Dimanche, 21h50 : l'arbitre de la rencontre Algérie-Maroc siffle la fin du match et c'est un grand ouf de soulagement que poussent les Annabis. La victoire des poulains de l'équipe nationale n'était pas seulement une relance des chances de l'EN pour la qualification à la CAN-2012 mais surtout une sorte de délivrance pour les habitants d'Annaba. “Ne plus jamais revivre ça” était sur les lèvres de la plupart d'entre eux. Ingrédients d'émeutes Le big match, annoncé depuis plusieurs mois, avait engendré une pression indescriptible dans la ville. Tout le monde appréhendait l'après-rencontre, “surtout en cas de défaite”. La pression s'était très fortement accentuée trois jours avant le match. Tous les “ingrédients” d'une émeute programmée étaient au rendez-vous. Foules en délire presque 24h sur 24, routes barrées lors des défilés des supporters, déploiement impressionnant des services de sécurité. Et en prime, un hélicoptère avec un gros projecteur survolant les quartiers jour et nuit. Il ne manquait que “le détonateur”. Pour les habitants, cela ne pouvait être qu'une victoire marocaine. “La ville vit sous tension depuis plusieurs semaines avec presque quotidiennement des émeutes et ce match est arrivé vraiment au mauvais moment”, nous confiera un jeune rencontré au centre-ville. Il ajoutera avec un air énervé : “D'ailleurs, je me demande pourquoi ils ont choisi notre ville pour ce match ! C'est comme si les responsables avaient peur qu'il y ait des émeutes à Alger et ils nous envoient cette bombe ambulante qu'est l'EN chez nous.” Même impression chez une femme d'une cinquantaine d'années qui faisait ses courses du côté d'El-Hattab. “Al Hamdoulah, notre équipe a gagné parce que j'avais tellement peur pour mes enfants que des émeutes éclatent et je suis certaine qu'avec les nombreux problèmes que tout le monde subit, cela aurait été très violent.” D'ailleurs, avant-hier, soit le jour du match, et dès 15h (alors que le début de la rencontre était prévu à 20h30), Annaba était devenue une ville fantôme. La plupart des magasins ont baissé les rideaux. Certains passants ont pensé à l'ambiance du mois de Ramadhan. “C'est fou ! On a l'impression d'être à quelques minutes de l'appel à la prière du Maghreb !” L'insécurité au rendez-vous Par ailleurs et au-delà des anecdotes, cette peur n'avait rien d'imaginaire et les faits sont là. Mercredi dernier, jour du début (et fin) de la vente des billets du stade, plusieurs heurts ont été signalés devant les guichets du stade du 19-Mai-1956. Des dizaines de blessés ont été enregistrés. Des couteaux et des épées ont été utilisés lors des bagarres signalées sur place. La veille du match, soit samedi soir, pas moins de 14 agressions ont été enregistrées dans la ville. Des centaines (certains affirment même qu'ils étaient des milliers) de supporters venus de plusieurs wilayas auraient “réveillé” plusieurs bandes de malfaiteurs de la région. La forte présence policière n'a pas pu éviter ces agressions. En plus des vols de téléphones portables, il y a eu aussi d'autres “cas” graves. Hier matin, un jeune d'une vingtaine d'années a été retrouvé mort à la cité El-Moungas, à El-Hadjar (10 kilomètres du chef-lieu de la wilaya). Le corps a été retrouvé, mains et pieds ligotés, du côté du oued appelé Bjima et il aurait été jeté la veille après la fin du match. Un autre phénomène a également surgi pendant cette période spécial match : le rapt de jeunes filles. Deux jeunes filles, âgées de 13 et 15 ans, ont été kidnappées, samedi après-midi, à côté de la cité résidentielle, Kouba. Elles ont été embarquées de force par deux jeunes hommes dans une voiture. Le lendemain, une jeune fille de 25 ans a subi le même sort et cette fois ils étaient trois pour la forcer à monter dans leur voiture. Heureusement, les kidnappeurs ont été appréhendés quelques heures après leur acte et les trois filles ont été libérées “saines et sauves”. La Tunisie et la Libye à l'esprit Ne plus revivre ces jours de pression, c'est ce qu'ont répété à tue-tête plusieurs Annabis, avant et après le match. Pour Halim, 42 ans, commerçant, “nous voulons éviter au maximum toute émeute chez nous et nous n'avons aucune envie de subir une anarchie dont les conséquences pourraient être incommensurables”. Cependant, il avouera que “l'insupportable a été déjà dépassé chez nous avec tous les problèmes que nous subissons et nous voulons, certes, que tout change en Algérie mais surtout pas dans le chaos”. La proximité d'Annaba avec la Tunisie est pour quelque chose. “Je connais ce pays très bien puisque j'y allais régulièrement avant et je peux vous assurer que maintenant c'est devenu infernal”, dira-t-il, précisant que “l'insécurité sur place est devenue pire que chez nous et les agressions sont devenues monnaie courante. D'ailleurs, depuis la fin janvier je n'y suis plus retourné et pourtant j'ai beaucoup d'affaires à régler là-bas”. Cette réaction est venue aussi “renforcer” l'attitude des supporters dans les tribunes du stade juste avant le début du match. Les cris “Libya, Libya” qui résonnaient lors de la minute de silence à la mémoire des victimes du séisme qui a frappé le 11 mars dernier le Japon, s'ils ont choqué certains, pour les Annabis, ils n'ont rien de surprenant. Nabil, 24 ans, était sur place. “C'était spontané parce qu'on n'a pas compris comment ils se sont rappelés des Japonais alors que juste à côté, nos voisins libyens se font tuer par les Français et les autres”. Il ajoutera, avec un air fier : “Ce qui se passe en Libye c'est de la pure hogra et c'était une occasion pour nous de le crier.” Au final, il ne faut pas omettre qu'Annaba reste, tout de même, fière d'avoir été le théâtre de la première victoire de l'Algérie sur le Maroc depuis… 31 ans.