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Gaspillage alimentaire et nuisances sonores
Les deux fléaux du Ramadhan
Publié dans La Nouvelle République le 26 - 04 - 2022

Cette année, encore, les déchets alimentaires, très médiatisés, et les nuisances sonores, plutôt ignorées, ont constitué, au plan écologique, les deux faits sociaux «négatifs» du mois de Ramadhan. La différence dans le traitement réservé par les autorités à ces deux phénomènes, l'un, au centre de leurs préoccupations, et l'autre, comme s'il n'existait pas, est due à la prise en compte du facteur économique dans le gaspillage alimentaire alors que les conséquences de la pollution sonore sur le cadre de vie sont sous-estimées.
Le ministère de l'Environnement directement concerné, a beaucoup fait pour lutter contre le gaspillage alimentaire, mais quasiment rien pour empêcher les nuisances sonores. Des spots de sensibilisation sur le gaspillage alimentaire ont été diffusés à la télévision. Une étude nationale a été lancée par l'Agence nationale des déchets (AND), qui relève du ministère de l'Environnement, pour définir les niveaux de gaspillage alimentaire chez les familles algériennes et les différents opérateurs économiques publics et privés, d'après la déclaration faite à l'APS par la directrice de gestion intégrée des déchets à l'Agence, Fatma-Zohra Barça. Elle a tenu à faire savoir que l'étude a été initiée en mars dernier, c'est-à-dire avant le Ramadhan, ce qui indique bien qu'il ne s'agit pas d'une action de circonstance.
C'est une des priorités de l'AND comme le confirme le souci du détail dans les chiffres que donne l'Agence : en 2019, le taux de gaspillage alimentaire représentait plus de 19% des aliments destinés aux ménages algériens, contre un taux plus important pour les restaurants, les hôtels et les grandes unités de production ; à chaque Ramadhan, la quantité de déchets ménagers augmente de 10 % par rapport aux autres mois ; l'indicateur de l'année 2021 affiche un recul du taux de croissance à 4 % dû à l'impact de la pandémie de la Covid-19 sur le mode de consommation des familles algériennes, ainsi qu'aux actions de sensibilisation; la quantité de pain gaspillé en 2021 s'élève à 914 millions de baguettes.
Il arrive que les boulangers, eux-mêmes, se trouvent avec des dizaines de sacs remplis de baguettes de pain invendues. A Alger, l'entreprise locale de ramassage des ordures ménagères, NetCom, a mené, avant le début du mois de jeûne, des opérations de sensibilisation intensives en coordination avec les directions locales de l'environnement et du commerce. Résultat, le gaspillage de pain a diminué par rapport à l'année précédente. Selon la responsable du département développement et communication de Netcom, Yacoubi Nassima, 10 tonnes de pain ont été collectées durant les vingt premiers jours du Ramadhan, alors que la quantité au cours de la même période l'année dernière s'élevait à 15 tonnes. Le pain collecté sera distribué aux éleveurs qui ont des contrats avec Netcom.
En réaction à ce gaspillage, le ministère du Commerce a envoyé un SMS de sensibilisation à connotation morale : «le pain est un bienfait, n'en faites pas une malédiction ». Le SMS de l'AND fait ressortir la motivation écologique : «évitons le gaspillage alimentaire pour réduire nos déchets et protéger notre environnement». Il vise un changement de comportement des Algériens appelés à introduire un minimum de sobriété dans leur mode de vie marqué, pendant le mois de Ramadhan, par une surconsommation de produits alimentaires, par rapport au reste de l'année.
Selon les données fournies par les connaisseurs du marché, la consommation mensuelle de viandes en période «normale» est de 25.000 tonnes à 30.000 tonnes, elle double durant le Ramadhan pour atteindre les 60.000 tonnes. Les déclarations rassurantes de responsables du ministère du Commerce sur la disponibilité des produits alimentaires, «en quantités largement suffisantes», ont éclipsé leurs appels à la sobriété dans la consommation.
Le comportement irrationnel des consommateurs qui revient à chaque mois de Ramadhan est réfractaire aux conseils de modération. Alors, les responsables du ministère du Commerce préfèrent traiter cette situation par l'annonce d'une augmentation de l'offre des produits alimentaires et par la mise en place de marchés de proximité pour faciliter leur écoulement à des prix abordables et prémunir le pouvoir d'achat des consommateurs de l'impact de la flambée des cours sur le marché international. Cela n'encourage pas les Algériens à abandonner leurs habitudes qui les poussent à acheter plus de produits alimentaires que ce dont ils ont besoin, et à gaspiller en jetant ce qu'ils n'arrivent pas à consommer ; un gâchis qui tourne autour de 20%, selon une estimation donnée en 2018 par l'Association nationale des commerçants et artisans (ANCA). L'exemple, indécent, du gaspillage du pain est significatif de ce comportement irrationnel. Le pain et les restes de repas sont jetés, en quantités impressionnantes, alors qu'ils sont comestibles, comme l'indiquent les scènes observées dans les rues et places publiques, près des cités d'habitations, dans toutes les villes du pays, y compris la capitale. Le climat d'insouciance qui caractérise la saison estivale, avec les vacances et les fêtes qui les accompagnent, contribuera certainement à prolonger le gaspillage alimentaire qui a commencé pendant le Ramadhan. Il s'agit le plus souvent de produits importés, pour lesquels l'Etat consacre des sommes considérables en devises. La hausse des prix enregistrés depuis quelques mois sur le marché international va alourdir la facture d'importation de denrées dont une quantité non négligeable finira dans les poubelles. C'est cette motivation économique qui a hissé la lutte contre le gaspillage alimentaire parmi les priorités des pouvoirs publics. Par contre, l'autre «constante» anti-écologique du mois de Ramadhan, la pollution sonore, n'a pas d'impact directement perceptible sur les finances publiques et ses effets sur la santé sont sous-estimés. Cela explique le peu d'attention qui lui est accordée par le ministère de l'Environnement et la complaisance à l'égard des fauteurs de bruit.
