L'Algérie a vécu, en 1953-1954, une crise mettant en cause l'avenir de la nation. Les populations souffraient de la répression coloniale. Les élites étaient divisées entre centralistes, messalistes, ulémas, communistes, etc. et se livraient un combat sans merci. Les tentatives d'apporter le changement par les élections et l'action politique dans les partis ont toutes été annihilées par l'administration coloniale. La pauvreté, les maladies et le désespoir de la jeunesse étaient le quotidien de la grande majorité de la population. Et c'est dans cette ambiance de désespoir total que neuf jeunes (*) ont pris leur responsabilité devant l'histoire et ont créé le Comité révolutionnaire d'unité et d'action en mars 1954. Le travail de ce comité a abouti, en l'espace de quelques mois (sept), à la création du Front de libération nationale en octobre et le déclenchement de la guerre d'indépendance nationale en novembre. Il ne restait aux élites que l'alignement derrière cette nouvelle génération. En réalité, les élites ont perdu la capacité d'initiatives à un moment crucial de l'histoire de notre processus de libération nationale. C'était un coup dur qui n'a toujours pas été dépassé. Concernant la résolution de la crise et le rôle des élites, cette expérience nous permet de tirer un certain nombre de leçons. La situation se caractérisait par le désespoir du peuple et l'absence de perspectives pour la jeunesse, l'inefficacité du travail politique, l'incapacité des instruments en place de réaliser le changement attendu (les élections notamment), la léthargie des forces politiques. La création du Comité révolutionnaire d'unité et d'action peut être interprétée, aujourd'hui, comme : 1. une innovation en matière d'organisation du travail politique par les concepts de Révolution et d'unité, c'est ce qui a donné naissance au Front de libération nationale ; 2. une innovation en matière d'instruments du changement par le passage à la lutte armée et le déclenchement de la Révolution le 1er Novembre ; 3. un pari sur de nouvelles forces : la jeunesse et les masses populaires. Mais ces innovations et ce pari ont eu des “dommages collatéraux” : la marginalisation des élites et le sacrifice de la démocratie et de l'avis contraire au profit de l'unité d'action. La règle était : “Lorsque le fusil parle, la plume doit se taire.” Des évènements comme la “bleuïte” et la grève des étudiants ont renforcé cet état de fait. Ces deux dégâts collatéraux sont devenus la marque du système de pouvoir algérien d'après indépendance. Une tentative d'ouverture vers les élites et les contre-pouvoirs a été initiée par le Congrès de la Soummam, mais elle a été enterrée pour de bon à la suite de la guerre des wilayate et la prise du pouvoir par l'armée aux frontières, à l'indépendance. La leçon à retenir de cette expérience est que : a. la marginalisation des élites et le sacrifice de la démocratie et des contre-pouvoirs trouvent leur racine dans le processus de lutte de libération nationale du système colonial ; b. face à une crise grave, la solution ne peut venir que d'innovations et de nouveaux paris. J'aimerais préciser et répéter pour éviter tout débat stérile qui “ni ne nourrit ni n'étanche de soif”, que je ne compare pas la situation matérielle des Algériens aujourd'hui à celle de 1953-1954 ; énormément de progrès ont été réalisés dans ce domaine. Je ne compare pas non plus le pouvoir aujourd'hui et le pouvoir colonial de l'époque. Je ne dis pas que la lecture que je fais des évènements qui ont précédé le déclenchement de la Révolution soit celle faite par les acteurs de cette époque. Je décris la crise de 1953-1954 et les solutions qui ont été apportées pour voir comment s'en inspirer pour dépasser la crise actuelle et proposer un programme de sortie de crise pour le progrès et la prospérité en tirant le meilleur de nos élites reconstituées, de nos ressources nationales et des opportunités offertes par l'environnement international. Dans la quatrième chronique, je décrirai la dérive de l'Etat défaillant à l'Etat déliquescent. En attendant, échangez entre vous sur les meilleurs moyens de reconstituer des élites capables de contribuer à la solution à la crise. À jeudi prochain. (*) Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Krim Belkacem, Mostefa Ben Boulaïd, Larbi Ben M'hidi, Rabah Bitat, Mohammed Boudiaf, Mourad Didouche, Mohammed Khider