C‘est un récit intimiste, construit autour des réminiscences de son enfance au sein d'une famille élargie cultivant des traditions séculaires et un art de vivre, effilochés au fil des ans, que Nora Sari-Zertal nous livre dans sa première œuvre littéraire : "Un concert à Cherchell", édité chez l'Harmattan en 2013. L'histoire est figée dans une année, 1952, celle des sept ans de l'auteure, qui la raconte par soubresauts au gré de 88 courtes nouvelles. Chacune d'elle profile un personnage, met à l'honneur un métier ancestral, ressuscite un rite oublié de nos jours, rappelle un fait marquant. Les chapitres se lisent dans la chronologie établie par l'écrivaine aussi bien que dans le désordre. Rien ne semble les lier à première vue, en dehors du lieu, de la date et des acteurs qui les animent. Pourtant le roman autobiographique – "Tout est vrai, rien n'est inventé", a tenu à nous certifier Mme Sari – commence, se termine, s'enchevêtre dans ses détails et ses anecdotes, par un événement festif qui met, de 1940 à 1954 chaque été à la même date, en effervescence la demeure familiale : le concert du chantre de la musique andalouse, Dahmane Ben Achour, en l'honneur du Cheikh Ibnou Zekri, proviseur du lycée franco-musulman d'Alger et maître spirituel du père de Nora Sari. Sur ce fil d'Ariane, Nora Sari livre un récit intimiste sur une partie de son enfance à Cherchell. "Dans cette ville chargée d'histoire, l'auteure, du regard de l'enfant qu'elle était et de la mémoire qu'elle porte à travers une saga familiale, balaie plusieurs générations. Des petites filles rangées, insouciantes, évoluent autour de la chaleur des aïeules, des grand-mères et tantes, sous le regard vigilant du père, le marchand de l'alphabet (comprendre enseignant, ndlr). Elles déambulent au sein de différentes maisons familiales qui constituent les ports d'ancrage de leurs enfance". La présentation du roman par l'éditeur le résume sans lui rendre vraiment justice tant il est profond, riche, agréable à lire. L'auteure esquisse les profils de ses personnages, tous parents proches, aujourd'hui décédés. Si elle fait transparaître, dans tout son récit, la joie de vivre qui a rythmé son enfance, elle laisse échapper un soupir de nostalgie les quelques fois où elle évoque les disparus. Chaque départ pour l'au-delà fissurait l'unité de la communauté et menaçait davantage la pratique d'une manière de vivre si chère à l'écrivaine. "Décembre 2009. Le petit-fils de Babali, qui hérita de son prénom, décède. Il n'a que 60 ans. Le vide et le silence hurlent dans l'immense maison de Babali. Vide de son roi et de sa reine, chaque maître de maison est monarque chez lui. Vide de ses princesses. Toutes disparues, emportées par la grande camarde. Seule Salika (sa maman, ndlr), dont le chemin a croisé celui d'un monsieur cruel et barbare, dont le nom est Alzheimer, et qui l'a emprisonnée dans ses rets, mène une triste fin de vie." Par ces quelques mots, Nora Sari referme la grande parenthèse qu'elle a ouverte, dans son livre consacré aux traditions et art de vivre de Cherchell, sur ces vacances d'été à Alger chez ses grands-parents maternels. Des gens aisés plus portés sur la modernité. "Babali était l'un des rares commerçants algériens vivant dans ce quartier de la capitale (El-Biar, ndlr), réputé résidentiel de part sa composante française. Dès 1906, lors de ses épousailles avec une cousine, Babali acheta son magasin et la grande maison hispano-mauresque..." Une description soutenue de la demeure, de l'affection que se vouaient ses grands-parents maternels et qu'ils exprimaient sans tabous, de l'indépendance des deux benjamines... "Il semblait à Nora, du haut de ses sept ans, en cet été 1952 à El-Biar, alors que ses tantes jouaient avec elle à Gouchla, qu'elles lui restituaient des fragments de son enfance qu'elle avait perdue depuis longtemps à Cherchell...", car responsabilisée trop tôt par de menues tâches qu'elle devait accomplir et la rigueur de l'éducation. L'écrivaine redevient nostalgique vers la fin de l'ouvrage, en parlant encore une fois de mort et de la partie des traditions qu'elle happe. "A travers le deuil de Houria (sa tante paternelle décédée en 2007, ndlr), Nora, transformée en pleureuse, prit conscience, ce jour-là, qu'une époque venait de se terminer, emportant avec elle la magie de l'enfance, le paradis perdu, brisant la dernière citadelle, Dar Sari, effritant les remparts du dernier bastion, Dar Youcef, détruisant la forteresse qui la protégeait, Dar El-Hakem..." (page 357). Les trois maisons, celles du père de l'auteure et de ses deux tantes mariées (Houria et Fatmezohra) sont voisines. Les femmes de ces familles passent de l'une à l'autre comme si elles se déplaçaient dans une unique demeure. Tous les événements marquants (mariages, circoncision, préparation du Ramadhan, du Mouloud...) se préparaient dans l'une et dans l'autre, sous les offices de Lella Yamna Yousfa, la grand-mère maternelle, "la matriarche". Tant de personnes, tant de tranches de vie, tant d'habitudes... autant de reliques sont déterrées par Nora Sari-Zertal, restaurées, revalorisées et présentées aux lecteurs comme une offrande pour la connaissance du passé et de traditions abandonnées. S. H. Nom Adresse email