Les impacts de l'épidémie du coronavirus, le réchauffement climatique et les enjeux aux frontières de l'Algérie préfigurent d'importantes reconfigurations géopolitique et géoéconomique mondiales et régionales. C'est que cette région connaît d'importants trafics qui alimentent le terrorisme risquant de déstabiliser toute la région. L'Algérie est une des pièces maîtresses de la stabilité de la région, méditerranéenne et africaine selon les déclarations de responsables des Etats-Unis d'Amérique et de l'Union européenne et récemment du président Emmanuel Macron dans son interview en date du 20 novembre 2020 au magazine Jeune Afrique ou à travers les actions de l'ANP, les différents services de sécurité et ses actions diplomatiques, joue un rôle déterminant face au terrorisme transnational, du narcotrafic et de la criminalité organisée. D'où l'importance d'une coordination internationale pour à la fois favoriser le co-développement et juguler ce fléau qui a des incidences sur toute l'Afrique et l'Europe à travers les flux migratoires. 1- Selon différents experts, trois facteurs permettent de comprendre les liens entre trafic et terrorisme : premièrement, l'existence de mouvements communautaires, ethniques et religieux, qui permettent une collaboration entre terroristes et criminels, sur la base de valeurs partagées et de confiance mutuelle. Deuxièmement, la survenance d'un conflit armé. Troisièmement, les contraintes qui jouent lors d'échanges transnationaux complexes de marchandises illégales ; des échanges qui impliquent souvent d'autres parties intermédiaires et de certains segments de l'administration corruptibles. Les récentes investigations dans le cadre de la lutte antiterroriste menées par les services de renseignements révèlent de nouvelles données au niveau de la région sahélienne inséparable des conflits au Moyen-Orient et dans certaines contrées d'Afrique (intervention du professeur Abderrahmane Mebtoul au colloque international «Sécurisation et économie des frontières au Maghreb et au Sahel : enjeux et perspectives», ministère de la Défense nationale, Institut militaire de documentation, d'évaluation et de prospective 27 mars 2018). La Libye n'est plus la seule menace potentielle, le Mali qui gagne du temps pour appliquer les accords d'Alger. Au Sahel, les groupes armés ont proliféré, accru leur capacité de nuisance, se sont diversifiés en terroristes, insurgés, criminels et milices, selon des variables complexes. Désormais, une coopération et une convergence rassemblent ces groupes. L'exemple le plus évident de ce type de coopération-convergence, c'est le narco-terrorisme, dont le commerce de la drogue illégale sape les efforts pour poursuivre les réformes politiques et le développement nécessaires pour endiguer la radicalisation et la montée des groupes terroristes. Pour lutter contre le terrorisme et trafiquants en tous genres, il s'agit de mettre l'accent avant tout sur l'échange de renseignements qui doit se faire de manière instantanée, pratiquement en temps réel et harmoniser des politiques de lutte contre le terrorisme car sans sécurité point de développement. Le Sahel est également une zone de transit pour les passeurs. 50 à 60% de ceux qui traversent la Libye vers l'Europe passent par la région. C'est pourquoi il y a lieu d'accorder une attention particulière aux tensions au niveau du Sahel où la ceinture sahélienne recouvre, entièrement ou en partie, les pays suivants : l'Algérie (à l'extrême sud) ; le Sénégal ; la Mauritanie (au sud) ; le Mali ; le Burkina Faso (au nord) ; le Niger ; le Nigeria (à l'extrême nord) ; le Tchad (au centre). Le Sahel est un espace sous-administré et souffrant d'une mauvaise gouvernance chronique et sa vulnérabilité est amplifiée par une forte croissance démographique. Le Sahel devrait doubler sa population d'ici 25 ans, et compte plus de 100 millions d'habitants en 2020. Cette croissance affectera certainement la sécurité humaine et notamment alimentaire de la région dans son ensemble. A cela, se greffent d'importantes inégalités tant internes aux pays développés qu'entre le Nord et le Sud, l'intensification de la radicalisation qui est le fruit d'une conjonction de facteurs liés à l'individu, ses relations, sa communauté et son rapport à la société. Identifier un processus de radicalisation ne se fait pas sur la base d'un seul indice mais d'un faisceau d'indicateurs. Ces indicateurs n'ont, par ailleurs, pas tous la même valeur et seule la combinaison de plusieurs d'entre eux permet d'établir un constat. Mais il existe des enjeux économiques, le Sahel étant un espace recelant d'importantes ressources ministérielles d'où les ingérences étrangères manipulant différents acteurs afin de se positionner au sein de ce couloir stratégique et de prendre le contrôle des richesses sont nombreuses. L'arc sahélien est riche en ressources : après le sel et l'or, pétrole et gaz, fer, phosphate, cuivre, étain et uranium sont autant de richesses nourrissant les convoitises de puissances désirant s'en assurer le contrôle. Le commerce des stupéfiants, par exemple, a le potentiel de fournir aux groupes terroristes, un bonus supplémentaire : les recrues et les sympathisants parmi les agriculteurs appauvris, négligés et isolés, et qui non seulement peuvent cultiver pour le compte des trafiquants, mais aussi populariser et renforcer les mouvements anti-gouvernementaux. 