Voici l'histoire attachante d'un duo d'amis qui se sont connus au cœur des années 1960 pour vivre une série d'aventures en commun qui résisteront au temps, pour parvenir jusqu'à nous et nous montrer, dans un bonheur indicible, que la vie est belle et que les années d'or du cinéma et de la peinture algériens avaient tenus sur quelques années. Il ne nous reste souvent que des effluves nostalgiques de ces lieux mythiques qui furent des « Mec-que » inoubliables du cinéma et des arts en général. Pour un certain temps, le Bastion 23 ou Palais des Raïs, sera une de ces «Mecque» ultimes qui nous redonnera le pouvoir du phénix pour ressusciter des souvenirs lancinants. C'est ainsi que dès samedi 22 novembre, Ahmed Bedjaoui, homme de cinéma pertinent, et Denis Martinez, homme de couleurs éloquent, se retrouvent sur les derbouz et ouest eddar d'une ancienne bâtisse de cet ensemble qui tutoie la mer de près pour nous livrer une très belle exposition aux multiples surprises avec des photos, projections de documentaires, des peintures exposées, un livre édité entre les deux protagonistes d'une aventure cinématographique formidable qui, en dépit du fait qu'elle ait tourné court, a fait son chemin pour parvenir jusqu'à nos jours dans un souvenir intact dont témoignent Ahmed Bedjaoui, l'homme du Ciné-Club, l'ami de Losey et d'Ousmène, le complice de Chahine ou de Nicolas Ray, et Denis Martinez, un des membres créateurs du groupe Aouchem, artiste protéiforme et talentueux. Ils intègrent la fiction « Les fidayines » vers la fin des années 1960. Ahmed Bedjaoui travaille à la Cinémathèque, il écrit des articles dans «El Moudjahid» et décide de faire un film après être revenu de France, en 1966, après des études de cinéma à l'Idhec. « L'exposition à laquelle nous sommes conviés aujourd'hui est avant tout le récit d'une grande amitié et d'une grande collaboration artistique à la fin des années soixante entre un cinéaste et un peintre. Au-delà de l'amitié entre deux hommes, elle raconte aussi la rencontre de deux métiers, de deux cultures autour d'un projet. Et une vision complémentaire de notre jeune révolution sur la base d'un travail de fiction. Notre intention était de rendre hommage à tous les résistants algériens que de coller à la réalité...» Ahmed Bedjaoui. Le début de cette amitié commence à la Galerie de l'Unap. Ahmed Bedjaoui fréquente beaucoup ces lieux de contingence qui font d'Alger une capitale effervescente de culture. N'oublions pas aussi qu'elle vibre sous les trompes tonitruantes du Festival panafricain et que la ville est envahie d'artistes venus du monde entier se délecter de culture tous azimuts dans Alger la Blanche. Cela bougeait, et partout on exposait, on faisait des films, des galas de musique, des caravanes culturelles dans toute l'Algérie. Dans ce même état d'esprit, le cinéaste rejoint le plasticien dans sa galerie pour lui proposer ainsi un projet de film, et c'est là que débutera cette curieuse aventure qui les mènera jusqu'à Tlemcen pour entamer les repérages, les décors, et le tournage d'un film qui, certes, tournera court mais qui restera dans des sortes d'archives particulières du cinéma algérien avec des traces marquantes qui ont été retrouvées par le cinéaste quelques années après sous la forme de story-boards et de scènes préparatoires du film dans lequel Denis Martinez a incarné « Lotfi », un personnage important parmi les Fidaï qui ont peuplé ce film dont les rushs n'ont, semble-t-il, jamais été développés. Ce sont donc une quarantaine de planches originales avec des dessins, des photos et des croquis que l'on voit dans cette exposition avec quelques éléments d'accessoires comme les disques d'Ahmed Wahbi ou d'El-Anka, avec des peintures de l'époque de Denis Martinez. Il y a aussi des continuités dialoguées, des extraits de scénarios, des programmes de cinéma de la semaine, des photos de films comme « Z » de Costa Gavras, d'autres du film « Les Fidayines », qui nous donnent une idée de ce film devenu par la force des choses mythique. Dans une bâtisse vénérable de cette ville vénérable que restera Alger la Blanche, un jour la vie a trépidé dans les venelles et les pavés insolents. Que reste-t-il de ces mémoires ? La réponse est au fond de cette impasse du Palais des Raïs, pour le plus grand plaisir des nostalgiques et des curieux. Jaoudet Gassouma Exposition « Au cœur des années 60, mémoire d'une rencontre entre un cinéaste et un peintre Ahmed Bedjaoui, Denis Martinez », préface de Omar Meziani. Palais des Raïs, entrée libre.