À la sortie de son album Kamikaze en 1997, le rappeur Lotfi Double Kanon a suscité un engouement chez les Annabis. Il est devenu en quelques mois l'idole incontestée de ces jeunes. De tous âges, ils fredonnaient ses titres, achetaient ses K7 audio, mais surtout s'identifiaient à lui. Considéré comme un "messie", les adolescents et les jeunes de toutes catégories sociales s'imprégnaient de ses textes qui reflétaient leur quotidien (malvie, frustration, injustice...). Ce rappeur issu du quartier populaire la Colonne était une sorte de "guide" pour ses fans. D'ailleurs, Annaba, vers la fin des années 90 et début 2000, n'était plus connue pour être la Coquette, mais la ville de l'"enfant terrible" Lotfi Double Kanon. Avec le temps, son public annabi a grandi et a évolué, alors que lui a continué à surfer sur la même vague. Les textes misogynes et les chansons sur les fils à papa n'intéressent plus ses admirateurs. Alors Lotfi DK a trouvé une autre voie pour sa carrière artistique : celle de Dieu. Ses rimes maintenant ressemblent plus aux prêches moralisateurs tenus par quelques imams extrémistes lors de la prière du vendredi, à celles d'un artiste "rebelle" (vieille étiquette collée au rappeur à ses débuts). Questionnés sur cette reconversion de Lotfi DK, sur son dernier titre Faqou el faqaqir et sur ses penchants politiques, plusieurs Annabis qui ont suivi le rappeur depuis ses débuts sont unanimes : "Il a retourné sa veste." "Lotfi, je ne l'aime plus", indique catégoriquement Nabila (la trentaine). "Avant qu'il ne chante pour le parti unique, j'avais de l'estime pour lui. Je l'écoutais et j'achetais ses albums. Mais la goutte qui fait déborder le vase, ce sont ses prêches sur la chaine Echourouk TV. Si khouya yefti bila Ilm." Et d'ajouter : "Aussi, son soutien à Khalida Toumi et la chanson ‘Faqaqir'. On ne peut pas soutenir le FLN et critiquer un membre de son parti. Je pense que c'est une petite manœuvre politicienne minable ! Il aurait mieux fait de se taire !." Quant à Amel (la quarantaine), elle dira : "J'aimais ses chansons à ses débuts, ses textes étaient sincères. Mais quand il a commencé à faire ses émissions du ramadhan (Echourouk TV), j'ai trouvé qu'il est sorti de sa voie d'artiste. Pour ‘El Faqaqir', il veut mettre de l'huile sur le feu avec la minorité qui veut voir le pays exploser, qu'il ne vienne pas en rajouter !" Les avis divergent mais le constat est le même : tous ceux qui l'écoutaient trouvent que la nouvelle tendance de Lotfi DK est un préjudice pour sa carrière. Cela est aussi l'opinion de Sabry (la quarantaine) : "Je l'apprécie de moins en moins, car il devient islamo avec ses chansons." Quant à Walid, qui connaît bien le parcours du rappeur, il estime que ce changement est un simple "coup de marketing". "Sur son dernier titre, il est allé un peu fort. Mais je pense que le texte exprime bien la conscience collective de tout le monde : ce que pense tout le monde du premier ministre. D'ailleurs, Lotfi n'est pas le premier à avoir chanté sur el-faqaqir", a-t-il indiqué. Et de continuer : "Le gouvernement qu'est-ce qu'il a à perdre s'il l'attaque pour diffamation ? Les textes sont vrais mais ils sont un peu forts pour un premier ministre ! Mais je pense que les propos de Lotfi pourront servir pour les prochaines élections. Enfin, c'est un buzz parmi tant d'autres, ça lui a permis d'être invité dans plusieurs télés et radios étrangères. C'est simplement du marketing." Outre les anciens fans de Lotfi, on retrouve Sabrina (la cinquantaine), qui n'a jamais applaudi le travail de ce rappeur. "à moins d'aimer les rappeurs "muftis", ce qui n'est pas mon cas, je ne l'aime pas. D'abord parce que ses textes sont misogynes très souvent et toujours sans profondeur. Il reprend à son compte ce qui se dit dans la rue, il ne crée rien. Ensuite, son esprit contestataire n'est que façade, il a été le ‘toutou' de Khalida. Son dernier clip ne m'a pas convaincue, il a surfé sur une vague toute prête et a retourné sa veste, jusqu'à ce que son maître (Khalida) le rappelle." Ces quelques témoignages restent l'avis d'une minorité. Car les jeunes sans travail, sans perspectives d'avenir, et ne possédant aucune lueur d'espoir à l'horizon s'accrochent toujours au rappeur qui représente à leurs yeux un nouveau "guide" spirituel. H. M Nom Adresse email