Où va l'économie mondiale ? C'est la question que des millions de personnes se posent depuis l'été 2007, date des premières secousses provoquées par la désormais tristement fameuse bulle des subprimes. Quatre ans et quelques gros coups de semonce plus tard, la situation s'est détériorée au point que le risque d'une nouvelle «Grande dépression», comparable à celle de 1929, voire plus grave, est bel et bien avéré. Quand des Etats sont menacés de faillite (Grèce mais aussi Portugal, Italie et même l'Irlande), quand l'hypothèse d'un éclatement de la zone euro est sérieusement étudiée par nombre d'économistes, quand la première puissance mondiale, comprendre les Etats-Unis, s'avère incapable de relancer son économie (et de créer des emplois, condition première pour qu'Obama puisse espérer sa réélection), quand la croissance allemande devient négative, quand le franc suisse et l'or, deux valeurs refuge par excellence, sont au plus haut, c'est que les choses vont très mal. Certes, plusieurs pays émergents affichent des performances économiques étincelantes. La Chine, l'Inde ou le Brésil ne semblent guère affectés par la tempête qui fait actuellement chavirer l'Europe et les Etats-Unis. Mais il ne faut pas se leurrer. Le krach, ou plutôt l'enchaînement de catastrophes financières, boursières et bancaires qui menace l'Europe et les Etats-Unis aura des conséquences pour toute la planète, y compris dans des pays qui, comme l'Algérie, se croient à l'abri grâce à leur rente pétrolière ou à leur économie fermée. En septembre 2008, une panique bancaire mondiale a été évitée de justesse après la faillite de la banque Lehman Brothers. A l'époque, les principales banques centrales avaient paré au plus pressé, en jouant le rôle de prêteur de dernier recours et en injectant de l'argent dans les circuits bancaires pour permettre aux banques de se financer. Aujourd'hui, la situation n'est plus la même car ce sont les Etats qui sont fragilisés. Obligés de s'endetter pour combler leurs déficits budgétaires, ils sont à la merci de marchés financiers qui semblent désormais échapper à tout contrôle. Et c'est sur ce point qu'il faut s'attarder un peu. Pourquoi les déficits budgétaires de la plupart des pays développés ont-ils explosés ? Le discours habituel servi par nombre de gouvernements, qu'ils soient de droite ou dits de gauche, affirme que c'est dû à l'augmentation des dépenses publiques. Du coup, la solution aux problèmes du moment paraît simple. Il faudrait réduire ces dépenses pour que tout aille mieux, et c'est d'ailleurs ce que le Fonds monétaire international (FMI) et l'Union européenne (UE) ont imposé à la Grèce. Le mot austérité est ainsi sur toutes les bouches ce qui signifie des coupes dans les programmes sociaux, dans les aides publiques et dans les budgets de santé, de culture et d'éducation. «C'est le prix à payer. La situation est trop grave pour ne pas faire de sacrifices» sont les propos qui justifient ces restrictions. En réalité, la cause de ces déficits budgétaires se trouve ailleurs. Depuis trente ans, les pays développés ne cessent de diminuer les impôts notamment ceux des plus riches. Ronald Reagan et Margaret Thatcher ont été les précurseurs de ces politiques où l'endettement public a servi à compenser la baisse des impôts. Depuis, les Etats développés sont tous engagés dans une fuite en avant où le recours au marché de la dette recours qui impose d'être évalué par une agence de notation a permis de diminuer la pression fiscale. Et le plus grave dans l'affaire, c'est que ces baisses d'impôts sont inégalitaires car ce n'est pas tomber dans un populisme de bas-étage que de dire que ce sont les classes les plus aisées qui en ont profité le plus. Qu'il s'agisse du bouclier fiscal en France ou des baisses d'impôts décidées par Bush (et maintenues par lui alors que son pays entrait en guerre contre l'Irak, du jamais vu dans l'histoire des Etats-Unis), l'équation est la même. La dette publique, supportée par tous, sert à remplacer l'argent qui n'est pas pris aux plus riches, qu'il s'agisse de particuliers ou, plus scandaleux encore, d'entreprises qui pratiquent l'évasion fiscale légalisée notamment grâce aux paradis fiscaux mais aussi grâce à un jeu complexe de transferts financiers entre leurs différentes filiales. Et, dans l'affaire, ce sont bien entendu les classes moyennes qui trinquent le plus. Pour bien comprendre l'aspect scandaleux de cette situation, il faut méditer les propos suivants du milliardaire américain Warren Buffet : «Tandis que les pauvres et les classes moyennes se battent pour nous en Afghanistan, et alors que la majorité des Américains se débattent pour nouer les deux bouts, nous, les méga-riches, continuons de bénéficier de nos extraordinaires niches fiscales». Tout est dit et on ne peut suspecter «l'oracle d'Omaha» d'être un dangereux communiste. L'homme, comme d'autres de ses pairs fortunés, a compris que le privilège fiscal, qu'il s'appelle niche, abattement ou bouclier, concourt à miner une société et à préparer des lendemains de violence, d'émeutes populaires voire de révolutions. Et signalons au passage que, contrairement à 1929, les écarts de richesse entre pauvres et fortunés ne se sont pas réduits mais ont, au contraire, augmenté. Comment alors interpréter le fait que les dirigeants européens, ainsi qu'Obama d'ailleurs, préfèrent persister dans les programmes d'austérité plutôt que de revenir à des politiques fiscales plus volontaristes. Il y a bien sûr la persistance de la concurrence fiscale entre les Etats. Mais il y surtout l'idéologie. On a tort de penser que la crise actuelle sonne le glas du néolibéralisme et des thèses de Milton Friedmann et des ses partisans. Bien au contraire, pour eux c'est l'occasion ou jamais de faire encore plus «maigrir la bête», c'est-à-dire l'Etat, voire de la tuer. Faire diminuer la taille de l'Etat, remettre en cause les programmes inspirés par le socialisme (santé, retraites, éducation, emploi), c'est l'objectif jamais abandonné par les enfants de Reagan et Thatcher. Ils sont bien décidés à ne pas lâcher prise et à enterrer définitivement l'Etat providence. Cela dans un contexte d'apathie générale des classes moyennes qui donne à penser qu'ils sont peut-être près d'atteindre leur objectif.