2- Les différents trafics sont liés à l'importance de la sphère informelle, produit des dysfonctionnements des appareils de l'Etat, en fait de la gouvernance, du poids de la bureaucratie qui entretient des relations diffuses avec cette sphère et des distorsions des taux de change, représentant en Afrique sahélienne plus de 80% de l'emploi et plus de 50% du produit intérieur brut, (Etude sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul parue en décembre 2013 à l'Institut français des Relations Internationales- IFRI – (3e think tank mondial) sur le thème «Le Maghreb face à la sphère informelle et les enjeux géostratégiques au Maghreb» réactualisée dans la revue stratégie IMDEP/MDN 2019 – Conférence à l'Ecole supérieure de guerre devant les officiers supérieurs le 19 mars 2019, 10/12h et devant l'ensemble des attachés économiques des ambassades accrédités à Alger au siège de l'ambassade US de 18-20h «Face à la baisse de la rente des hydrocarbures quelles perspectives géostratégiques pour l'Algérie»). Le terrorisme international profite des dysfonctionnements de régulation des Etats et a au moins cinq caractéristiques en commun. – Premièrement, largement sur des réseaux souvent établis dans de vastes zones géographiques où les personnes, les biens et l'argent circulent. – Deuxièmement, le contrôle par le commandement et la communication. – Troisièmement, leur besoin de traiter de grandes quantités d'argent, de les blanchir et de les transférer à travers les pays et les continents. – Quatrièmement, criminels et terroristes ont tendance à se doter d'armées privées, d'où un besoin de formation, des camps et du matériel militaire. – Cinquièmement, terroristes et criminels de la zone sahélienne partagent les caractéristiques communes : pratique fréquente d'opérations clandestines cherchant la légitimité dans le soutien des populations avec l'usage de guérillas durables pour pouvoir contrôler un territoire et des populations ; – Sixièmement, ces guérillas créent des cellules spécialisées dans l'usage des médias et de l'Internet pour diffuser leur propagande et leurs revendications. Ainsi, nous avons différentes formes de criminalité transnationale organisée qui est une industrie en constante évolution, qui s'adapte aux marchés et crée de nouvelles formes de délinquance, s'agissant d'un commerce illicite qui transcende les frontières culturelles, sociales, linguistiques et géographiques. La combinaison de ces divers éléments selon des schémas extrêmement complexes, induisent un climat d'insécurité croissant propice à la déstabilisation des Etats sahéliens, faute d'une bonne gouvernance. 3- Je rappelle les différents éléments de trafics – Premièrement, nous avons le trafic de marchandises. Pour l'Algérie, existent des trafics de différentes marchandises subventionnées comme le lait, la farine achetées en devises fortes, le trafic de carburant représenterait un manque à gagner de plusieurs centaines de millions de dollars pour le Trésor public, c'est énorme. Cela est lié globalement à la politique des subventions généralisées sans ciblage et à la distorsion des taux de change par rapport aux pays voisins. – Deuxièmement, nous avons le trafic d'armes. Le marché «noir» des armes et de leurs munitions, issu nécessairement du marché «blanc» puisque, rappelons-le, chaque arme est fabriquée dans une usine légale, est une thématique qui permet de comprendre les volontés de puissance des divers acteurs géopolitiques à travers le monde. Tandis que le trafic de drogues est réprimé internationalement, le trafic d'armes est réglé par les Etats qui en font leurs bénéfices. La vente d'armes s'effectue régulièrement entre plusieurs partenaires privés et publics. – Troisièmement, nous avons le trafic de drogue. La montée en puissance du trafic de drogue au niveau de la région sahélienne a des implications sur tout l'Afrique du Nord où nous pouvons identifier les acteurs avec des implications géostratégiques, où les narcotrafiquants créent de nouveaux marchés nationaux et régionaux pour acheminer leurs produits. Afin de sécuriser le transit de leurs marchandises, ces narcotrafiquants recourent à la protection que peuvent apporter, par leur parfaite connaissance du terrain, les groupes terroristes et les différentes dissidences, concourant ainsi à leur financement. Le trafic de drogue assure une marge de bénéfice très élevée : un gramme de coca, qui coûte 1 $ à la production, est vendu de 200 à 300 dollars. – Quatrièmement, nous avons la traite des êtres humains. C'est une activité criminelle internationale dans laquelle des hommes, des femmes et des enfants sont soumis à l'exploitation sexuelle ou à l'exploitation par le travail. Nous avons le trafic de migrants qui est une activité bien organisée dans laquelle des personnes sont déplacées dans le monde en utilisant des réseaux criminels, des groupes et des itinéraires. (A suivre) Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul