La mise en berne de l'engouement pour la production d'électricité à partir du nucléaire après la catastrophe de Fukushima au Japon ne semble pas résister aux réalités de certains grands pays gros consommateurs d'énergie et du fort lobbying des industries de l'atome. L'Agence arabe de l'énergie atomique (AAEA) dont le siège est à Tunis a été créée sur décision de la Ligue arabe en 1989. Elle a organisé, le 17 octobre dernier, une table ronde autour du thème "Les technologies nucléaires en tant que bases du développement durable". Cet événement, organisé à la veille de la tenue de la CoP22 à Marrakech au Maroc, à partir du 7 novembre 2016, a été parrainé par l'Organisation russe Green Cross Russia (GCR) représentée lors de cet événement par son président Sergei Baranovsky. Ce dernier est membre du Conseil public de Rosatom qui fédère l'ensemble des activités nucléaires du pays dont le président, Sergueï Kirienko, nommé par Vladimir Poutine, n'est autre que l'ancien premier ministre de l'ex-Président russe Boris Eltsine. Rosatom est le mastodonte russe de l'énergie atomique, un équivalent dans le nucléaire de Gazprom, une forme donc d'un Etat dans l'Etat. Lors de la deuxième édition du Salon mondial du nucléaire tenue au Bourget (Paris) du 28 au 30 juin 2016, pour présenter la firme russe, la presse française usait de la formule "c'est l'équivalent du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) français, auquel on aurait ajouté Areva et EDF"; elle gère 31 réacteurs en Russie et 10 en construction dans le monde. L'industrie du nucléaire est partie prenante dans l'accord sur le climat À cette table ronde, ont pris part, notamment, le président de l'AAEA, le Tunisien Abdelmadjid Majdjoub, le président du GCR, Sergey Baranovsky ainsi que Mokhtar Hamdi directeur général du Centre national des sciences et technologies nucléaires (CNSTN-Tunisie), Hamid Merah, directeur du Centre national de l'énergie des sciences et des technologies nucléaires (CNESTEN- Maroc). Le représentant du ministère algérien de l'Energie, invité à cette table ronde n'était pas de la partie. En aparté, les nombreux scientifiques tunisiens présents notaient que les Algériens boudent en général les événements de l'Agence et communiquent peu sur les activités du pays dans ce domaine. Dans l'allocution du DG de l'AAEA, on retiendra que pour lui "le coût des réacteurs nucléaires sera minime en comparaison avec les coûts d'exploitation des autres sources d'énergies renouvelables (éolienne et solaire)", étayant cette affirmation par le faible coût de maintenance des installations même si l'investissement de départ est conséquent et qu'il "s'agit également d'une énergie qui ne produit pas de gaz toxiques et ne contient pas d'oxyde carbone". Il ajoutera pendant les débats que l'Algérie et l'Egypte comptent chacune deux réacteurs de recherche nucléaire. La Jordanie est sur le point de finaliser l'installation d'un réacteur tandis que la Libye possède un réacteur en phase expérimentale alors que le Maroc et la Syrie possèdent chacun un réacteur de recherche. La mise en berne de l'engouement pour la production d'électricité à partir du nucléaire après la catastrophe de Fukushima au Japon ne semble pas résister aux réalités de certains grands pays gros consommateurs d'énergie et du fort lobbying des industries de l'atome. De plus il aurait en effet été difficile d'exclure l'énergie nucléaire comme faisant partie des "solutions pour le climat", quand le Groupe international pour l'évolution du climat (GIEC) lui-même la reconnaît comme bas-carbone, au même titre que les renouvelables et le stockage du CO2. De là découle sa place dans le schéma de la transition énergétique retenue lors de l'Accord climat à la CoP21 à Paris. En tout cas des pays comme la Chine, l'Inde ou la Russie, la Grande-Bretagne et la France investissent déjà lourdement dans ce secteur, pour concilier engagements pour la lutte contre le réchauffement climatique et développement ou pour mener une transition (sortie du fossile) moins coûteuse. Intervenant juste avant l'ouverture du débat, le président du GCR a brossé un tableau de la politique de promotion de l'énergie nucléaire en Russie par l'introduction de programmes dans l'éducation et les campagnes régulières d'explication et de la prise en charge des risques. Pour lui le problème est dans l'acceptation du public qui est mal informé. Il dira : "Greenpeace (ONG internationale de protection de l'environnement) mène une vraie compagne contre les dangers du nucléaire mais ce n'est pas la vérité" en ajoutant que "cette ONG est pour la confrontation, alors que nous, nous sommes pour la coopération". Une chose est sûre, le géant russe a un carnet de commande impressionnant : contrats de construction pour 36 réacteurs de troisième génération (VVR 1200) à l'étranger, dont seize sont déjà en chantier. Ces commandes se chiffrent à 110 milliards de dollars. Dans un entretien au journal économique français Les Echos lors du Salon du Bourget en juin 2016, le président de Rosatom indiquait que son groupe ambitionne 130 milliards de dollars d'ici à la fin de l'année et que le Moyen-Orient et l'Asie, avec des pays comme le Bangladesh ou le Vietnam sont au menu de son programme. Les chercheurs locaux soulignent les autres usages Les autres intervenants du Maroc et de la Tunisie ont souligné les problèmes liés à la formation et au manque de compétences de haut niveau qui doivent impérativement accompagner les infrastructures. Ils ont par contre insisté sur la promotion des autres usages des techniques nucléaires comme dans la lutte contre les espèces invasives ou les insectes dans l'agriculture ou les applications et la recherche médicales. Au plan de la production d'énergie, c'est l'option dessalement de l'eau de mer ou des nappes salines qui a le plus retenu l'attention des chercheurs locaux soulignant par là même que le stress hydrique est la préoccupation majeure de la région. Dr Slim Shoura du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (Tunisie) s'est interrogé sur l'opportunité de se concentrer sur l'installation de centrales nucléaires dans la région d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient alors que la situation dans des pays comme la Libye et la Syrie est très confuse. L'investissement dans la production d'électricité à partir du nucléaire est toujours controversé. Les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima ne sont pas des incidents mineurs et il y a probablement des risques imprévus que les modèles mathématiques ne peuvent dans ce cas prendre en charge. Sans compter des guerres atypiques ou des actes terroristes qui utiliseraient des ressources hors de la panoplie classique. De même, le stockage géologique des déchets radioactifs et le démantèlement des centrales en fin de vie constituent un problème majeur et mobilisent des ressources importantes. Enfin un autre problème et non des moindres, les écarts des coûts de revient de l'électricité issue du nucléaire sont énormes selon les études. Ils sont généralement bas, moins de 60 euros/MWh, lorsque la commande émane des acteurs impliqués dans sa promotion et exorbitants, jusqu'à 100 euros/MWh, quand l'étude est payée par les défenseurs de l'abandon de l'atome comme source d'énergie de substitution aux énergies fossiles. R. S.