À 33 ans, Mehdi Ramdani cumule une expérience d'une dizaine d'années dans le cinéma. Sa carrière a débuté par des courts métrages avant de connaître, en 2017, une fulgurante ascension avec "En attendant les hirondelles" de Karim Moussaoui. Dans le long métrage "Héliopolis" de Djaffar Gacem, il crève l'écran dans le rôle de Mahfoud, le fils d'un propriétaire terrien (campé par Aziz Boukerouni) qui réalise très tôt l'enjeu des bouleversements que connaît l'Algérie sous le joug colonial. Cet artisan-bijoutier, qui ne pensait pas faire carrière dans le cinéma, est pourtant le visage d'une nouvelle génération d'acteurs prometteurs. Liberté : Vous êtes à l'affiche du film "Hélipolis", premier long-métrage de Djaffar Gacem dans lequel vous campez le rôle de Mahfoud Zénati, le fils d'un riche propriétaire terrien de Guelma, partisan de l'assimilation. Comment avez-vous vécu cette expérience ? Mehdi Ramdani : Avec le recul, quand tout est fini, on ne garde que le bon. C'était la première fois que je faisais un film d'époque, avec autant de costumes, de décors et de figuration. J'avais l'habitude de films avec moins de budget et de moyens. Là c'était vraiment impressionnant. Et la rencontre avec tous les gens sur le plateau, aussi bien les comédiens, que les techniciens, c'était une très belle expérience. Mahfoud et son père ont des idées opposées. Le premier est pour une Algérie indépendante, tandis que le second est pro-assimilationniste voire pro-Algérie française. Il sait que leur confrontation lui fera perdre tous les privilèges que peut avoir un "indigène" issu d'une famille aisée, pourtant il fonce tête baissée dans cette guerre... Pro-Algérie française, je ne pense pas pour Mokdak Zénati, mais il pensait que le fait d'attendre et de patienter pourrait déboucher sur une assimilation, par le biais de la diplomatie. Il a vite déchanté. Il n'est pas aussi radical que ce que l'on pourrait penser. Il faut surtout remettre les choses dans leur contexte. On est entre 1939-1945, ce n'était pas du tout le même raisonnement plus tard. On a vu beaucoup de films sur la révolution, notamment 1956 et 1962, où on voit des personnages déterminés. Je pense qu'on a très peu de personnages comme ça qui sont plus nuancés. Pour ce qui est de Mahfoud, je pense qu'il ne réalisait pas tout cela avant d'être recalé à l'Ecole polytechnique, parce qu'indigène. Effectivement, il est issu d'une famille "princière" ; il était choyé dans sa famille, il fréquentait des Européens. Le choc de Polytechnique, je pense que c'est ça qui lui a fait changer d'opinion. Ensuite, le fait d'être politisé par l'ami du père, Sadek (Fodil Assoul, ndlr), et son adhésion au PPA, a fait qu'à un moment il s'est radicalisé. Peut-on dire que Mahfoud était visionnaire par son engagement précoce pour la cause indépendantiste ? C'est très délicat comme sujet, parce qu'au final, Mokdad avait peut-être raison sur le coup. Il y avait peut-être moyen de discuter vu le contexte de l'époque. Mais Mahfoud, vu sa jeunesse, la rage d'avoir été refusé à Polytechnique s'est radicalisé, et l'avenir a fini par lui donner raison. "Héliopolis" donne à voir deux réalités. Les autochtones, pro-indépendantistes et assimilationnistes, et dans les rangs mêmes des colons, ceux partisans d'une Algérie française et d'une Algérie algérienne. Pensez-vous que la force du film se situe dans cette nuance justement ? Oui, c'est la force du film et je pense aussi que c'est un petit coup de tonnerre dans le milieu des films historiques algériens. Je crois que c'est l'une des premières fois qu'on voit cela. De mémoire, je n'ai pas le souvenir d'avoir vu un film pareil. Il est le premier je crois à traiter de la période d'avant 1956, c'est déjà une petite révolution. En plus on a des personnages qui se veulent un peu plus complexes que ce qu'on voit d'habitude. D'ordinaire, il y a énormément de manichéisme. On a les gentils d'un côté, et les méchants de l'autre. Souvent ce sont les gentils Algériens d'un côté, et les méchants Français de l'autre, les méchants harkis...Alors que l'Histoire est beaucoup plus complexe que ça. On ne peut pas la résumer aux gentils et aux méchants. Il y a eu une grande prise de conscience à l'époque aussi, c'est-à-dire que les gens ont commencé à se dire que peut-être qu'il existait un avenir sous le drapeau français, à condition qu'on nous accorde plus de droits. Ils ont vite déchanté, exactement comme Mokdad. Je pense que ce n'est que la réalité de l'époque qu'on a essayé de retranscrire, pas plus. Vous avez travaillé avec Djaffar Gacem, mais aussi avec des jeunes réalisateurs comme Karim Moussaoui, Amin Sidi Boumediene, Anis Djaad, Sofia Djama pour des courts et longs-métrages. Quel regard portez-vous sur cette "nouvelle génération" de cinéastes ? Je pense qu'ils ont déjà commencé à faire leurs preuves, quand on voit un Amin Sidi Boumediene, Sofia Djama ou un Karim Moussaoui qui ont déjà fait leurs longs-métrages et qui ont tous eu énormément de succès, sélectionnés dans de grands festivals, je pense qu'il n'y a rien à redire. Les preuves sont faites. Maintenant je pense qu'il va falloir leur donner un petit coup de pouce afin qu'ils aillent encore plus loin. Pensez-vous justement qu'il existe une volonté d'aider et de promouvoir le cinéma, quand on voit les problèmes de distribution, de promotion, des avant-premières sans exploitation en salles, si n'est pas