“Mes gars sont pressés. Y en a qui n'ont pas encore tué d'Irakiens.” C'est ainsi qu'un sous-officier américain de la 3ème division aéroportée en pause aux abords de Bagdad expliquait à des journalistes son impatience à reprendre la route pour la capitale irakienne. “It's my job”, celui de tuer. Lui est Américain ; il vient d'une démocratie, la plus puissante : il a donc le loisir réservé aux plus cotés à la bourse des valeurs — marchandes mais aussi morales — d'exprimer ses inclinations les plus morbides. Il restera, malgré tout, un soldat de la liberté, liberté irakienne comprise. Leur modèle démocratique où l'argent est l'élément déterminant dans les choix politiques tient plus par la citoyenneté et les contrepouvoirs qu'il développe que par la qualité de son système institutionnel. Il a aussi l'avantage de produire l'illusion que chaque Américain participe à orienter la politique de son pays. Ce qui est particulièrement faux en matière de politique étrangère. Quand Bush déclarera une guerre tour à tour préventive, humanitaire, de libération et de croisade, et parfois le tout à la fois, il ne faut pas s'étonner que les citoyens convaincus d'habiter le pays le plus jalousé, le plus généreux, le plus libre et le plus chrétien se jettent sans hésitation dans ce qui ne peut être que leur guerre. Le messianisme n'est pas l'apanage d'un président illuminé ; il est le ciment du nationalisme américain. Le Far-West n'est pas fini, même s'il se perd dans toutes les directions. Mission humanitaire et divine, donc, mais mission nationale. Les médias occidentaux, pas seulement américains et britanniques, sont d'un tel empressement quand il s'agit de confirmer les certitudes américaines : tous sont déconcertés devant la résistance irakienne et n'acceptent point que le grand frère se soit trompé. Pourtant, l'histoire montre que la règle est que les populations autochtones réagissent le plus souvent en s'opposant aux forces qui envahissent leur territoire, y compris quand la nation n'y est pas encore constituée, et que la collaboration avec l'assaillant est l'exception. S'il suffisait de désigner le despote des lieux pour se faire inviter… C'est qu'on refuse aux Irakiens le naturel sentiment patriotique : comment oser s'opposer, ou même tourner le dos à un si illustre libérateur qui s'est dérangé jusque chez vous. L'humiliation de la ration tendue à la bousculade c'est tout de même moins grave que l'accablement d'une tyrannie ! Eh bien non ! La tyrannie n'était pas télévisée. Et puis c'était la leur. Pas celle de l'ancien colonisateur revenu dans la foulée d'une guerre préventive. Est-ce préventif, pour ceux qui ont subi le colonialisme, de laisser les Anglais s'installer de nouveau en Mésopotamie ? Est-ce difficile de comprendre la méfiance d'un peuple, échaudé par les missions émancipatrices de l'Occident ? L'incursion de médias arabes dans la couverture de cette guerre a beaucoup contrarié le discours unique de la presse occidentale. Le “tu montres, je montre” gêne la manipulation unilatérale. A l'irritation que suscite cette nouvelle donnée, s'ajoute la surprise mal contenue devant la réaction “négative” des Irakiens. Des millénaires d'histoire pour dogmes aussi primaires ! Giap l'a bien dit : de vrais mauvais élèves. M. H.