Les aveux d'Ahmed Ouyahia devant le tribunal affirmant que des lingots d'or ont été offerts aux autorités algériennes par des princes orientaux renseignent sur les dérives au sommet de l'Etat. Il reste à savoir quels sont les avantages accordés en contre-partie de ces "cadeaux". Quand la juge l'a interrogé sur l'origine de sa fortune, Ahmed Ouyahia a fait une révélation qui risque de le fracasser. Il a avoué avoir reçu des lingots d'or des mains des émirs orientaux. "C'étaient des lingots d'or reçus des mains des émirs arabes du Golfe." Un aveu à l'effet d'une bombe. Et ce n'est pas fini. Celui qui fut défenseur acharné de la rigueur étatique poussée jusqu'au confin de l'autoritarisme complète ses aveux en affirmant qu'il a vendu ces lingots d'or sur la marché noir. "Je les ai vendus au marché parrallèle comme c'est de tradition", lâche-t-il sans sourciller. L'informel dans toute sa splendeur. Ainsi donc, entre 2014 et 2018, Ahmed Ouyahia, qui croupit aujourd'hui en prison à Abadla (Béchar), a reçu pas moins de 60 lingots d'or des mains d'émirs arabes en visite officielle en Algérie ou encore pour faire de la villégiature dans le sud du pays. Stupfaite, la juge interrompt Ahmed Ouyahia. "Un Premier ministre qui vend des lingots d'or sur le marché parallèle !". Souvent décrit comme un personnage arrogant et suffisant, Ahmed Ouyahia en rajoute une couche en expliquant qu'il aurait pu placer son argent à l'étranger, mais qu'il a préféré vendre ces lingots en Algérie. "J'ai voyagé au moins 50 fois à l'étranger, par avion spécial, pendant la période entre 2014 et 2018. J'aurais pu placer mon argent dans des banques extérieures, mais je ne l'ai pas fait", a-t-il dit, en rejetant les accusations selon lesquelles il aurait amassé sa fortune en percevant des pots-de-vin de la part des opérateurs dans le secteur du montage automobile, et notamment de la part de l'homme d'affaires Ahmed Mazouz. "Je n'ai jamais été corrompu, Mme la présidente. Je n'ai jamais perçu de l'argent dans le cadre du projet du montage automobile. Les supposés liens établis entre mon argent en banque et le dossier du montage automobile sont une pure fabrication du juge d'instruction. Je ne suis pas fou Mme la juge ! Je suis victime d'une cabale judiciaire", soutient-il encore. La présidente de l'audience revient à la charge et l'interroge : "Et pourquoi, dans ce cas, vous n'avez jamais déclaré vos comptes en banque ?" L'accusé à la barre tente dans un premier temps d'esquiver la question, en affirmant que derrière ses multiples procès se cache une affaire de règlement de comptes politique. Sans succès. La juge insiste : "Répondez à la question, M. Ouyahia." Il répond : "J'ai oublié, Mme la présidente. Comme tout être humain, j'ai oublié, Mme la présidente. J'ai oublié de déclarer mes comptes en banque", dit-il, non sans provoquer l'hilarité dans la salle d'audience pleine à craquer. Interrogé, par ailleurs, sur les raisons du transfert du secrétariat général du Conseil national de l'investissement (CNI) aux services de la Primauté, alors qu'il a été décidé d'arrêter l'importation de véhicules et d'aller vers le montage automobile, Ouyahia a soutenu que la décision avait été prise par les membres du CNI d'un commun accord avec les responsables du département de l'Industrie. "Ce n'est pas moi qui ai pris cette décision", a-t-il répondu à la juge, laquelle ne manque pas de lui faire observer qu'"il était pourtant lui-même président dudit Conseil". Chargé de valider la conformité des dossiers d'investissement, le CNI, pour rappel, était auparavant rattaché au ministère de la Promotion des investissements, mais après la suppression de ce ministère en 2014, il a été rattaché au ministère de l'Industrie, a justifié M. Ouyahia. Il a fait valoir sur le même sujet que le CNI n'examine pas uniquement les projets industriels, mais tous les dossiers d'investissement dans tous les secteurs : industriels, agricoles, etc. S'agissant des critères de sélection des "5+5" (nombre d'opérateurs autorisés à investir dans la filière de montage automobile), Ouyahia a indiqué que les investisseurs retenus sur les 89 candidats à l'investissement dans ce secteur avaient été sélectionnés "parce qu'ils étaient en activité dans le domaine et pas pour une autre raison". L'accusé a démenti, en outre, l'exclusion des dossiers de certains opérateurs, à l'instar du groupe Cevital, Achaïbou ou Emin Auto. Ahmed Ouyahia explique que "leurs dossiers n'ont pas été déposés au niveau du CNI". Autre sujet sur lequel il a été interrogé : les sociétés détenues par ses enfants. Pour se défendre, l'accusé a affirmé, comme lors du procès en première instance, qu'ils (ses enfants, ndlr) ont obtenu des crédits bancaires à travers l'Agence nationale de soutien à l'emploi des jeunes (Ansej) pour la création d'une imprimerie et d'une compagnie de sécurité informatique. "Mes fils Amine et Hakim n'ont jamais bénéficié d'avantages. Leurs sociétés n'ont jamais conclu des marchés dans le secteur public", a-t-il dit. L'audience devrait se poursuivre aujourd'hui avec l'audition des autres accusés, dont Abdelmalek Sellal, ainsi que les trois anciens ministres de l'Industrie, Youcef Yousfi, Mahdjoub Bedda et Abdeslam Bouchouareb, en fuite à l'étranger, et le ministre des Transports et des Travaux publics, Abdelghani Zaâlane. Programmé à la cour d'Alger avec une composante spéciale, ce procès intervient après que la Cour suprême a accepté le pourvoi en cassation introduit par la défense des accusés. Ouyahia, quatre fois Premier ministre entre 1995 et 2019, avait été condamné en première instance à 15 ans de prison ferme, et Abdelmalek Sellal, qui a dirigé le gouvernement de 2014 à 2017 et quatre campagnes électorales de M. Bouteflika, à 12 ans d'emprisonnement.