carrément des cas de censure ? Tout passe par l'Etat. Il y a très peu de salles privées, tout leur appartient. L'Etat est le premier producteur de films en Algérie, c'est lui qui s'occupe également de la promotion. Là je dois vous avouer qu'avec "Héliopolis" je retrouve un peu espoir parce que c'est la première fois que je fais un film qui est distribué tout court en Algérie. J'ai déjà fait des films qui ont été distribués partout dans le monde, et jamais en Algérie. Je n'ai jamais eu l'occasion d'aller à la rencontre du public, et là c'est incroyable ce qui arrive. Je reçois énormément de messages, je sens vraiment que les gens sont contents. Pendant longtemps on a dit que les Algériens n'allaient plus au cinéma, qu'il fallait se lancer dans les plateformes, alors que pas du tout. Ce film est en train de casser tous ces clichés. C'est génial ce qui se passe, et je pense justement que ça pourra servir à d'autres réalisateurs et d'autres sorties de films. La confiance commence peut-être à être rétablie, les gens comprennent qu'on peut avoir des films de qualité et dans de bonnes conditions de projection. Il y a beaucoup de salles équipées en DCP, il y a quelque chose à faire à partir de maintenant. Il y a cette base de public et de promotion, on a la preuve que le public algérien est friand de films. Qu'en est-il des autres films dans lesquels vous avez joué, notamment "En attendant les hirondelles" de Karim Moussaoui ? "En attendant les hirondelles" n'a pas été distribué jusqu'à présent en Algérie. Il a fait une avant-première, il est passé dans un festival à Alger, un autre à Bougie. Il a dû y avoir cinq ou six projections sur le territoire national, et que pour des festivals. Je me rappelle qu'on avait honte le jour de l'avant-première, il y avait des centaines de personnes à l'extérieur de la salle qui voulaient rentrer, parce qu'elles savaient qu'il allait au Festival de Cannes. Il y avait énormément de promotion autour. Il y a eu une annonce faite concernant l'avant-première sauf que les organisateurs ont oublié de dire que l'accès était uniquement sur invitation. Le public ne l'a finalement jamais vu. Il a fini par être piraté. C'est dommage parce qu'il aurait dû être vu au cinéma. En plus des réalisateurs, il y a aussi de jeunes comédiens qui portent haut le cinéma algérien actuel. Pensez-vous que nous assistons à une nouvelle dynamique dans l'actorat ? Oui, il y a une nouvelle génération de comédiens qui émerge. Il y en a qui passent par la télé pour pouvoir émerger. Souhila Maallem a la chance de faire les deux, elle a fait quand même quelques films très intéressants. Y en a d'autres comme Nacereddine Djoudi, qui récemment a commencé par faire de la télé, Fodil Assoul qu'on découvre dans "Héliopolis", qui est génial. Il y a une pléiade de comédiens qui commence à émerger et j'espère que ça va durer. Au début de votre carrière, vous étiez surtout dans des courts-métrages, citons "Alger, demain ?" de Sidi Boumediene, "Mollement un samedi matin" de Djama, "Les jours d'avant" de Moussaoui... Ça a été mon école le court-métrage, c'est là où j'ai rencontré tous les réalisateurs avec qui j'ai travaillé, qui sont devenus les réalisateurs de "la nouvelle vague"comme vous le disiez tout à l'heure. Je pense que j'aurais eu beaucoup de mal si j'avais dû commencer directement par des longs-métrages. J'ai énormément appris avec les courts-métrages. Je crois qu'il faut encourager les jeunes cinéastes à les faire, parce que c'est une espère ce stage, il y a moins de pression financière et on est moins stressé au niveau de la production et de la réalisation. L'enjeu est moindre d'un point de vue économique. Mais d'un point de vue artistique, c'est très important. Il y a énormément de comédiens qui ont été révélés par les courts-métrages, des techniciens qui ont beaucoup appris aussi. Le cinéma algérien a aussi pu être connu à l'étranger grâce à eux. "Les jours d'avant" a fait tous les festivals du monde, j'ai envie de dire (rires). Les gens étaient très souvent surpris de voir un film comme ça venant d'Algérie. C'est pareil pour "Demain, Alger ?", "Mollement un samedi matin". On en voit de moins en moins malheureusement mais je pense qu'il faut en faire. Votre carrière a débuté il y a une dizaine d'années. Une rétrospective sur ce parcours ? J'ai commencé avec Amin Sidi Boumediene, c'était vraiment la toute première fois. Même après le film (Demain, Alger ?), je ne pensais pas "faire carrière". Je me suis dit c'est une bonne expérience maintenant je sais comment est un film. J'ai tout de suite senti que j'aimais ça, après ce n'était pas un plan de carrière envisageable pour moi. Mais le fait que le film ait eu autant de succès ça m'a ouvert les portes à d'autres films, d'autres réalisateurs m'ont remarqué et ça a fait son bonhomme de chemin. Vous ne pensiez pas faire carrière parce qu'avant de devenir acteur, vous étiez et êtes toujours d'ailleurs artisan-bijoutier. Comment conciliez-vous les deux métiers ? J'ai une moyenne d'un film tous les deux ans à peu près. Ça me laisse de la marge. Je suis souvent en ateliers. "Héliopolis" est le film qui m'a pris le plus de temps. J'ai eu un rôle conséquent donc j'étais souvent sur le plateau. Mais en tout, ça m'a pris deux mois et demi plus les répétitions. Si j'avais dû faire du théâtre à côté ou de la télévision, je pense que j'aurais eu beaucoup à faire les deux.