Il fallait se battre, montrer patte blanche, pousser du coude et avoir un peu de piston pour aller voir cette toile de Karim Moussaoui, en ce jeudi 21/09/2017, à 19h à la Salle Ibn Zeydoun (Oref). Toute la crème un peu intellectuelle, les curieux et quelques pique-assiettes récurrents étaient de la partie pour venir découvrir un film qui a fait déjà son pesant de commentaires. Sous l'égide de Monsieur le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, le Centre algérien de développement du cinéma (CADC) et Prolégomènes, nous ont conviés à la projection du long- métrage de fiction «En attendant les hirondelles» de Karim Moussaoui. La projection qui aura lieu en présence du réalisateur et de son équipe artistique et technique, et a été suivie d'un débat assez éloquent sur quelques indices de travail mais aussi sur la perception étonnante de spectateurs. «En attendant les hirondelles» raconte quelques pans de la vie algérienne sur un triptyque élaboré en road-movie, d'abord dans les rues d'Alger, pour une longue séquence d'ouverture qui suit un véhicule en légère plongée. Dans ce film cohabitent trois générations de héros ou d'antihéros du quotidien, pas de quoi fouetter un chat, aujourd'hui en Algérie, mais voilà, le film est réalisé par Karim Moussaoui, un gars de la nouvelle génération, qui aime le cinéma et qui, surtout, sait en faire. Nous sommes pris au dépourvu, nous oublions toutes les critiques qui ont évoqué le film avant. Ici, l'image est limpide. Mourad, la soixantaine, incarné par un Mohamed Djouhri (Djo) flamboyant, est un promoteur immobilier, divorcé, remarié avec une bombinette française qui ne s'adapte pas au surréalisme algérien, un peu triste, mal dans sa peau, illustrée par la non-moins naturelle Aure Atika qui nous offre un dialogue acidulé et bien mené. Mourad sent que tout lui échappe, une première épouse bienveillante, Sonia Mekkiou, parfaite dans son rôle et qui, tant bien que mal, essaie de cadrer un enfant qui ne sait plus à quel saint se vouer entre moto et études de médecine. Le trio va exploser au bénéfice d'un duo survivant, Sonia, Mohamed Djouhri et un rejeton planté sur un lit d'hôpital....une intrigue palpitante, un suspense soutenu. Karim Moussaoui s'en sort comme un grand, il prend des scènes d'apparence triviale et ne materne jamais le spectateur, il évoque, parle, énonce, ou dénonce en portant sa caméra comme un stylo, c'est elle qui nous révèle un non-dit, une évocation sans fioritures de dialogues, les entrées de champ ou les sorties de champs sont parlantes, pertinentes et l'esthétique de ce réalisateur se suffit à elle-même. Par une délicate articulation scénaristique, le réalisateur nous emmène tout simplement dans la fluidité la plus sympa vers la délicieuse Aïcha, une jeune fille de notre temps, voile posé sur une tête bien faite, fille d'un visage rassurant et habituel, le père, un peu bourru mais affectueux -Chawki Amari- est élu par Moussaoui comme figure tutélaire, paternelle déjà dans «Les jours d'avant». Le réalisateur s'entoure souvent de cette «famille» issue de cette fameuse «Chrysalide» qui, dans son minuscule cocon, a été productive en théâtre, littérature, poésie, etc.. où quelques éléments se sont envolés comme des papillons, avec Mehdi Djelil et Maya Bencheikh, jeunes talents qui signent les costumes et quelques œuvres inscrites dans l'image du film, Hassen Ferhani assistant-réalisateur, Idir Benaïbouche et Lyès Salem en guests. Ou Djabir Debzi pour la prod. Il y a aussi Moussaoui pour l'écriture et le cinéma et Djalilla Kadi-Hanifi pour ses productions écrites, dialogues et autres recueils de nouvelles. Toute une équipe donc pour mener à bien cette aventure filmique où le jeune auteur donne cette générosité et ce partage. Il enchaîne donc sur une deuxième histoire où Aïcha est tiraillée entre son désir pour Djalil, un amoureux transi qu'elle continue d'aimer dans un coin de son cœur et à travers l'objet transitionnel d'un bracelet qui la tient attachée à lui ; il la mène