Heureuse initiative pour une exposition artisanale qui a réuni, sous un même toit, des artisans d'Ath-Yenni et des visiteurs de Kouba en mal de marques historiques, sinon de traditionnalité. On peut parler d'événement et c'en est un, dans la mesure où cela est perçu sous l'angle d'un espace rural dans la grande ville. En effet, Kouba fait partie des banlieues surpeuplées, vivant dans un vacarme perpétuel et parfois assourdissant. Faire venir sur la base d'un accord, entre les deux présidents d'APC respectifs, des producteurs authentiques d'objets traditionnels dans la salle des expositions de la grande ville relève des grandes innovations. Une occasion pour se ressourcer ou un bain de jouvence Telle est la fonction principale de l'exposition qui délocalise, pour quelques jours, la bijouterie des villages de montagne que la plupart des citadins ne connaissent parfois que de nom, quand ils ne disent pas les ignorer totalement. Il faut rappeler que la bijouterie s'est transmise par contact direct de père en fils, et ce, depuis les origines. Il fut un temps où le fils d'un artisan bijoutier optait pour le même métier, au terme d'une initiation à laquelle se serait prêté le jeune ayant acquis la conviction d'être le digne héritier d'un savoir et d'un savoir-faire perpétué depuis ses plus lointains ancêtres. Ainsi, ce métier manuel, dans toute la dextérité qu'il éxige, aura été sauvegardé comme partie intégrante d'un patrimoine culturel dans tous ses gestes adroits, opérations précises, outils appropriés et coups d'œil infaillibles. Un bracelet, une paire de boucles d'oreille, un collier ou un diadème, sortant des mains d'un artisan, portent les marques d'une signature qui garantit la qualité du produit. On ne veut pas se mettre à la place des bijoutiers pour dire à quel siècle remontent les débuts de cet artisanat de l'argent. Le métier a une longue histoire et chaque artisan est un puits de connaissances en la matière et d'histoires qui, au fil du temps, ont façonné les membres de chaque famille de bijoutiers. Pour celui qui a eu l'occasion d'aller aux villages de bijoutiers, dont Aït Larbaâ reste la figure de proue, ou d'avoir entendu ou retenu les propos d'un aïeul ayant eu l'occasion de rentrer dans une boutique d'artisan, l'histoire est, à la fois, longue et complexe. Pour être plus clair, le soufflet ou le chalumeau de Da Houna, artisan maintenant disparu mais connu comme l'un des derniers à avoir gardé les plus vieilles habitudes en travaillant par terre, assis sur une peau de mouton, sont des pièces de musée d'une grande valeur historique. Quel sort réserve l'avenir à ce métier précieux ? La plupart des artisans vivent dans l'incertitude du lendemain, quelques-uns se contentant de garder jalousement des objets anciens portant la mention «non destinés à la vente». Ils n'ont pas de prix pour la qualité d'argent qu'il aura fallu transformer pour leur donner la forme voulue ainsi que les motifs de corail et d'émail qui les accompagnent pour leur donner le cachet d'objets d'une longue tradition artisanale des Ath Yenni, dont la renommée incontestable a traversé la frontière. Les plus anciens, chevronnés dans le métier, ont même participé à des compétitions internationales, obtenant les meilleurs prix, après avoir été classé parmi les plus talentueux. Des familles descendant de ces lauréats d'antan gardent jalousement des titres, pour ne pas dire des diplômes, signés de la main de personnalités du monde de la culture et à destination de nos anciens artisans jugés méritants par des examinateurs, connaisseurs en la matière. La particularité de ces vieux artisans, dont les descendants en ont hérité du métier, est d'avoir en abondance et à prix raisonnable la matière première: argent, corail, émail. Il ne restait plus qu'à perfectionner leurs bijoux pour s'attirer la meilleure clientèle et être reconnus. Toujours dans les spécificités de l'artisan, il fallait un esprit inventif pour les animer de père en fils, et ce, depuis l'origine. Le métier est venu à ces créateurs émérites, ils l'ont fait évoluer en apportant au fil des jours des notes personnalisées de progrès et de volonté de vouloir séduire toujours plus les clients potentiels. Un artisan, qui travaille avec goût, habileté et souci d'honnêteté, fait des découvertes merveilleuses sur les formes des bijoux, les mariages de motifs et de couleurs. Et tenant compte des leçons des instants déterminants, il va dans le sens de l'évolution. C'est ce qu'on appelle le sens de la créativité qui caractérise chaque artisan, mais vrai artisan, fier de la signature qu'il appose sur chaque objet sortant de sa boutique. Tout ce long détour est nécessaire pour comprendre le titre : quel sort réserve l'avenir à ce métier précieux ? On peut répondre à cette question pour dire que l'avenir est sombre. Beaucoup d'artisans ont abandonné le métier pour se convertir en épicier, fellah, éleveur ou maçon. Les acheteurs de bijoux, peut être beaucoup moins argentés que ceux d'antan, existent. Les éléments féminins sont toujours passionnés de bijoux. Le manque de bijoux authentiques les obligent à se rabattre sur des bijoux en toc, faux clinquant, partout exposés: sur les trottoirs, les marchés ou les magasins. Les femmes et les jeunes filles ont besoin de porter des bracelets de toutes sortes, boucles d'oreilles, colliers en cuivre, maillechort ou étain, dont la brillance disparaît au contact de l'eau de vaisselle ou par le frottement quotidien. Ajoutons à nos femmes un autre problème d'actualité, celui des agresseurs, arracheurs de bijoux, omniprésents. C'est une nouvelle jeunesse de toxicomanes qui a besoin d'argent pour se procurer de quoi satisfaire ce vice en drogue. Revenons aux bijoutiers, pour dire que ce qui les a poussés à abandonner le métier, c'est le prix de matière première. Le kilo d'argent est à un prix astronomique. Quant au corail, il est introuvable sur le marché et, pour peu qu'on ait la chance de le trouver, il est vendu parcimonieusement. Il en est de même des émaux. De l'artisan des métaux précieux à l'artisan du verbe Pour agrémenter cet événement, on a donné une conférence sur le romancier emblématique Mouloud Mammeri. On a écrit romancier, mais c'est une erreur, Da L'Mouloud ayant été l'auteur de deux pièces théâtrales. Dramaturge émérite, il a aussi été nouvelliste, grammairien, professeur de français, d'anglais, de grec et de latin. Il a publié des recueils de poèmes anciens, intitulés «Poèmes kabyles anciens», «Si Mohand» ainsi que des recueils de contes de grand-mère «Machaho». A` insi, on a su marquer la liaison entre l'artisanat des métaux précieux e t l'artisan du langage. Si Mouloud Mammeri a été un homme sage, c'est grâce à son père qui l'avait mis sur la voie de la sagesse populaire, en sa qualité d'artisan recevant dans son atelier des hommes de culture populaire qui s'adonnaient à des joutes oratoires. Da L'Mouloud aimait beaucoup les artisans; il leur tenait compagnie pendant qu'ils travaillaient. Il participait à leur discussion à la manière des grands qui se faisaient humbles comme le philosophe Socrate qui aimait les boutiques de forgeron.