Les nuisances sonores
Le traitement par les médias et par les autorités locales de l'incident qui s'est produit le samedi 16 avril à M'Chedallah (wilaya de Bouira) où un imam a utilisé le haut parleur de la mosquée pour s'en prendre aux organisateurs d'un gala artistique, a ignoré le fait qu'il s'agissait d'une activité bruyante sur la voie publique, en principe strictement réglementée, voire interdite par la loi. L'attention a été focalisée, à juste titre, sur le «dérapage verbal» de l'imam, pour éviter qu'il soit amplifié et manipulé dans l'intention de donner à l'incident une autre dimension. Les nuisances sonores, à la base de l'incident, ont été passées sous... silence. Le problème n'est ni la proximité de la mosquée ni la question de savoir si le gala s'est tenu «avant ou après la prière». Il s'agit d'abord d'une pollution sonore qui est une atteinte à l'environnement comportant de nombreux risques dont celui de provoquer, chez les personnes soumises à cette nuisance, des réactions imprévisibles. C'est ce qui s'est passé au cours du gala de M'Chedallah. Selon les spécialistes, une exposition chronique à un niveau sonore trop élevé peut entraîner des maladies cardiovasculaires, en plus des troubles de l'audition, des troubles du sommeil (allant des réveils intempestifs à l'insomnie), troubles psychologiques ou encore les troubles de l'apprentissage chez les enfants. Cela peut être évité par le respect de la loi du 19 juillet 2003 relative à la protection de l'environnement dans le cadre du développement durable. Elle contient des prescriptions de protection contre les nuisances acoustiques (Titre IV, chapitre 2) qui ont pour objet, de «prévenir, supprimer ou limiter l'émission ou la propagation des bruits ou des vibrations de nature à présenter des dangers nuisibles à la santé des personnes, à leur causer un trouble excessif ou à porter atteinte à l'environnement». La loi soumet les activités bruyantes, de quelque nature qu'elles soient, au régime très strict des installations classées, ce qui correspond à une reconnaissance du droit au silence.
Lorsque les activités sont susceptibles, par le bruit qu'elles provoquent, de présenter les dangers ou causer des troubles à la santé ou à l'environnement, elles sont soumises à autorisation. La délivrance de cette autorisation dépend de la réalisation de l'étude d'impact et de la consultation du public. La loi vise, évidemment, les travaux d'utilité publique (réparation de canalisations d'eau ou réfection d'une chaussée, par exemple) et non pas les activités de loisirs ou de publicité commerciale qui doivent faire l'objet d'une isolation phonique ou être éloignées des habitations. L'article 108 prévoit des sanctions contre les fauteurs de bruit : deux ans d'emprisonnement et 200.000 DA d'amende. Mais les dispositions sur le bruit, contenues dans la loi, sont pratiquement ignorées. Le droit à un environnement sain, qui inclut le confort sonore et la tranquillité, proclamé par la Constitution, n'est pas concrétisé dans la réalité quotidienne. Résultat : travaux sur la voie publique, utilisation abusive du klaxon ou du poste radio par les automobilistes, véhicules et motos en circulation avec des dispositifs d'échappement silencieux supprimés ou modifiés, explosions de pétards et feux d'artifices, activités de loisirs ou de publicité commerciale avec hauts-parleurs... le bruit, interdit par la loi, est partout, y compris sur les places, dans les jardins et squares, et presque tout le temps, même la nuit.
Quand un gala artistique (comme celui de M'Chedellah) ou une activité publicitaire commerciale a lieu au milieu d'habitations, les nuisances sonores (interdites par la loi) sont perçues comme une fatalité. Les riverains qui protestent se voient opposer l'argument de l'autorisation donnée aux organisateurs du gala ou de l'activité publicitaire commerciale, d'utiliser une sonorisation ou des hauts-parleurs et de faire du bruit, parfois sans limite de temps, donc même la nuit.
Cette situation a été vécue à Alger-centre durant une vingtaine d'années (de 1999 à 2019) quand toutes les occasions étaient bonnes pour organiser des activités bruyantes provoquant des nuisances sonores insupportables par les riverains. Vingt ans de nuisances sonores prolongées très souvent en tapage nocturne, liées à des activités de loisirs, culturelles ou publicitaires, avec écran géant ou une grande scène, et immanquablement le maximum de hauts-parleurs parce qu'il fallait faire le plus de bruit possible et être entendu le plus loin. Les temps ont-ils changé ? Au début de cette année, une activité culturelle bruyante sur la voie publique, au milieu d'habitations, à Alger, a été interrompue par les autorités pour cause de pollution sonore. Plus récemment, le 7 avril, le maire de la commune de Seraïdi (wilaya d'Annaba) a imposé aux mineurs non accompagnés de leurs parents une sorte de couvre-feu en leur interdisant de sortir seuls en soirée après la rupture du jeun, ajoutant qu'il leur est également interdit d'émettre des bruits dérangeant les citoyens de la commune durant le nuit. Cette discrimination signifie-t-elle que les adultes ne sont pas interdits «d'émettre des bruits dérangeant les citoyens» ? En fait, quel que soit l'âge du contrevenant, la loi algérienne n'autorise pas le bruit qui dérange les citoyens. Il reste à appliquer la loi. M'hamed Rebah


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