vers son destin, un mariage avec un cousin, somme toute bon parti, un peu comme une dinde que l'on emmène à l'abattoir. Sauf que Aïcha n'est pas une dinde, elle est libre et assume son goût de la vie, elle se prend un verre de temps en temps, danse à tue-tête dans l'incursion fulgurante d'un groupe de musique appelé Raïna-Raï, excusez du peu, et qui donne un ton un peu étrange au film par une chanson d'anthologie en live. Cela devient une signature Moussaoui qui revendique le naturel de la passion, des amours décomplexées et filme ainsi un manifeste optimiste, encourageant. Aïcha entérine ses envies et son désir émancipé, elle sait ce qu'elle veut finalement, et le fait savoir dans un geste d'invite émouvant. La fête se réalise le lendemain avec les Djmawi Africa qui, avec des danseurs, finissent de donner le ton de cette célébration amoureuse, un peu estampillée entre du Wim Wender des beaux jours de Paris Texas, ou Emir Kusturica et Baghdad Café, pour une scène d'anthologie d'un serveur au faciès volé à l'Indien de «Vol au dessus d'un nid de coucou». Mais tout cela n'est pas du domaine du clin-d'œil, ce sont juste des réminiscences où l'on peut trouver de longs plans dialogués de Cassavetes ou de Salem. Karim Moussaoui filme comme il veut, il est fondamentalement libre et fait parler ses personnages, transforme la normalité en valeurs esthétiques et montre une Algérie qui adoucit le propos sans édulcorer à outrance. Ses allants sont féministes mais pas béats, il redonne juste l'initiative aux femmes de son film, et c'est bien, rafraîchissant. Il est libre, jamais voyeuriste, intelligent, ce qui doit se passer, passe par l'image, c'est tout ! Il réalise un cinéma décomplexé, esthétique, naturel et toujours en contre-pied. On le verra dans la dernière histoire, encore très bien articulée sur des destins liés, où Dahmane, un modeste neurologue qui ne demande qu'a épouser Radia sa cousine, dans un bled perdu entre Chelghoum el Aïd et rien. Mais lui qui a soigné dans une vie antérieure quelques salopards terroristes dans un maquis oublié, voilà qu'il est soudainement rattrapé par son passé par un curieux mais génial artifice scénaristique et dramaturgique, à la veille de son mariage. Dans les remous de ces vies bousculées qui mettent chacun face à des choix décisifs, passé et présent se télescopent pour raconter l'Algérie contemporaine. Dahmane sera confronté à l'image de ses propres lâchetés (Sic !), mais la victime de ces lâchetés relatives est une femme, une femme capable de donner la vie et donc capable de s'accrocher à celle-ci malgré tout. Elle « aimera » quelque part ce médecin qui est fondamentalement humain en fin de compte et Nadia Kaci qui essuie ses larmes dans sa manche offrira un rare moment de cinéma pour nous affirmer encore un très belle combinaison avec Hassan Kachach. Le film s'arrêtera sur un départ, sur une note esthétique très belle, qui nous donnera l'assurance que malgré quelques flottements perceptibles, «En attendant les hirondelles», nous signale que le printemps du cinéma, est sans doute déjà là... Le film, qui a été soutenu par le Fonds de développement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographiques (FDATIC), Pelleas, Niko films, le CNC, la Fondation Gan, MK2, Prolégomènes, AdVitam, Eurimages, Doha Film Institute, l'Institut Français, l'Afac (Liban) a été séléctionné au 70e Festival de Cannes, cette année, dans la section «Un certain regard » où il a reçu une bonne critique, ainsi qu'à la 15e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa, récemment clôturée. Au 10e Festival international d'Oran du film arabe, le film a raflé quatre prix : grand prix du festival, le Wihr d'or ; prix du meilleur réalisateur, prix du meilleur espoir féminin pour Hania Amar ; prix du meilleur espoir masculin pour Mehdi Ramdani. «En attendant les hirondelles », de Karim Moussaoui, avec Mohamed Djouhri, Hania Amar, Hassan Kachach, Nadia Kaci, Mehdi Ramdani, Sonia Mekkiou, avec la participation d'Aure Atika.