'accidenté de travail alors qu'au moment des faits j'étais étudiant. Là n'est pas le problème. Aujourd'hui, je réclame que tous ceux qui sont dans la même situation que moi devraient avoir un statut de victime. Car me considérer comme un accidenté de travail et être payé par la Cnas est une falsification.” Mais au-delà de cette préoccupation, Farid veut que ces évènements d'Octobre 88 soient inscrits dans l'Histoire en proposant que la date du 5 Octobre soit décrétée “journée nationale de la démocratie”. Il demande aussi au président Chadli “de dire ce qui s'est passé ne serait-ce que pour l'Histoire”.